¨Par Souad Mekkaoui
La nouvelle France de Macron
Il suffit de parcourir les articles d’une certaine presse française pour mesurer à quel point l’islamophobie en France est une véritable chance pour des campagnes électorales mais aussi comme gagne-pain pour certains. Preuve en est les voix obtenues par Marine Le Pen et Éric Zemmour grâce à leur stratégie. Celle de Macron est-elle vraiment loin dans sa quête d’appâter les électeurs d’extrême droite ? Dans ce sens, un prétexte de taille est brandi pour marginaliser les musulmans : « combattre l’extrémisme » bien que l’écart entre les deux est immense.
Mais tous les moyens sont bons pour diaboliser les musulmans, pointer l’immigration qui serait le mal principal de la société française et l’islam qui ne serait pas compatible avec la laïcité et les valeurs françaises. Tant et si bien que plus de 60 % de Français sont persuadés que si la République est en déclin c’est surtout parce qu’elle accueille trop d’immigrants. Heureusement que tous les Français ne sont pas islamophobes.
Or si une grande majorité se sent aujourd’hui en colère, perdue et déboussolée c’est que les choses ne sont plus ce qu’elles étaient avant. La vérité est bien ailleurs que toute théorie institutionnelle raciste.
Bien entendu, Emmanuel Macron affiche ostentatoirement sa volonté de marquer son nom dans l’Histoire de la France comme étant celui par qui l’entente s’est faite avec l’Afrique et surtout avec les pays de l’Afrique du Nord mais il est clair qu’il a du mal à replacer la République au centre de la scène africaine encore moins au Maghreb. C’est dire que la France est en perte de vitesse en Afrique et Paris n’en conserve pas un rôle de premier plan.
Vivement les affaires, la diplomatie peut attendre
Bien qu’un semblant d’adoucissement se soit déclenché à travers la visite au Maroc de la ministre française de l’Europe et des Affaires Étrangères, Catherine Colonna, la toile de fond reste marquée par un ton glacial et grisâtre entre les deux pays qui ont toujours eu des intérêts convergents par le passé. Assurément, pour reprendre des relations de plus belle, il faut faire table rase des sujets de tensions bien imbriqués qui ont fait que la confiance n’est plus présente.
On a beau user de tous les adjectifs laudatifs de la langue française pour qualifier les relations entre le Maroc et la France tels que « exceptionnelles », « uniques », rien n’y sera fait si la « nouvelle » France ne prend pas conscience qu’il s’agit désormais d’une relation qui ne repose plus sur les mêmes bases.
Oui les liens historiques qui l’unissent au Maroc, ont permis à la République d’occuper les premières loges dans les échanges économiques entre les deux pays et cela pour de longues années. Oui entre la France et le Maroc les relations sont plurielles, faites de liens humains, économiques et politiques même si elles étaient ponctuées, parfois, par des épisodes de brouille. Oui entre Paris et Rabat ce sont des liens qui puisent leurs origines dans l’histoire et une culture partagée.
Mais, aujourd’hui, le monde a changé, le Maroc a pris le train et ne veut plus s’arrêter parce qu’il est tout simplement sûr de sa voie et de ses moyens. En prenant part au processus de mondialisation, il intensifie son multilatéralisme. Aussi entend-il multiplier et diversifier ses partenaires que ce soit sur le plan politique ou économique. Assurant et assumant de plus en plus son rayonnement panafricain, le Royaume se tourne d’emblée vers ses partenaires du continent et occupe une place croissante en Afrique, ce qui ne plaît pas, à coup sûr, à l’Élysée.
Mais serait-ce la seule raison du froid ? La Ve République ne s’est-elle pas un peu sentie dépassée depuis la normalisation des relations entre le Maroc et Israël sans qu’elle n’en soit informée ? La France prendra-t-elle part à la seconde édition du Sommet du Néguev qui réunira les signataires des Accords d’Abraham ? Certainement pas. Se verrait-elle exclue des affaires et donc du terrain du Royaume ? Se sentirait-elle hors jeu géopolitique africain et surtout marocain tout simplement ?
De toute façon, ce qui anime la politique étrangère du président français aujourd’hui sont certainement d’autres enjeux dont l’économie et les énergies afin de pouvoir trouver une issue de sortie de la crise qui frappe son pays.
Preuve en est la nomination, au Maroc, de Christophe Lecourtier qui succède à Hélène Le Gal, partie sur fond de crise entre les deux pays. Paris dévoile ainsi ses cartes et la nature des relations qu’elle veut entretenir avec Rabat à travers ce profil plutôt business, une première pour un ambassadeur de France au Maroc. Macron veut ainsi préserver et consolider ses acquis au Royaume, par le biais d’un ambassadeur qui souhaite axer la relation entre Paris et Rabat sur la coopération économique et les investissements, en particulier, dans le domaine des énergies renouvelables.
En tout état de cause, SEM Lecourtier aura fort à faire pour tenter de rétablir la confiance et l’amitié qui caractérisaient, autrefois, les relations bilatérales.
Par ailleurs, un peu plus de 1.000 filiales d’entreprises françaises opèrent au Maroc. Et selon la Chambre française de Commerce et d’Industrie du Maroc, le chiffre d’affaires des plus grandes entreprises françaises dans le Royaume s’élève à quelque 75 milliards de dirhams. Ce qui pourrait rassurer la France puisque les liens économiques ne sont pas impactés par le froid diplomatique. Preuve en est aussi que le Royaume comme l’indique Business France (2021) « s’est imposé comme le premier investisseur nord-africain en France, et en 2022, la France a su préserver sa place du premier investisseur étranger au Maroc devant les États-Unis et les Émirats arabes unis. »
Et puisqu’on y est, force est de souligner que les entreprises françaises investissent dans tout le Maroc hormis les provinces du Sud parce que cela fâcherait bien entendu Alger !
Sauf que Macron doit savoir que ce ne sont pas les chefs d’entreprises qui font les relations solides entre les pays mais les relations humaines et la diplomatie qui ne figurent plus sur sa liste de priorités.
Macron, Maroc et Algérie ou l’équation impossible
Pour réchauffer les relations bilatérales entre les deux pays, une visite au Maroc d’Emmanuel Macron a été annoncée pour le mois d’octobre, reportée au mois de janvier. Or « viendra, viendra pas » est la grande question ! Remontons un peu dans le temps pour y voir plus clair : Au début de son deuxième mandat, monsieur le Président devait effectuer un déplacement symbolique. Voyons voir quel pays il choisirait ! L’Algérie ! Le Président veut resserrer les liens avec Alger, dira-t-on.
Or c’est la crise énergétique qui aura dit son mot surtout qu’il s’agit là d’un pays qui regorge de vastes réserves de pétrole et de gaz dont une grande partie n’est pas encore exploitée. Bien évidemment, si l’Algérie ne pourra pas remplacer la Russie, au moins elle aidera l’Europe à s’approvisionner en énergie à moyen terme. Cela tombe bien pour Abdelmajid Tebboune en quête d’une assise internationale. Les deux pays se caressent alors dans le sens du poil et se roulent les yeux ronds sachant que chacun d’eux sait ce que l’autre attend en contrepartie.
« Remettons les compteurs à zéro et avançons », se diront-ils. Mais les vieilles histoires ne s’oublient jamais quoi qu’on fasse surtout quand les enjeux économiques et géopolitiques l’emportent sur les enjeux mémoriels. D’autant plus que la France qui était le principal partenaire commercial de l’Algérie a cédé sa place depuis déjà longtemps à la Chine. Mais bon, Alger a toujours besoin des investissements français surtout dans le secteur énergétique qui est loin d’être développé.
