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Affaire Megri, « notre nuit (d’inculture) est longue »


Les frères Megri sont de cette génération que les moins de vingt ans, ou même trente, ne peuvent pas connaître… Hassan, Mahmoud, Younes et Jalila ont animé, et marqué, la scène musicale marocaine dans les années 60 et 70, entre ballades et autres chansons romantiques, inaugurant alors un style nouveau pour l’époque. Ils sont aujourd’hui septuagénaires et, les larmes aux yeux, vont être expulsés du domicile qu’ils occupent depuis 1974.



Par Aziz Boucetta

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Les frères Megri sont de cette génération que les moins de vingt ans, ou même trente, ne peuvent pas connaître… Hassan, Mahmoud, Younes et Jalila ont animé, et marqué, la scène musicale marocaine dans les années 60 et 70, entre ballades et autres chansons romantiques, inaugurant alors un style nouveau pour l’époque. Ils sont aujourd’hui septuagénaires et, les larmes aux yeux, vont être expulsés du domicile qu’ils occupent depuis 1974.

L’affaire est simple : les frères et sœur louaient une maison dans le quartier rbati des Oudaya et, avec le temps et leur fibre artistique aidant, l’endroit est devenu une sorte de musée et un lieu de rencontre pour artistes. En 2009, le propriétaire vend son bien à une dame qui entreprend de faire expulser les Megri. Elle est déboutée par le tribunal mais elle ne renonce pas, revenant à la charge avec d’autres arguments, et une autre cour juge en sa faveur. Les Megri doivent partir, dura lex sed lex.

Est-ce normal ? Oui et non. Oui, car la dame, dont la filiation ministérielle est curieusement reprise dans les vidéos circulant copieusement, est dans son droit. Qu’elle argue vouloir affecter son bien à sa fille comme elle l’a dit ou qu’elle dise qu’elle souhaite démolir le lieu et en faire un espace vert ou une maison de jeux, un salon de coiffure ou un observatoire astrologique, cela reste un détail et cela est son affaire. Nous sommes un pays de droit où les locataires ont des droits certes, mais les propriétaires aussi.

L’un des membres de la famille Megri a laissé entendre que la moralité du juge serait perfectible, que la dame propriétaire n’a matériellement pas besoin de son bien, et d’autres joyeusetés du genre, et c’est indigne car ou cette personne sait des choses, et alors qu’elle les dise maintenant, ou qu’elle se taise à jamais sur cette affaire ! Et si les procédures ne sont pas respectées pour l’expulsion, comme le signale cet autre membre de la famille, cela reste un détail car elles le seront plus tard, ou pas, et la justice se prononcera.

Par ailleurs, et c’est le plus important, il n’est pas normal, ni sain, ni noble ni rassurant pour nous tous, Marocains, que des artistes (qui furent) iconiques comme les Megri soient expulsés, qu’ils se retrouvent à la rue ou dans le besoin, et que leurs œuvres d’art soient entassées dans des cartons qui trouveront leur chemin vers un garage humide. C’est bien là notre problème avec la culture dans ce pays pourtant si chargé de culture et dans cette ville pourtant déclarée patrimoine universel par l’UNESCO et si fière et heureuse de l’être.

Que d’artistes, de sportifs, d’intellectuels sont-ils morts au Maroc dans le besoin, dans le dénuement, voire dans la misère… dans l’indifférence de tous ! Nous avons eu bien des gloires qui, au crépuscule de leurs vies, n’ont connu que des déboires, sans que l’Etat ne se sente concerné pour qu’il intervienne. Toutes ces personnes ont eu le malheur de vivre à une époque où Youtube n’existait pas, où le sport ne conduisait pas à la fortune, où les vidéos étaient de la science-fiction, où les concerts lucratifs et les conférences payantes n’avaient pas encore droit de cité.

C’est là que l’Etat doit agir, un Etat qui se respecterait, qui exalterait son passé, qui gèrerait son présent pour mieux préparer son avenir. Il appartient à l’Etat de cultiver la mémoire artistique de ses générations passées et d’honorer les performances de ses champions oubliés. Or, notre Etat est très avare de ce genre d’action : pas de commémorations de nos grandes épopées historiques, pas de filmographie sur nos grands hommes ou nos grandes dames, pas de prise en charge de personnes qui ont porté haut les couleurs du pays… Rien.

Le Maroc n’a pas de Panthéon pour une patrie reconnaissante, mais il est en revanche frappé de l’immense amnésie d’une patrie indifférente. Que sont devenus les lieux de travail du Maestro, de lHajja Hamdaouiya ? Quel sort a-t-il été réservé aux maisons de Houssein Slaoui, de Bouchaïb Bidaoui, de Larbi Benmbarek… ?  Que toutes ces gloires fussent coureurs ou chanteurs, scientifiques ou auteurs prolifiques, danseurs ou conteurs, sportifs ou créatifs… l’Etat doit fouiller dans leurs vies, préserver ce qui doit l’être, y ériger des lieux de mémoire, après s’être assuré que ces gens ont fini leur vie dans la dignité. C’est ainsi que nos jeunes connaîtront leur pays, dont ils apprendraient la grandeur, et c’est ainsi qu’ils y resteront…

Ce qui arrive aujourd’hui à la famille Megri doit interpeller le nouveau gouvernement dont le chef nous dit que nous méritons mieux, et surtout le jeune ministre de la Culture, lui-même amateur d’art et de sport, qui dit vouloir faire mieux. Si la propriétaire a le droit de disposer de son bien comme elle l’entend, l’Etat a également le droit de l’en exproprier en le lui rachetant au prix du marché, puis d’en faire un musée, un lieu de gloire et de mémoire.
Mais depuis deux jours que cette affaire Megri remue les réseaux sociaux, le silence du gouvernement est inquiétant, consternant.
 
Rédigé par Aziz BOUCETTA sur  Panorapost



Vendredi 14 Janvier 2022


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