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Par Mustapha Sehimi
Une position appelée à être réévaluée
« On peut penser de prime à bord que la décision de nommer Mohamed Benchâaboun à la tête du Fonds Mohammed VI est une sanction, mais je ne crois pas que ce soit une mesure prise dans le cadre des rapports de Rabat avec Paris », explique Mustapha Shimi, politologue et professeur universitaire.
En effet, le Maroc attend de Paris une réévaluation de sa position sur la question du Sahara marocain. Et pas seulement. « Quand la première puissance mondiale (Etats-Unis ndlr.) soutient la marocanité des provinces sahariennes, qu’Israël, que l’Espagne, une puissance occupante historique, la mieux placée pour connaître les tenants et les aboutissants du dossier, et que l’Allemagne ainsi que plusieurs autres pays le font aussi, la France qui n’est plus aussi puissante qu’avant, se doit de clarifier sa position », fait savoir le politologue.
D’après lui, le royaume souhaite que Paris améliore sa position en tenant compte des positions récemment exprimées au sein de l’UE (Madrid, Berlin). « Sans oublier la trentaine de consulats généraux à Dakhla et Laâyoune, qui témoignent d’un soutien majoritaire et massif sur la cause nationale », affirme-t-il. Et cette position, le souverain l’a explicitée lors de son discours du 20 août 2022. « Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit », a insisté le souverain.
«S’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque», a-t-il poursuivi.
Le Maroc, une puissance régionale influente
Mais avec un poids dans les équilibres mondiaux qui s’amenuise inéluctablement -le PIB chinois est passé de 1,6 % du PIB mondial dans les années 1990 à 16% aujourd’hui, tandis que le PIB français de 5,6 % à 3 % la part de la France dans le commerce mondial a chuté d’environ 6 % en 1995 à 3 % aujourd’hui. « En regardant ce qui se passe au Sahel, au Liban, au Moyen-Orient, en Ukraine, la France a tout essayé, mais en vain. En ce qui est du conflit ukraino-russe par exemple, Emmanuel Macron a téléphoné à plusieurs reprises sans que ses appels ne soient pris en compte », détaille le politologue.
Et sans surprise aucune, le délassement de Paris lui déplaît beaucoup. « Et alors que le royaume se dote d’une diplomatie proactive, souple sur ses positions et avec une visibilité sur différents volets tels que la lutte antiterroriste, le déploiement d’une coopération Sud-Sud en Afrique, l’environnement et les changements climatiques, la politique migratoire, elle recule », dit notre interlocuteur.
«Il y a quelque chose qui a changé lors des dix années écoulées. Quelque chose qui donne au Maroc un nouveau statut. Et le Maroc sur ce plan, a plus d’influence et est devenu une puissance régionale influente. Et tout ça est mal perçu par la France qui considérait le Maroc comme un pays précompté, pratiquement protégé, relevant de sa zone d’influence. En plus du rôle et du nouveau statut du royaume, il y a aussi le leadership du roi. Un leadership personnel, moral et politique», ajoute Mustapha Sehimi.
« Pas de feeling »
Mais au-delà de ces tracasseries administratives, on peut dire que le courant ne passe pas entre les deux chefs d’État. Le Maroc a été habitué à des relations privilégiées mais les choses ont changé. Selon le professeur universitaire, la relation entre le président français et le souverain est supplémentaire, car entre Paris et Rabat, il y a un facteur subjectif de relation de confiance absent, « qui aiderait beaucoup à huiler les choses ainsi qu’à les fluidifier. »
« Il n’y a pas beaucoup de feeling entre le président français et le roi. Il y a probablement un problème générationnel. Il y a aussi le fait que l’univers culturel du président accorde peu de place à l’univers du Sud, du tiers-monde, du monde arabe, du Maghreb et du Maroc. C’est pour cela qu’il n’y a pas de feeling entre les deux chefs d’Etat », rapporte le professeur universitaire.
Ainsi, le rapprochement entre Paris et Alger est une position qui a un prix. Aux yeux d’Emmanuel Macron, ceci met en péril ses relations avec Rabat, mais il a l’air d’assumer. Car pour lui, l’axe Paris-Alger est à la fois prioritaire et important, surtout aujourd’hui. « En termes de géopolitique, il y a un axe Paris – Alger qui se renforce, mais en même temps, il y a un axe Madrid – Rabat qui se solidifie aussi, avec davantage de cartes pour le Maroc. Le royaume a des cartes en Afrique, au Moyen-Orient, aux Etats-Unis, en Israël », explique le politologue.
Partagé par Mustapha Sehimi