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Par Mustapha Sehimi
La communication de crise est sans doute l'un des piliers de toute stratégie de gestion de crise. Trois phases principales l'articulent: prévention, réponse et reconstruction. La première a trait à l'avant-crise; elle se préoccupe de la mise en place des stratégies de communication pour prévenir les crises ou à tout le moins pour en réduire les impacts.
La deuxième regarde la communication consacrée à la gestion de la crise proprement dite; elle est un outil d'alerte, de coordination mais aussi d'information et de régulation (notamment des rumeurs et fake news). Enfin, la dernière voit la communication contribuer à la reconstruction de l'image pour aller au-devant des attentes du public et des parties prenantes.
Il faut, ici, faire également référence à ce que l'on appelle la communication sensible. Celle-ci prend en compte le constat des limites voire même de l'obsolescence des principes conventionnels de communication de crise; elle mesure l'incrédulité croissante des publics, elle s'emploie aussi à appréhender l'avènement d'Internet qui modifie considérablement la donne communicationnelle.
La communication sensible ne doit pas être confondue avec la communication de crise ou de risque: elle se veut plus complexe et incertaine, avec des contours particuliers. Elle ne doit pas être segmentée thématiquement mais adopter plutôt une approche intégrée. Sur quelles bases? La relation entre les publics et un sujet (projet, évènement, entreprise, produit, choix politique, etc.), les perceptions, le contexte, les thèmes et les enjeux.
Deux champs sont à retenir à cet égard: d'une part, les émotions qui animent un individu ou un groupe social impacté par un évènement; et d'autre part, le potentiel social du sujet cristallisant la crise, c'est-à-dire la probabilité qu'un large groupe social s'en empare. Il faut ajouter qu'une telle communication peut être à risque sur un sujet controversé, clivant: religion, pouvoir d'achat, inflation, identité et valeurs sociétales, solidarité...
La communication sensible doit être déstandarisée par rapport aux règles traditionnelles, elle doit s'inscrire dans une logique globale. Quels points à retenir? Elle doit intervenir en amont; elle ne doit pas non plus se limiter ponctuellement à une réaction mais plutôt se situer comme une construction soutenue par une communication régulière; elle doit appréhender les publics visés; elle doit encore déterminer les thèmes émergents en analysant distinctement les positions et les oppositions.
Elle se distingue des «coups de com», des affirmations gratuites et des oppositions brutales, finalement peu efficaces. Communiquer dès le départ: voilà aussi le crédo. Une crise liée à un évènement éclate avec des conséquences potentielles. Recherchée par les médias, elle conduit à des enjeux de positionnement des uns et des autres à diverses échelles. C'est le «temps zéro» de la crise qui va actionner l'incertitude et l'effervescence.
Il y a le temps de la gestion de crise, celui des réseaux sociaux et de l'opinion, et celui médiatique. Ce sont des temporalités différentes, divergentes, qu'il faut essayer de réconcilier en étant à l'écoute des attentes et des besoins des différents acteurs. Il s'agit également, dans cette même ligne, d'éviter une perception en décalage ou en déphasage avec l'opinion publique.
En communication de crise, ce «temps zéro» est un moment particulier: il se situe immédiatement après la survenue d'un évènement. Une phase d'incertitude: peu de faits sont encore vérifiés et avérés, les conséquences et les impacts de l'évènement ne sont pas bien connus. Il est difficile alors de répondre aux questions que se posent naturellement la population et les médias: que se passe-t-il? Les victimes? Les dégâts sur la vie sociale, économique, environnementale? Comment cela a-t-il pu se produire? C'est justement à ce moment de la crise qu'il est indispensable de communiquer. Pourquoi? Afin d'établir un climat de confiance avec la population et l'ensemble des acteurs mobilisés.
L'autorité ou l'organisation à la manœuvre doit avoir ce souci premier de confirmer une légitimité et une capacité à gérer l'évènement et à faire face. Un cas d'école au Maroc est bien le modèle de communication de crise mis en place dès mars 2020 avec la lutte contre la pandémie Covid-19 et son triple impact sanitaire, social et économique.
Le dispositif de communication de crise mis en œuvre doit, par ailleurs, être calibré en fonction de l'ampleur de l'évènement, de son caractère courant ou exceptionnel ainsi que de sa puissance anxiogène: profil et statut du porte-parole, visibilité des messages, mobilisation adaptée des partenaires et des relais. Le message doit ainsi être en cohérence avec la réalité du terrain -ne pas dire qu'un évènement est insignifiant mais déployer un dispositif d'ampleur sur le terrain est difficilement explicable…
Il vaut également de synchroniser avec les populations touchées: c'est une exigence de phasage, gage de légitimité. Il faut donc «prendre le pouls» des populations concernées, écouter leur perception et leur compréhension de cet évènement. Bien informer pour arriver à rassurer, telle est la bonne approche. La synchronisation se doit aussi de faire avec les acteurs mobilisés (opérationnels sur le terrain, associations d'aide aux victimes...). Cette cohérence est un gage de confiance de l'opinion publique.
La diffusion de messages par trop discordants entre les acteurs induit un climat de défiance. L'émetteur peine alors à être audible; son message n'est plus entendu. D'où la nécessité que chacun s'exprime dans son champ de compétence et d'expertise. La construction du discours de la communication de crise doit suivre naturellement ces trois registres du langage: l'émotionnel qui permet d'incarner le message, le raisonnement logique qui doit porter sur les éléments concrets à disposition afin de présenter l'évènement ou la crise; enfin, le caractère crédible de l'émetteur du message, perçu comme digne de confiance et de respect.
Il faut veiller à une bonne synchronisation, faute de quoi une mauvaise communication viendrait s'ajouter à la crise en cours.
Cela dit, reste à s'interroger sur la prise en compte de la rumeur dans la communication de crise. Elle est définie dans certains principes: célérité, expansion et déformation progressive de l'information. Des caractéristiques communes: elle est véloce, insaisissable, basée non pas sur la véracité de ce qu'elle véhicule mais sur son adhésion par un groupe de plus en plus large, souvent au détriment d'un autre.
Avec Internet, la révolution numérique 2.0 et 3.0 et les réseaux sociaux, l'on voit la force du phénomène de la rumeur au sein de populations touchées par une forme de crédulité réduisant l'influence des médias traditionnels. Un phénomène sociétal qui joue un double rôle: celui de déclencheur de crise et celui de facteur aggravant la crise.
La tâche de l'Etat est la maîtrise de l'environnement média face à la rumeur: son ordre du jour, son espace, ne pas être à la remorque de l'actualité et demeurer au diapason de ceux qui la fabriquent...
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Le 360