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Interview avec Hassan Aourid «L’islam politique au Maroc connaît une crise profonde»


Politologue, universitaire et écrivain, Hassan Aourid nous donne sa lecture des résultats électoraux du 8 septembre. Déroute du PJD, défis du prochain gouvernement et enjeux de la future législature…Détails.



interview_avec_hassan_aourid__1632694562.mp3 A lire ou à écouter en podcast :  (1.72 Mo)

- Parmi les surprises des élections du 8 septembre, la déroute du PJD, qui était aux commandes des deux précédents mandats. Comment interprétez-vous ses résultats ?

- Ce fut une surprise dans la mesure où personne ne mesurait l’étendue de la débâcle. On savait simplement que le capital de sympathie du parti a été laminé par l’usure du pouvoir et par un certain nombre de mesures jugées impopulaires, et par des prises de position en contradiction avec son référentiel. Selon les pronostics, on pensait que le PJD figurerait dans les trois premiers partis, dans la mesure où il jouissait d’une structure organisationnelle.

Or, on assiste à une débâcle du parti. A mon humble avis, cette débâcle ne peut pas être imputée à l’ingénierie électorale. C’est plutôt cette dernière qui, en quelque sorte, a sauvé le PJD. Le parti avait critiqué le quotient électoral. Paradoxalement, c’est grâce au quotient électoral que le Parti a eu 13 sièges.


- Le positionnement de certains dirigeants du parti, notamment du Chef du gouvernement sortant Saâd Dine El Othmani, sur la question de la reprise des relations maroco-israéliennes, avait semé la zizanie au sein du parti. Ce positionnement aurait-il contribué à la désunion et au désengagement des partisans Pjdistes, voire au vote-sanction de certains d’entre eux ?

- L’annonce de la reprise des relations avec Israël a mis le PJD à rude épreuve. Comment peut-on se dire islamique et finalement prendre une position en opposition au référentiel du parti. On ne sort pas indemne d’une telle annonce. Le parti a été sanctionné justement par cette contradiction. C’était résolument aux contradictions avec leur référentiel.

Là, nous assistons à un phénomène qui doit interpeller, c’est qu’il y a une conscience politique chez le lectorat marocain et qu’en fin du compte, le peuple demeure juge ! C’est le peuple qui a, en fin de compte, mis le PJD au pinacle.


- L’échec du PJD met également fin à un projet d’islam politique qui a pris de l’ampleur après les événements du Printemps arabe. Pensez-vous que ce paradigme de gestion de la chose publique soit adéquat au réel sociologique et politique du Royaume ? L’islam politique a-t-il encore un avenir au Maroc ?

- Je crois qu’au-delà de la déroute du PJD, il faudra réfléchir à ce phénomène qui s’appelle l’islam politique. En fin de compte, le PJD fait la politique comme les autres partis. Il a beau être islamiste, il réfère aux mêmes règles d’usage en politique, à savoir alliances, pragmatisme. Il n’y a pas de référence Halal/Haram. Donc, d’une certaine manière, il y a ce que j’appelle la sortie de la religion de la sphère politique.

Cela dit, il faut dire qu’à travers l’Histoire, la religion peine à se lier à plusieurs champs de la société. Marcel Gauchet disait que la religion était une grammaire universelle. Elle intervenait en tout.

A partir du 16ème siècle, la science s’est autonomisée. Il y a eu une guerre entre la religion et la science. Autrement dit, les révélations de la religion ne résistaient pas aux conclusions de la science. Par voie de conséquence, il y a eu une autre distanciation. Le 18ème siècle a vu une forme d’autonomisation de la sphère publique par rapport à la religion. Donc, ce n’est plus l’Eglise qui gère la chose publique.

Or, cette évolution a vu le jour en Occident. Elle était donc normale et naturelle. Elle n’était pas ailleurs, donc il y a eu un travail de placage, de remodelage et d’adaptation. Il fallait un processus de maturation. C’est en train d’advenir. J’avais expliqué que le référentiel identitaire est le symptôme de ce que des politologues appellent « une crise d’indigestion ». C’est tout simplement une modernité avalée à la va-vite, qui provoque des haut-le-corps, et une forme d’indigestion. Il me semble que la crise d’indigestion est passée.


- Pensez-vous que la politique menée par le PJD durant ses deux derniers mandats au gouvernement est ce qui a mené à ce que vous appelez «la sortie de la religion de la sphère politique» ?

- Je le pense. Il y a contribué incontestablement. Ce qui est apparu pratiquement comme étant des contradictions. Le PJD se définissait comme un parti à référentiel islamique et non islamiste, il appelle à la distanciation entre ce qui est prédication et ce qui est politique. Il est donc devenu, malgré lui, un des acteurs de la modernité. Il n’est pas le seul d’ailleurs. Je crois que le véritable acteur est plutôt la société. J’avais noté dans mon livre « Pouvoir et Religion au Maroc » qu’en fin de compte, la force d’un parti ne lui est pas consubstantielle.

Le parti a su canaliser les aspirations d’une certaine catégorie de la société qui se sont portées sur lui. Cela ne diminue en rien son mérite. Mais l’évolution s’est faite et se fait au sein de la société.


- Pensez-vous que nous assisterons à une refonte de l’islam politique ?

- Il est difficile de trancher sur cette question. J’ai tout simplement essayé de catégoriser dans mon livre les choses. Je plaidais pour ce que j’appelle la modernisation des Marocains. Je ne me suis situé ni dans l’un ni dans l’autre. Mais force est de constater que l’islam politique au Maroc, et ailleurs, amorce une nouvelle phase. Il n’est plus dans sa pleine forme. Il est en crise. La force motrice qui provenait du Moyen-Orient est elle-même – disons - en panne. Mais, dans tous les cas de figure, l’islam politique est en crise.


- Est-ce que les difficultés du PJD au Maroc et d’Ennahdha en Tunisie marquent une tendance de recul de l’idéologie islamiste dans ces deux pays ?

- Oui, je le pense. Pas uniquement dans ces deux pays. C’est le cas en Egypte également. Avant le Printemps dit « arabe », les mouvements à référentiel islamique étaient dans l’opposition. Donc, on les jugeait à travers leurs discours. Mais à partir de 2011/2012, ils étaient aux commandes. Ils sont donc jugés selon leurs prestations. Dans le cas marocain, le PJD a déçu dans un certain nombre de sphères à caractère économique et social.


- Dans un autre registre, quels sont les enjeux et les défis du prochain gouvernement, surtout avec un Nouveau Modèle de Développement en strating-block ?

- Il y a incontestablement un modèle de développement comme référentiel. Encore faut-il l’adapter, si cela peut être un atout pour le prochain gouvernement. Cela ne dispense pas quand même de l’adapter, en regard du contexte de ce qui pourrait finalement apparaître. Il y a là ce qu’on appelle la praxis. Le deuxième grand défi demeure l’éducation. Je crois qu’il faudra revenir sur ce grand chantier. Il me semble que le contexte est propice pour justement donner une nouvelle impulsion.


- Le Royaume a pour ambition de se hisser en tant que puissance régionale et continentale, quels sont les obstacles auxquels il pourrait être confronté ?

- Oui, le Maroc a l’ambition de se hisser en puissance régionale. Il a les atouts. Mais nous sommes aussi conscients des défis qui peuvent émerger ici et là. Cela pourrait déplaire à un certain nombre d’acteurs, qui ont des intérêts, particulièrement en Afrique. Sur le plan régional, nous avons déjà un avant-goût de tout ce qui pourrait être appelé comme une gêne par rapport à la place et au rôle que joue le Maroc. Rien n’est facile, comme on dit. Mais rien n’est difficile quand il y a une volonté. Elle est l’adhésion de tous les segments de la société civile et politique.
 
Rédigé par Safaa KSAANI sur https://lopinion.ma



Lundi 27 Septembre 2021


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