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Par Aziz Boucetta
A l’inverse de cette qualification quelque peu guerrière donnée par Kateb Yacine au français, « un butin de guerre », cette langue est un legs pacifique d’une histoire partagée, sur le socle de laquelle un grand espace de francophonie culturelle est né, devenant plus tard le territoire de la Francophonie politique. L’expansion ayant été favorisée par les guerres et les colonisations, le legs francophone subsiste aujourd’hui dans deux grandes zones géographiques, le Nord et le Sud.
Dans le Nord, Belgique, Suisse et Canada se sont approprié l’emploi et souvent la grammaire et le vocabulaire français, alors que dans le Sud, la France continue de « gérer » la langue, à travers une Académie française exclusivement… française, même si l’essence même de cette Académie et sa raison d’être est une langue parlée par une majorité de non-Français.
Dans l’intervalle, le monde a changé, évolué et, avec la révolution numérique, les cultures se sont livré une guerre sans merci. L’anglais a pris une sérieuse avance, le mandarin avance inexorablement, le castillan résiste et persiste dans de vastes régions du globe, et le français recule, sabordé par la nouvelle génération de dirigeants français, la macronie anglophone et anglophile, et sabré par les jeunes générations des anciennes colonies, pour diverses raisons, tant sociologiques (rejet de la langue de l’élite) que pédagogiques (facilité de l’apprentissage de l’anglais) et « globales (l’anglais est la langue d’échange du web, donc du monde).
Le grand mouvement de bascule du français vers l’anglais (en France et dans ses anciennes colonies) avait déjà commencé voici plusieurs années, mais il a été favorisé par cette nouvelle génération de dirigeants français qui, libres de renoncer à leur propre cultureet à leur langue, se sont rendu coupables d’affaiblir celles d’autres qui les ont adoptées.
« La Francophonie nous a fait rêver comme elle avait été rêvée à sa naissance par Léopold Sédar Senghor, Diori Hamani et Habib Bourguiba. La langue française, cette si belle femme, est venue habiter une aire géographique, l’Afrique, où elle est presque mieux que chez elle », relève le poète Amadou Lamine Sall…
Quel crédit accorder à cette phrase de Mme Mushikiwabo quand, à l’issue du Sommet de la Francophonie à Djerba, elle affirme que « nous sommes en route vers une francophonie de l'avenir, modernisée, beaucoup plus pertinente », alors même que la Francophonie, en Afrique, se vide comme une baudruche au profit du Commonwealth ? Quelle crédibilité prêter à ce chiffre, osé à Djerba, de 321 millions de locuteurs en français, appelés à doubler en 2050 alors que l’anglais est de plus en plus attrayant ?
Aucune… et pour dire vrai, pour que la francophonie puisse encore vivre, il est nécessaire de penser à confier les rênes de la Francophonie à ses initiateurs, les Africains, avec le concours des Québécois qui vouent une véritable passion pour cette langue désormais menacée !
59% des locuteurs usuels en français vivent en effet en Afrique, ce qui fait de ce continent le réservoir par excellence du potentiel de l’expansion de la langue française. De plus, sur les 13 pays ayant le français comme langue officielle unique, 11 sont africains, et dans l’ensemble des 18 Etats qui ont choisi la langue française comme l’une de leurs langues officielles, 12 sont en Afrique. Enfin, dans 6 pays où plus de 20% de la population s’exprime en français, trois sont africains, et plus précisément en Afrique du Nord.
Aujourd’hui, la Francophonie, d’instigation française (bien qu’elle soit d’inspiration africaine), illustre cette pensée de Georges Clemenceau : « Quand les événements nous dépassent, feignons d'en être les organisateurs ». Alors, puisque l’histoire de la mort lente du français s’accélère, que la France, par sa politique de migration certes souveraine mais aussi incertaine, réduit le sentiment d’appartenance à la culture française et augmente le ressentiment de ses usagers, il est temps de repenser une autre Francophonie, plus africaine, car, comme le dit encore Amadou Lamine Sall, nous sommes sur « un clap de fin pour la francophonie ».
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost