Par Aziz Boucetta
Le Maroc connaît-il des mutations ? Oui. Dispose-t-il d’un gouvernement fort ? Non.
Plus de quatre mois après l’installation du nouveau cabinet, force est de constater que le trop-plein de compétences ne fait pas pour autant un exécutif fort, convaincant, conquérant et apte à faire amorcer au pays le saut, le grand bond qu’il attend. On peut même se demander s’il est en mesure de faire face aux défis qui se présentent et aux menaces qui guettent : la gestion, puis la sortie de la crise sanitaire, le recensement et la réparation des dégâts de ladite crise, la sécheresse et le stress hydrique qui se rapproche, les hostilités croissantes et persistantes du voisinage, à l’est et au nord, la flambée des prix…
Le Maroc a besoin d’un gouvernement fort, et un gouvernement fort ne consiste pas en une accumulation de compétences diverses. Dans leur grande majorité, nos ministres sont compétents et armés d’une solide volonté de bien faire. Seulement voilà, ils ne peuvent fonctionner en silos et encore moins en solo, et c’est ce qui semble se produire.
Un gouvernement est comme un orchestre… s’il est formé de virtuoses, mais avec un chef faible, maladroit, peu assuré et atone, cela donnera une grinçante cacophonie et, avant la fin de la représentation, la salle sera vide, persifleuse ou même clairement siffleuse. Si en revanche cet orchestre est peuplé de novices, un bon chef saura mener sa troupe à sa vitesse, raccorder les instruments, tenir la salle en haleine, et au final, la partition deviendra collective et sera agréable à entendre, s’attirant l’adhésion des spectateurs.
Quatre mois après le début de cette partition partisane, les ministres jouent chacun en solo et il ne semble pas y avoir de véritable cohésion ou convergence, sachant qu’au sein du gouvernement prospère un ministre de la Convergence et de l’Evaluation des politiques publiques en la personne de Mohsine Jazouli. Mais que peut-il raisonnablement entreprendre sans son chef de gouvernement et d’orchestre, dont la popularité, déjà souffreteuse à sa nomination, est aujourd’hui résolument souffrante ? Deux événements le montrent, en l’occurrence la très large circulation de la bourde langagière de M. Akhannouch lors du sommet sur l’Océan, tenu à Brest ce weekend, et l’intervention de la youtubeuse Mayssa Salama Ennaji qui appelle explicitement à la démission/renvoi du chef du gouvernement. Cette vidéo a été vue par près de 3 millions de personnes, et a suscité 180.000 réactions et interactions positives, en à peine 40 heures !
Le Maroc, nous ne le dirons jamais assez, est à un tournant de son histoire, à un point d’inflexion très sensible. Il nourrit d’immenses ambitions économiques et géopolitiques, mais son économie est haletante, l’entreprise hésitante, l’agriculture assoiffée et la société déjà exsangue et aujourd’hui inquiète de la flambée générale des prix. L’ancrage géopolitique du royaume est servi par la grande compétence de son ministre des Affaires étrangères mais desservi par la propension de ce dernier à jouer lui aussi en solo.
La politique du silence diplomatique est assurément avantageuse, mais elle ne fait pas une stratégie à moyen et long terme ; il faut relayer notre volonté urbi et orbi pour porter haut nos ambitions. La politique du silence gouvernemental est certainement prudente mais elle ne suscite pas une adhésion populaire et sociale, seule à même de renforcer notre volonté de faire et notre ambition de bien faire.
Le Maroc a changé une ministre quelques jours après sa désignation, il peut bien opérer d’autres changements quatre mois après la formation du gouvernement… Et quand 3 millions de personnes visionnent une influenceuse qui appelle à un changement radical dans la direction de l’équipage du paquebot Maroc, il faut l’écouter car si les passagers inquiets et stressés remuent, c’est tout le bateau qui prend le risque de tanguer, voire de prendre de la gîte.
L'ODJ avec Panora Post