Par Taoufiq Boudchiche, économiste et ancien fonctionnaire international
La fermeture de la portion du pipeline traversant le territoire marocain à l’est du pays, par lequel transite le gaz algérien vers l’Espagne et le Portugal, est une mesure qui doit inquiéter plus l’Espagne et l’Europe que le Maroc.
Ce risque avait été soulevé, selon une confidence d’un haut responsable, quand Feu Hassan II avait interrogé le ministre marocain de l’Energie de l’époque sur le risque de fermeture du pipeline par l’Algérie au début de sa construction.
Avant de fermer le robinet du gaz, les responsables algériens s’étaient précipités à Madrid pour rassurer l’Espagne que l’Algérie compenserait cela par d’autres voies, notamment maritimes.
Au vu des réactions de la presse espagnole et de certains pays européens, la guerre du gaz déclenchée par l’Algérie contre le Maroc se traduirait par une probable augmentation du prix du gaz, des incertitudes liées à la pénurie et la nécessité de trouver des voies alternatives d’acheminement du gaz algérien, qui seraient en tout cas injustifiées sur le plan économique vu l’existence d’un pipeline construit pour éviter tout cet imbroglio politique et économique.
Cette décision qui alimente la stratégie de tension contre le Maroc, une de plus, prise par le pouvoir algérien irait, selon une analyse objective au plan économique, à l’encontre même des intérêts endogènes de l’Algérie. Les exportations de gaz et de pétrole représentent plus de 90 % de ses revenus. Des rentrées d’argent précieuses, pour importer des biens de consommation en réponse aux pénuries alimentaires qui affectent actuellement les populations algériennes, victimes collatérales de cette décision.
De plus, en pénalisant ainsi une voie importante d’approvisionnement vers l’Espagne, la décision du pouvoir algérien conduit les pays partenaires européens, jusqu’à l’Italie, à rechercher et prospecter pour l’avenir des scénarios de substitution alternatifs (des fournisseurs plus fiables que l’Algérie, réduction de la dépendance énergétique vis-à-vis d’un pays au bord de l’implosion, accélérer à terme les solutions de substitution au pétrole et gaz algérien comme le solaire et l’éolien).
D’ailleurs, pour cette dernière solution, cela ne fera que du bien à la planète de recourir aux énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique, …), d’autant plus que l’actualité de la COP26 indique que le sujet de la sortie des hydrocarbures à l’horizon 2030 et 2050 est sur la table des grands de ce monde réunis à Glasgow, en Ecosse.
L’Algérie remet ainsi en perspective, sous les yeux de l’Occident, le spectre de la guerre du pétrole. Du point de vue européen, la question stratégique posée en effet par cette décision est qu’elle interroge en profondeur sur la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis de pays instables, qui n’hésitent pas à se munir de «l’arme pétrolière et gazière» pour régler des comptes sur le plan international.
Aujourd’hui, cette décision est assimilée par la presse européenne à «une guerre du gaz», qui aurait un prétexte diplomatique : celui de représailles contre le Maroc en citant pêle-mêle la question du Sahara, les accords signés avec Israël, l’accusation absurde de feux de forêt en Kabylie et j’en passe.
Mais, demain, on ne sait quel autre motif ressortira du «chapeau des généraux algériens» qui conduirait à couper le robinet du gaz pour provoquer des perturbations sur le marché international et des ruptures d’approvisionnement, en guise de représailles contre un quelconque pays ou groupe de pays du voisinage européen, principaux consommateurs d’hydrocarbures. Plusieurs organes de presse européens ont d’ailleurs pointé du doigt l’incompréhension sur le plan économique et géopolitique de cette décision.
Au Maroc, faut-il le rappeler encore à ceux qui en douteraient encore, nous sommes habitués aux décisions unilatérales de cette nature de la part du pouvoir algérien.
A notre avis, elle n’est ni la première, ni la dernière depuis la fermeture des frontières terrestres il y a plus de 37 années, de 1974 à aujourd’hui, avec une exception de courte durée (1988 à 1994). Cette frontière fermée est une absurdité de plus dont les principales victimes sont les familles et les populations frontalières, souvent d’origine mixte (marocaine et algérienne), qui sont empêchées de se voir et de se réunir sans faire des milliers de kilomètres.
Une atteinte flagrante aux droits humains dont les dirigeants algériens devront rendre compte dans le futur.
Taoufiq Boudchiche