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Par Taoufiq Boudchiche, Economiste
Dans ce monde multipolaire, plusieurs visions du monde se disputent la scène internationale. Il y a d’un côté, le libéralisme occidental autrefois triomphant semble de plus en plus vaincu auquel se greffe un libéralisme social plus revendicatif que structurant (wokisme, LGBT, …).
Mais d’autres visions culturelles ont émergé. L’islamisme par exemple qui se veut un rempart antioccidental en cultivant une singularité ambiguë entre libéralisme occidental et autoritarisme oriental dont « l’erdoghanisme » en offre une version aboutie. Mais l’islamisme tant qu’il est miné de l’intérieur par les mouvements radicaux et violents restera à l’état de mouvement identitaire sans grand avenir.
Les cultures slaves et extrêmes orientales tentent également de se frayer un chemin parallèlement aux succès économiques des sociétés auxquelles elles appartiennent mais sans convaincre véritablement. Elles peinent à déborder au delà de leurs aires géographiques d’influence : Asie, Chine, Russie, Inde. .. Ce qui est déjà considérable vu l’importance démographique des sociétés qu’elles représentent.
Mais elles-mêmes sont sujettes à une compétition dans leurs aires respectives qui neutralisent leur volonté de puissance. D’autres cultures telles que l’arabisme qui a eu son apogée à l’époque « nassérienne » jusqu’au années 80 s’est effondré dans les ruines des guerres israélo-arabes. Et, les espoirs portés par la négritude au sens « Senghorien » aura vécu son temps. Leurs réminiscences ont été cannibalisées par les cultures dominantes. La créolisation n’est pas pour demain. Le shiisme iranien quant à lui s’arcboute dans un clanisme dangereux et belliqueux. Son espoir de s’imposer en devenant une puissance régionale nucléaire préoccupe plus qu’il n’inspire l’exemplarité à l’extérieur du monde shiite.
Il y a donc lieu de s’interroger dans ce monde multipolaire dans lequel les guerres d’influence affinent leurs arguments, quelles seraient les forces idéologiques et culturelles qui s’imposeront à l’avenir ? A cette fin, il faut bien garder à l’esprit la dialectique marxienne qui a bien conceptualisé à quelques nuances prés les interactions entre infrastructures et superstructures. Les cultures et les idéologies qui vont dominer le monde futur seront nécessairement celles qui réussiront à s’imposer par leurs valeurs spirituelles, sociales et économiques plus que par la conquête militaire. Marx aura négligé dans sa dialectique le rôle moteur des valeurs culturelles et spirituelles leur conférant un rôle secondaire, voire néfastes. Ce qui, à mon avis, a entaché négativement sa réflexion et conduit entre autre à l’échec du « communisme idéologique ».
L’humanité dans sa globalité par le biais des institutions internationales et des mécanismes de régulation à l’échelle mondiale a gagné, fort heureusement, en pacifisme et ne tolère plus les conquêtes par la violence. C’est pourquoi l’entreprise guerrière russe en Ukraine est vouée à l’échec comme celle des États-Unis l’a été auparavant en Irak et en Afghanistan. C’est le résultat inverse qui est obtenu à savoir le rejet de l’Amérique dans cette Région. En Ukraine, c’est le rejet de la Russie qui fait tâche d’huile dans toute l’Europe et une partie du reste du monde mais qui n’ose l’exprimer par crainte de fâcher « l’ogre russe ».
Les organisations mondiales telles que l’ONU subissent les effets négatifs de cette situation. Celles-ci marginalisées et/ou instrumentalisées à l’excès par les grandes puissances, au gré de leurs intérêts, sont de plus en plus impuissantes à régenter ou du moins contrôler le cours des choses. Les organisations régionales quant à elles, comme l’Union Européenne, l’Asean, l’Union Africaine… ne semblent pas être très efficaces dès lors qu’elles doivent s’imposer mondialement. Aussi, notre monde est-il appelé à réinventer les fondements socioculturels du monde de demain. Probablement, imaginer d’autres formes d’organisations institutionnelles au sein de ces mêmes organisations.
L’humanité est dans une sorte de « stand by », causé par un sentiment de sidération et d’impuissance, face aux forces de destruction de la planète et partant de l’ordre international. L’incertitude et l’égoïsme des nations priment sur l’intérêt général. Le monde est sans leadership idéologique et culturel susceptible de produire une adhésion forte de la communauté internationale. La « Pax Americana » a sombré culturellement dans les conflits en Irak et en Afghanistan prises en flagrant délit de mensonges (à l’instar de la manipulation sur l’existence d’armes chimiques en Irak pour motiver une guerre sauvage et meurtrière). Et, mise à part la parenthèse heureuse de l’Accord de Paris en 2015 sur le climat qui avait soulevé par ses dispositions l’espoir d’une justice sociale et d’une justice climatique pour s’attaquer aux causes profondes des déséquilibres affectant l’humanité et la planète, les populismes ont depuis réoccupé le terrain.
Par conséquent, dans un contexte de vide idéologique et culturel sur la scène mondiale, il conviendrait rapidement d’engager de nouvelles réflexions en dehors des sentiers battus pour réinventer des valeurs communes fortes garantissant le progrès humain et social. La diversité culturelle facteur de paix et de civilisation mérite d’être institutionnalisée en donnant plus de place à des organisations comme l’UNESCO. Pour l’instant ce sont les bruits de botte qui se font le plus entendre. Jusqu’à quand ? Nul ne le sait. L’humanité en est d’autant plus déboussolée et notre planète encore plus meurtrie.