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Par Abdeslam Seddiki
Il s’agit d’un travail original qui a demandé la mobilisation d’une série de documents et d’enquêtes : les résultats du recensement général de la population (2014) ; l’enquête sur le secteur informel (2013) ; les enquêtes annuelles sur l’emploi ; L’enquête nationale sur les structures économiques réalisée par le HCP en 2015, relative à l’exercice 2014 ; l’enquête annuelle sur les industries de transformation réalisée par le Ministère de l’Industrie et du Commerce ; diverses statistiques administratives émanant notamment des organismes d’assurances de de la TGR.
Par ailleurs, le CSE (compte satellite pour l’emploi) constitue la jonction et le rapprochement entre le système de comptabilité nationale de 2008 et les recommandations du Bureau International du Travail en matière des statistiques du travail.
Qu’entend-on par « Compte satellite de l’emploi » ? Le CSE se présente comme un ensemble de matrices qui fournissent une vue affinée sur les principales caractéristiques du facteur travail mobilisé dans l’économie nationale.
Ces données sont fournies selon les branches d’activité, les secteurs institutionnels, le statut professionnel des travailleurs, le sexe des travailleurs et leurs qualifications.
Ainsi, l’architecture globale de ce compte comprend une série de matrices chacune dédiée à une variable clé relative au facteur travail. Ces variables sont les effectifs employés, les heures travaillées, les rémunérations versées et les emplois équivalents plein temps.
Il va sans dire que le document produit par le HCP est particulièrement dense qu’il est fastidieux de vouloir le résumer. Aussi, limitons-nous à quelques données phares sur la situation de l’emploi au Maroc.
Ces données viennent soit confirmer un certain nombre de caractéristiques déjà admises, soit apporter de nouveaux éclairages pouvant aider à l’avenir les pouvoirs publics à revoir la politique de l’emploi et les orientations économiques qui la sous-tendent.
Concernant les effectifs globaux de l’emploi, ils sont évalués en 2014 à 10,62 Millions dont 44,2% sont des salariés et 55,8% relèvent de la catégorie non salariée comme les indépendants, les aides familiaux et les employeurs. Toutefois, la répartition des effectifs en équivalents plein-temps par emploi salarié et emploi non salarié montre que les salariés travaillent plus, en termes d’heures travaillées, que les actifs indépendants.
Leur part est passée de 44,2% dans l’emploi total (mesuré en personnes physiques) à 47% dans l’emploi total mesuré en effectif équivalent plein temps, alors que celle des travailleurs indépendants a baissé de 55,8 % à 52%. En 2019, les proportions entre emploi salarié et emploi non salarié se sont pratiquement inversées, ce qui reflète l’évolution de la société marocaine vers une société dominée par les rapports salariaux même si les rapports de type traditionnel demeurent encore importants.
C’est ainsi que les ménages contrôlent 67 % des emplois. Phénomène pour le moins anachronique : alors qu’un ménage est défini dans la terminologie économique comme une « unités de consommation », on le voit jouer un rôle dominant comme « unité de production » ! C’est un facteur qui bloque en quelque sorte la transformation économique et freine le rythme du changement.
D’ailleurs, l’économie marocaine s’appuie essentiellement sur des emplois non qualifiés qui représentent plus de deux tiers de l’emploi mobilisé. Cette proportion varie bien évidemment selon les secteurs d’activité : elle va de 20% dans les administrations publiques à 87,2% dans le secteur institutionnel des ménages (99% dans l’agriculture et pêche).
Parler dans une telle situation « d’employabilité » ça revient à noyer le poisson dans l’eau. Les données relatives au taux de chômage son parlantes : Ce sont les diplômés qui en souffrent plus ! La cause est simple et limpide : l’économie marocaine a plus besoin de « mains agissantes que de têtes pensantes ».
Cette précarité de l’emploi touche plus les femmes que les hommes. Outre leur exclusion du marché du travail du fait qu’elles ne représentent que 30 % de la population active totale, elles sont présentes essentiellement comme des aides familiaux et exercent des métiers pénibles.
Elles pâtissent de mauvaises conditions de travail et d’une faiblesse de rémunération par rapport aux hommes : la différence de rémunération va dans certains secteurs du simple au double.
Alors que la fourchette de variation des salaires (annuels) des femmes dans les différentes branches va d’un minimum de 24 616 DH à un maximum de 180 814 DH, les salaires des hommes fluctuent entre un minimum de 52 067 DH et un maximum de 249 244 DH.
L’analyse de l’évolution des productivités et des rémunérations salariales ne manque pas non plus de surprises. Ainsi, entre 2015 et 2019, la part des rémunérations salariales (l’ensemble des salaires distribués par l’économie) est passée respectivement de 38,4% à 36,9%, soit une diminution de 1,5 point, ce qui signifie un creusement des inégalités entre les revenus du travail et les revenus du capital exprimés par l’EBE (excédent brut d’exploitation).
Cette inégalité s’expliquerait aussi par une évolution différenciée de la rémunération salariale moyenne et de la productivité moyenne. En effet, l’évolution de 1,9% de la productivité entre 2014 et 2019, ne s’est pas accompagnée d’une amélioration des salaires moyens réels. Bien au contraire, ces derniers se sont au contraire détériorés d’environ 0,9%.
Cette différence a atteint son paroxysme dans l’agriculture et pêche qui a connu une nette amélioration de la productivité de 4,4% contre une baisse des salaires de 1,7%. Encore une fois, les limites du PMV apparaissent au grand jour.
Il faut, bien sûr, tirer tous les enseignements qui s’imposent de cette importantissime étude, qui constitue, rappelons-le, la première expérience au niveau africain et la quatrième au niveau mondial.
Les questions qui y sont soulevées doivent absolument retenir l’attention des pouvoirs publics et faire l’objet d’un débat national.
Il y va de l’intérêt de notre pays qui ambitionne d’accéder au rang des pays émergents. Ce qui exige la mise en œuvre d’une façon concertée et démocratique des réformes structurelles de l’économie nationale et dont le Nouveau Modèle de développement a déjà tracé les contours.
Rédigé par Abdeslam Seddiki