Par Naim Kamal
C’est qu’on a tant parlé de plans de réforme du système éducatif, souvent abandonnés à peine commencés, que l’on a fini par se convaincre que leur sabordage est délibéré pour garder au Maroc ses inégalités et ses disparités, l’école ayant démissionné de sa mission d’ascenseur social.
Les trois maux de l’enseignement
Aux interrogations et aux doutes légitimes qu’a soulevés cette sa nouvelle initiative, Chakib Benmoussa a répondu devant la Chambre des conseillers : ‘’Ces consultations nationales ne se concentrent pas sur l’évaluation de l’état du système éducatif, ce dernier étant connu dans tous ses détails’’, dit-il, enveloppant sa réponse de grandiloquentes phrases, inutiles mais nécessaires dans le cénacle où il se trouvait, sur la transparence et la démocratie participative.
Mais quels que soient les diagnostics et les réponses du ministre, l’école marocaine souffre de trois maux dialectiquement liés, se nourrissant mutuellement dans un système où il est urgent de remettre de l’ordre :
L’appauvrissement social, intellectuel et moral du cadre enseignant. Nul besoin de s’attarder là-dessus.
La coexistence de trois classes d’enseignement :
La publique délaissée aux démunis, la plus part démissionnaires de l’éducation de leurs enfants par la force des choses, quand bien même ils rêvent pour eux d’un meilleur avenir que leur propre présent. La privée, mieux lotie, qui phagocyte la première, mais elle-même stratifiée tels des hotels, de zéro à cinq étoiles.
L’étrangère (française, belge, espagnole, américaine, britannique…), qui assure la reproduction de la plupart des élites.
Et enfin le troisième mal qui paralyse l’enseignement marocain, autant le public que le privé, chacun pour des raisons différentes aussi inavouables les unes que les autres. Milieu censé par définition être le plus ouvert aux changements, le plus réceptif aux évolutions, le plus perméable aux nouvelles idées, il est paradoxalement le plus hermétique aux transformations et au mouvement.
Le triangle des Bermudes
C’est sur ce terreau d’immobilisme et d’inertie qu’a atterri Chakib Benmoussa. Sa nomination à ce poste a été perçue comme l’expression de la volonté royale d’en finir avec les atermoiements, les hésitations et les faux-fuyants.
Et dans ce chantier des douze travaux d’Hercule, il avait le choix entre le nettoyage des écuries d’Augias, risqué, ou la voie de la pédagogie en ratissant aussi large que possible.
Le lancement de consultations nationales pour l'amélioration de l’école publique indique qu’il a opté pour la quête de l’adhésion. Derrière cette initiative, on peut subodorer une arrière-pensée, briser le triangle des Bermudes (administration, cadre enseignant et syndicats) dont il se sentirait un peu l’otage. C’est peut-être ce qu’il laisse entendre en affirmant que le lancement de « ces consultations à partir des établissements scolaires, incarnant la centralité de l'école dans la réforme, [tend à impliquer] les premiers bénéficiaires des services de l'école, à savoir les élèves, leurs mères, pères et tuteurs, ainsi que […] » etc.
C’est habile et il faut lui souhaiter bonne chance. Comme les généraux de Napoléon, il en a besoin. Car si lui n’y arrive pas…, mais ne soyons pas cassandres, il y va du Maroc et de sa pérennité. Encore faudrait-il lui laisser le temps de mener sa mission à son terme, qui est long.
Rédigé par Naim Kamal sur Quid