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Par Mustapha Sehimi
Interpellation
Vendredi dernier, le ministre algérien a été fortement interpellé à ce sujet. Les critiques les plus fortes ont été faites par les représentants des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l'Allemagne. Elles portent sur de nombreuses décisions des autorités d'Alger. Ainsi, des restrictions ont été instaurées dans le but proclamé de lutter contre la pandémie de Covid-19 alors qu'elles ont de fait renforcé les contrôles et accru les répressions. Il est établi que plus de 260 personnes ont été arrêtées dans le cadre de cette politique (journalistes, défenseurs des droits de l'homme, syndicalistes, militants,...).
Le Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH) n'est pas reconnu à l'international par les institutions onusiennes du fait de son absence totale d'indépendance vis-à-vis du gouvernement - il n'est pas en conformité avec les principes de Paris. L'Algérie n'a pas ratifié des instruments internationaux comme le Statut de Rome et le Protocole facultatif à la Convention sur la torture. Elle refuse toujours de coopérer avec les organes conventionnels pour la réception des plaintes individuelles. Elle n'apporte pas non plus une réponse à plus de 3253 cas de disparitions forcées soumis au Groupe de travail ad hoc de l'ONU
Il faut ajouter le non-respect des obligations internationales en matière de droits de l'homme : détention arbitraire et au secret comme pratique systématique, torture dans les lieux de détention. La question de l'impunité pour les crimes commis par les agents de l'Etat n'est pas réglée. Les victimes de la guerre civile algérienne attendent toujours que justice soit rendue. Une ordonnance en date du 27 février 2006 établit ainsi l'irrecevabilité par les tribunaux des plaintes ou dénonciations contre les auteurs de ces crimes. La justice n'est pas administrée dans des conditions satisfaisantes.
Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), censé être garant de l'indépendance de la justice est sous le contrôle direct du président de la République qui nomme ses membres. De récentes révocations ont frappé des magistrats qui avaient acquitté des manifestants arrêtés arbitrairement pour des actes d'expression pacifique de leurs opinions. Le droit à un procès équitable n'est pas assuré.
Un régime d’exception
Pour ce qui est des libertés publiques, l'Algérie est depuis les années 1990 sous un régime d'exception. Les dispositions d'urgence instaurées en 1992 ont été pratiquement intégrées dans le droit commun. Elles sont aujourd'hui utilisées abusivement pour réprimer les libertés fondamentales. La loi n° 20-06 modifiant le Code pénal criminalise la liberté de la presse, la liberté d'expression et la liberté d'association en incriminant la "propagation de fausses nouvelles".
La lutte antiterroriste est utilisée comme prétexte pour réprimer l'opposition politique pacifique dans le contexte du Hirak. La notion de "terrorisme" manque de clarté et de prévisibilité ; elle étend ainsi son champ d'application pour incriminer les libertés fondamentales. Dans une communication conjointe en date du 27 décembre 2021, plusieurs experts de l'ONU ont appelé l'Etat algérien à réviser la législation antiterroriste en soulignant sa contrariété aux normes internationales en la matière. Ils ont également rappelé que "le travail légitime et pacifique des défendeurs des droits humains ne doit jamais tomber sous le coup des législations antiterroristes ou être criminalisé".
Autre dossier de mise en cause : les politiques racistes et les expulsions collectives de demandeurs d'asile et de migrants subsahariens. L'Algérie avait accepté en 2017 une recommandation pour mettre fin à ces situations. Mais à ce jour, elle maintient sa politique en expulsant les migrants collectivement, y compris les femmes, les enfants, les migrants réguliers et les demandeurs d'asile. Elle les accuse de se livrer à des "activités criminelles"...
Il faut encore mentionner les violations graves aux camps de Tindouf. Voici quatre ans, 1’Algérie avait accepté une recommandation selon laquelle elle devrait assumer l'entière responsabilité des camps de réfugiés sahraouis sur son territoire et assurer la protection des droits de l'homme de toutes les personnes qui s'y trouvent. L'Algérie a de fait transféré ses pouvoirs régaliens au mouvement séparatiste, en violation de ses obligations de respect et de garantie des droits reconnus par les instruments internationaux à tous les individus se trouvant sur son territoire.
L'Etat algérien doit appliquer ses lois et ses législations sur son territoire souverain à Tindouf et cesser immédiatement de déléguer ses pouvoirs administratifs, sécuritaires et judiciaires à un groupe non gouvernemental et à des milices armées, mettre en œuvre les recommandations des organes conventionnels et des organes de procédure spéciale et ne pas recourir à des interprétations unilatérales du droit international.
La communication avec ces milices en vertu du droit international humanitaire pendant les conflits armés ne signifie pas leur reconnaissance comme un Etat ; ou pas davantage, il ne faut considérer la présence de mécanismes onusiens humanitaires dans les camps de Tindouf comme un consentement.
Tindouf : Abandon de souveraineté
Les autorités algériennes doivent veiller à ce que les habitants des camps de Tindouf bénéficient des dispositions de la Convention internationale relative au statut des réfugiés de 1951, à ce qu'ils soient traités au minimum comme des étrangers et à ce qu'ils puissent circuler librement dans le reste du territoire algérien sans restrictions. L'Algérie doit immédiatement cesser de recruter des enfants sur son territoire, respecter ses obligations internationales dans ce contexte et être consciente que son silence signifie son consentement.
La population des camps de Tindouf doit jouir du droit d'exprimer ses opinions et ses positions, bien qu'opposé à la position politique algérienne, et son droit au retour volontaire doit être garanti. Si un silence épais entoure les camps de Tindouf, c'est parce que les réfugiés qui s'y trouvent ont été, du fait de leur instrumentalisation, forcés de vivre dans une situation de non-droit qui les empêche de jouir de leurs droits en tant que réfugiés.
Ces droits, on le sait, doivent être garantis par la protection internationale, qui est à la charge du pays d'accueil sous la supervision du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR). Le HCR partage donc avec l'Algérie la responsabilité de cette situation. Si le HCR veut faire retrouver à la protection internationale la crédibilité qu'elle a perdue avec ces camps de Tindouf, il est nécessaire qu'il assume ses responsabilités comme il l'a fait ailleurs dans des situations bien plus difficiles.
Il doit le faire en exigeant de l'Algérie l'application des règles en vigueur, celles qui requièrent, en particulier, l'établissement d'un contrôle direct par le même HCR sur les camps de Tindouf, la séparation des éléments non armés des éléments armés, l'exclusion de toute personne qui n'est pas éligible au statut de réfugié et son éloignement des camps, l'accès libre et sans entrave aux réfugiés, la liberté de ces derniers de se déplacer, et la possibilité de disposer de l'une ou l'autre des solutions durables. Néanmoins, si le HCR ne remplit pas son devoir vis-à-vis des réfugiés sahraouis, que ce soit de sa propre initiative ou parce qu'il en est empêché par l'Algérie, les Nations-Unies doivent en tirer la conclusion qui s'impose en mettant en œuvre la « Responsabilité de protéger ».
En faisant cela, les Nations Unies permettraient aux réfugiés sahraouis de retrouver leur liberté et dignité. Elles élimineraient aussi un obstacle majeur qui se dresse contre une solution juste et durable du conflit artificiel du Sahara marocain. La résolution 2654 du Conseil de sécurité adoptée le 27 octobre dernier met bien l’Algérie devant ses responsabilités. Il faudra veiller à cela dans la ligne du processus de négociation de nouveau validé par cette haute instance onusienne.
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid