Par Mustapha Sehimi
Malgré ses insuffisances et ses « blancs », (culture, valeurs, identité…), le Nouveau Modèle de Développement (NMD) propose bien des pistes dans ce domaine. Elles s’articulent autour de la nécessité d’une « nouvelle doctrine de l’urbanisation ». Celle-ci se décline autour d’approches de planification urbaine centrées sur la qualité du cadre de vie et sur la mixité sociale et fonctionnelle. Il s’agit d’élaborer et d’appliquer un cadre de référence national pour le développement urbain. En termes concrets, différents domaines sont proposés à cet égard : espaces verts, infrastructures socioculturelles, gestion efficace des services publics urbains (transport, déchets, etc), gestion durable du foncier, renforcement de l’inclusion et de la mixité sociales en réorientant la politique d’appui à l’accès au logement.
Tout cela ne pourra être mené que si l’on clarifie la gouvernance de la planification urbaine. Ce qui commande une mise à plat de la place et rôle des institutions et des acteurs locaux et centraux. Qui doit faire quoi ? Quels sont les périmètres d’action respectifs ? Quelles modalités de coopération et de décision ? Quelles normes de planification ? Quels outils de planification ? Avec ce corollaire : doter les collectivités territoriales et les acteurs locaux des moyens de réalisation des objectifs fixés.
Question donc de capacités techniques et humaines. Et de responsabilisation. D’évaluation des résultats aussi.
La référence à la planification est insistante. Du nouveau dans la littérature économique, officielle ou non : elle est à l’ordre du jour. Le Souverain a appelé ainsi, devant le parlement, en octobre dernier, à revoir le statut actuel du Haut-Commissariat au Plan (HCP). En plus de ses prérogatives actuelles, il s’agit d’en faire un mécanisme d’accompagnement de la mise en œuvre du NMD. Quand cette réforme verra-t-elle le jour ? Le cabinet Akhannouch s’en préoccupe-t-il de manière prioritaire ? Les problématiques ne manquent point. Celle de la croissance et de l’urbanisation n’est pas la moins contraignante : tant s’en faut. Qui peut être le maître d’œuvre ? Le « système » institutionnel en place aujourd’hui pourra-t-il assumer ? L’une des pistes est la création – avec les collectivités – d’une entité nouvelle dont la mission serait la coordination du développement des grands pôles urbains. Autre aspect aussi : la mobilisation de nouvelles sources de financement. Mais comment ? Une gestion plus efficiente des dépenses, une mutualisation des moyens ainsi qu’une optimisation des ressources foncières.
Transport… et logement
Par ailleurs, pour ce qui est de la mobilité, se pose le problème du rôle du transport public comme service public de base – et comme mode de transport privilégié. Une vision commune est nécessaire entre les parties prenantes (Etat, collectivités locales) et ce sur la base de principes et d’objectifs. Le département de l’Intérieur a mis sur pied des structures d’accompagnement (pilotage stratégique, réglementation, standardisation) ; un Fonds d’accompagnement des réformes du transport urbain et interurbain (FART) a été créé. Son rôle doit cependant être élargi avec davantage de moyens financiers.
C’est aussi toute une réflexion qui doit être finalisée à propos du renforcement du financement public national et local. De quoi intéresser les opérateurs privés et assurer la qualité du service. Et, au-delà, prendre en compte l’orientation de l’écosystème de transport urbain vers « une mobilité verte », électrique et hybride permettant ainsi d’appuyer le positionnement du Maroc dans la chaine de valeur mondiale.
Le cadre de vie c’est aussi l’importance du logement décent et de l’amélioration du bien-être des citoyens. Les périodes actuelles du confinement, depuis mars 2020, ont accentué cette question. Le droit au logement a été consacré par la Constitution au même titre que d’autres- éducation, formation professionnelle, santé de base, protection sociale, couverture médicale, emploi, accès à l’eau. Des Discours Royaux insistent sur le développement durable et le logement décent comme une condition de la « dignité humaine », de la « cohésion sociale » et du « vivre ensemble ». Le logement social doit faire l’objet d’une meilleure régulation et ne pas générer un effet de « ghettoïsation » et de villes dortoirs. La politique publique doit sortir d’une logique d’incitation fiscale au profit des promoteurs immobiliers et prioriser l’aide financière directe ciblée en faveur de ménages éligibles. De même, le marché de la location doit être dynamisé pour les ménages et individus à bas revenus.
Des objectifs et des axes
Un vaste programme donc ! Une stratégie de développement urbain doit se traduire par des objectifs sectoriels et des axes. Une vision partagée : tel est l’enjeu. Que veut-on et souhaite-t-on dans la ville à long terme, dans 20 ans ? Pour assurer quelles fonctions ? Et quelles activités ? Avec quelles potentialités ? Quelles faiblesses à corriger et quelles nouvelles opportunités à saisir et à consolider ? Les axes stratégiques précisant les domaines doivent être réalisés globalement puis précisés dans une liste de projets ou d’actions. Certains axes s’imposent (transports, cadre urbain, etc.) mais d’autres sont spécifiques liés à l’option stratégique retenu (métiers de la pêche, de l’artisan, de la technologie, de la logistique, du tourisme,…).
Les axes sélectionnés sont à rattacher aux objectifs ; la cohérence de la stratégie doit être anticipée en évaluant aussi le potentiel de synergie. Ce programme doit être débattu et validé par les acteurs concernés. Doivent être retenus les projets structurants prioritaires contribuant au développement souhaité. Des projets de nature à pouvoir modifier la trajectoire de la ville, à faire l’objet de « contractualisation » avec les maîtres d’ouvrage et à améliorer sa compétitivité. Autre contrainte : une étroite collaboration avec les représentants des ministères investisseurs ainsi qu’avec d’autres opérateurs concernés, privés ou associatifs.
C’est le problème de l’acceptabilité de projets par leur principal porteur.
Au final une stratégie de développement urbain est un long parcours de coordination- contractualisation sur la base d’accords entre départements ministériels et collectivités territoriales (région, province, préfecture, commune). De tels accords ne peuvent se faire que bilatéralement, la collectivité territoriale devant discuter séparément avec chaque département des projets qui la concernent. Certains entre eux sont programmés à court terme dans les lois de finances successives ; d’autres sont inscrits dans des stratégies ou des programmes sectoriels.
Le département ministériel compétent doit renforcer les fonctions de coordination interministérielles et territoriales. Qu’en sera-t-il en 2022 et au-delà ? Une stratégie conséquente et efficiente de développement urbain ne relève ni des annonces ni de l’affichage, encore moins de l’enfumage, mais d’une forte dose de volontarisme réformateur…
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid -