A lire ou à écouter en podcast :
Lorsqu’il n’y a pas d’actu, on en crée, c’est bien connu… Le paradoxe est de continuer d’en créer même quand il y en a, de l’actualité, et le problème advient quand, en guise d’actu, on fait de l’autopromotion. Ce n’est pas grave en soi, nul n’étant tenu de dire du mal de lui-même, mais si on est à rebrousse-poil des réalités, alors les choses deviennent sérieuses. Et c’est le cas de cette déclaration d’autosatisfaction du chef du gouvernement Saâdeddine Elotmani.
Que s’est-il produit ? A quelques jours du 1er avril, jour du poisson et du canular, M. Elotmani publie un document sur le site de la présidence du gouvernement, chantant les louanges du gouvernement. On y apprend beaucoup de choses intéressantes, qui auraient pu être passionnantes, si elles n’avaient été fausses ! Ainsi de la corruption, par exemple, cheval de bataille de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis quelques décennies, avec un grand ratage de tous ces mêmes gouvernements.
Saâdeddine Elotmani est donc heureux des réalisations de son gouvernement en matière de corruption et, en bon scientifique, il fait parler les chiffres et valser le temps, remontant les comparaisons à loin, très loin. Ainsi, le chef du gouvernement affirme que l’Indice de perception de la corruption est passé à 41 avec son gouvernement, contre 33,2 sous le gouvernement…Jettou (un indice 100 signifie très peu de corruption) ! Fort bien, checkons donc. La moyenne mondiale est de 43, donc nous sommes en-dessous, et en classement, nous occupons, nous autres Marocains, la peu glorieuse 88ème place sur 179 pays, sachant que nous étions 80èmes en 2014.
Le chahuté chef du PJD précise aussi que le gouvernement « a déployé des efforts conséquents au vu du rôle fondamental que [les deux chantiers de gouvernance et de corruption] ont dans l’instauration des règles de bonne gouvernance, de la réforme de l’administration et de l’amélioration de ses prestations, dans la moralisation de la vie publique, ainsi que dans la consécration de la transparence et de la probité, ce qui permet en fin de comptes de réunir toutes les conditions nécessaires pour réussir toutes les réformes économiques et sociales initiées par notre pays ». Toutes, dites-vous ? Non, une grande partie de l’administration et de la classe politique en charge de la gouvernance résistent encore et encore, et toujours, aux réformateurs (si tant est qu’il y en ait dans ce gouvernement). Le Maroc ne le sait pas, mais il l’a échappé belle.
M. Elotmani est un homme intègre, nul n’en doute, et il est aussi légitime, tout le monde en convient volontiers, mais son gouvernement est l’un des plus faibles que le Maroc ait connu. Une naissance dans la douleur et, tout de suite après, les problèmes : résidus psychologiques du blocage politique, un PJD fissuré, al Hoceima, le boycott, des alliés irascibles et remuants par manque d’autorité, la crise sanitaire, l’état d’urgence, la récession et, pour boucler le tout, un PJD seul contre tous pour la question du quotient électoral. Complot ? Non, mais une majorité qui part à vau-l’eau.
Ssi Elotmani parle de bonne gouvernance, en toute inconséquence, voire inconscience. Comment obtenir une gouvernance de bonne facture quand la majorité vit une telle déchirure ? Mais bon, soyons magnanimes… C’est sous ce gouvernement que les USA ont reconnu la marocanité du Sahara, que la reprise avec Israël a été décidée, que le kif sera dépénalisé, que la régionalisation a été lancée, que l’armée a dégagé Guergarate et que la police a engrangé tant de succès… C’est sous ce gouvernement que tout cela a été réalisé, sauf que c’est le roi qui a été à la manœuvre. Autrement, il y avait, à vrai dire, assez peu de chances que tout cela soit fait.
M. Benkirane abhorre M. Elotmani qui ignore M. Benkirane, mais M. Benkirane avait au moins la conscience de reconnaître qu’il était le « collaborateur » du roi lequel, à travers le Conseil des ministres, donne (et suit) les grandes directives du royaume. M. Elotmani, lui, tire la couette à lui en usant et abusant de la méthode Coué : tout est bien, tout est bien, tout est bien… espérant que tout cela finira bien. Cela promet de passionnants débats philosophiques pour la suite…
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com