En annonçant sa visite au mois d’octobre, devant des passants, à la sortie d’un concert de musique au Touquet, quelques jours seulement après sa visite en Algérie, Macron ne savait pas qu’il avait commis un énième impair avec le Royaume du Maroc. C’était la belle illustration qu’il ignore tout de l’Histoire de la monarchie multiséculaire qu’est le Maroc, autrement il n’aurait pas balancé ce ballon d’essai qui lui a éclaté à la figure. Mais avant, avait-il été invité officiellement ? Pas à ce qu’on sache. Apparemment, il est habitué aux décisions unilatérales qu’il prend sans recul. Tout comme les visas dont son ministre de l’Intérieur a décidé la réduction de moitié sans aucune explication plausible faisant fi des étudiants marocains qui constituent quand même un élément principal dans les grandes écoles françaises, les hommes d’affaire dont les travaux ont été bloqués, les malades dont les rendez-vous ont été annulés. Une humiliation que le Maroc ne risque pas d’oublier de sitôt. Une décision unilatérale maladroite, déplacée, irréfléchie et contre-productive qui n’a fait que nourrir un sentiment de rage contre la France dont le visa n’attire plus les Marocains qui se ruent sur les consulats d’Espagne, d’Italie et d’Allemagne. Les autorités françaises tenteront de réparer l’irréparable, une année après, par la visite de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères qui annonce la reprise d’une activité consulaire normale ! Encore une décision unilatérale face à laquelle on a envie de dire : Tout ça pour ça ? A tout cela, le Royaume marocain a répondu par l’indifférence totale. Aucune réaction officielle n’a été faite.
Sans parler de l’affaire Pegasus où la France a impliqué le Maroc en dépit de ses démentis et qui s’est avérée être une supercherie contre le Royaume tout comme l’affaire de chantage des deux journalistes français Éric Laurent et Catherine Graciet. La liste est donc longue.
C’est dire que les relations historiques entre le Maroc et la France n’ont jamais été aussi profondément affectées. D’ailleurs, selon une tradition bien ancrée, dès que le Roi du Maroc se trouvait sur le sol français, des contacts ont toujours eu lieu avec le président français et cela s’illustrait toujours par un dîner de courtoisie. Ce qui ne s’est pas fait en dépit des déplacements fréquents de Sa Majesté le Roi en France. Les relations ont dépassé le stade de la froidure.
Sur un autre plan, on parle de la visite de Tebboune au mois de mai en France…
Le Sahara encore et toujours
Et si on se posait la question suivante : S’il n’y avait pas le chantage dont use l’Algérie à l’égard de la France, est-ce que la position de celle-ci quant à la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur son Sahara serait autre ? Bien sûr que la question n’a même pas lieu d’être tellement la réponse est évidente. La France surveille Alger comme du lait sur le feu. Elle a toujours peur de raidissement et de représailles de l’Algérie qui fait de tous ceux qui sont avec le Maroc des ennemis. Macron ne peut en aucun cas mécontenter son partenaire, partie prenante dans le conflit du Sahara. Or le plus grand point de divergence entre Rabat et Paris est bien entendu le Sahara marocain, condition sine qua none dans toute relation bilatérale avec le Maroc qui exige de ses partenaires de sortir de leur zone de confort et d’assumer leur position à cet égard.
Au moment où la position des États-Unis, de l’Espagne et de l’Allemagne évolue, la France elle, se plaît à répéter un discours qui date de 2007 qualifiant le plan d’autonomie de « solution crédible ». Mais encore ?
Les temps changent, un cycle s’achève, un autre commence dans les relations franco-marocaines qui ont toujours été mutuellement bénéfiques et qu’il serait dommage de gâcher. Il est peut-être temps que Macron, lui qui n’a pas su entretenir l’amitié entre les deux pays, se demande ce qu’il veut vraiment faire de ces liens. Autrement, il fonce toutes lumières éteintes vers un avenir opaque pour ce partenariat pourtant historique. Vouloir reconquérir l’Algérie tout en gardant un œil sur le Maroc serait jouer avec le feu.
Macron doit faire montre de plus de lucidité et comprendre que le Maroc ne lui est pas acquis. Il est urgent de repenser les relations franco-marocaines avec une nouvelle perspective et faire place à de nouvelles formes de partenariats. Nous sommes en plein dans le jeu de la mondialisation et chaque pays se sert de ses cartes gagnantes.
En attendant la confirmation ou l’infirmation de sa visite, aucun indicateur ne montre que les relations reprennent les couleurs de l’amitié. Et puis, serait-il vraiment capable de prendre une décision ferme quant au Sahara marocain ? Autrement, on se demande à quoi servirait sa visite.
Rédigé par Souad Mekkaoui sur Maroc Diplomatique