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Par Aziz Boucetta
Il ne devait en principe pas être difficile d’injecter un souffle nouveau dans cet attelage à trois qui forme la coalition. Attelage certes improbable, très improbable, mais attelage quand même. L’instance de présidence de la majorité se réunit quelquefois, mais on sent que les non-dits sont plus importants que les propos ou déclarations. De toutes les façons, avec M. Akhannouch, c’est toujours l’autosatisfaction, les millions et les milliards et l3am zine, comme on dit en VO.
Et pourtant, comme dans tout gouvernement, les erreurs de casting sont apparues dès le départ, les bévues et autres gaffes ministérielles se sont multipliées, les canardages internes entre partis et entre ministres aussi. Et dans l’intervalle de ces trois ans de mandature, bien des choses ont changé au sein des deux autres partis qui accompagnent le RNI dans son aventure gouvernementale ; le PAM a tout simplement changé sa direction et en a mis une autre à la place, en devenir permanent puisque l’un des trois a déjà quitté le navire, et l’Istiqlal a enfin tenu son congrès et il a même, six mois après, formé son comité exécutif.
Tout cela signifie deux choses : d’abord, que les conditions sont désormais réunies pour remanier, et ensuite que les conditions de ce changement appellent d’autres équilibres et d’autres calculs qu’il y a quelques mois. Alors, un remaniement structurel, avec changement de la majorité ? Peu probable mais possible, pour contenter certaines formations à l’approche des élections. Ou bien un remaniement technique, une forme de jeu des chaises musicales ? C’est plus envisageable. Et on sait que les ministres régaliens ne changeront pas, ou alors sans que cela ne dépende du chef du gouvernement. Il reste les ministres affiliés ou supposés tels.
Au RNI, la maison est bien tenue. Aziz Akhannouch dirige sans contestation, sans protestation, les récriminations étant prudemment avalées. Au PAM, la maison s’ordonne, dans la douleur certes et l’incertitude, mais elle s’organise.
A l’Istiqlal en revanche, les équilibres et rapports de force ont singulièrement changé, et en particulier au sein même du courant sahraoui. A force d’équilibres internes et d’enjeux familiaux, les cartes ont été rebattues, et ont donné naissance à un outsider isolé, une sorte de banni. Il s’agit de Naâm Miyara, ancien président de la Chambre des conseillers et toujours actuel patron du syndicat istiqlalien UGTM. Le puissant et influent Hamdi Ould Rachid, ci-devant protecteur de son proche Naâm Miyara, a finalement et logiquement préféré son fils pour l’installer au perchoir de la deuxième Chambre. M. Miyara est lâché, fâché et il le vit mal ; il faut absolument lui trouver un point de chute car son pouvoir de nui…, non, son pouvoir tout court est grand au sein de son parti. En effet, l’UGTM est un partenaire essentiel au dialogue social et le syndicat compte également dans l’équation interne istiqlalienne. Que faire ? Peut-être remanier et proposer à M. Miyara une sinécure en forme de strapontin ministériel… Il semblerait qu’il a le soutien du chef du gouvernement, qui voyait avec un certain les joutes internes à l’Istiqlal, clan contre clan, chef contre chef, avant que Hamdi Ould Rachid ne bascule les rapports de force…
Et puis, dans ce potentiel remaniement, il y a les noms. On a souvent parlé de ministres partants, mais la liste est élastique ; certains en faisaient partie avant de réussir à en sortir, et d’autres y entrent, à leurs corps défendants. Mais les calculs qui feront le nouveau gouvernement remanié sont complexes car ils répondront bien plus à une logique partisane interne qu’à des nécessités politiques et institutionnelles (renforcer tel département et alléger tel autre).
Au sein du RNI, il y a la « Akhannouch Band » du gouvernement. MM. Jazouli, Sadiki, Baitas et Mme Amor en sont. En dehors de dérouler des chiffres en millions et milliards et d’afficher un contentement toujours ascendant, ils n’auront pas marqué leur passage au gouvernement par des positions hardies, des visions éclairées, des sorties audacieuses. Qu’ils restent dans ce gouvernement ou qu’ils le quittent ne changera pas grand-chose, voire ne changera rien au quotidien des Marocains, qui ne les connaissent d’ailleurs pas. Mais peut-être que certains s’en iront pour laisser la place à des méritants du parti de Ssi Akhannouch…
Pour le PAM, les choses se clarifient aussi, depuis le départ mouvementé de Salaheddine Aboulghali, qui voulait devenir ministre mais qui risque fort d’attendre longtemps, sauf grosse surprise. On parle du départ du ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi, ancien patron du parti, mais l’homme semble idéal pour conduire les réformes judiciaires et sociales (Moudawana). Son avenir politique est derrière lui, il peut donc se jeter corps et âme dans sa bataille législative sans rien risquer. Mehdi Bensaïd, jeune, travailleur, fin tacticien et excellent connaisseur des arcanes de son parti devrait prendre de la hauteur par rapport à Fatima Zohra Mansouri, un peu chahutée en ce moment dans sa bonne ville de Marrakech et à Rabat. Younes Sekkouri et surtout Leila Benali sont portés sur la liste des éventuels partants, ainsi que Ghita Mezzour, les deux dames ayant été estampillées PAM au dernier quart d’heure avant la désignation du gouvernement en 2021.
Mais il pourrait y avoir l’introduction de secrétaires d’Etat. Cela gonflerait l’effectif gouvernemental mais qui s’en soucie, l’essentiel est de satisfaire les uns en mécontentant très peu les autres. Les secrétaires d’Etat, généralement inutiles, pourront prendre en charge les départements ministériels inscrits en queues des fonctions des ministres actuels, qui en parlent très peu : le Sport, l’Innovation, les Compétences, l’Economie sociale et solidaire (ah, l’ESS, ce parent pauvre de l’action gouvernementale…), les MRE ou même l’Afrique (absente de l’organigramme, sauf au titre de la coopération !!).
Alors remaniement ou pas ? Comme nous l’avons déjà écrit, un remaniement du gouvernement Akhannouch importe peu et aura peu d’impact, M. Akhannouch ayant sa manière de diriger, qui ne changera pas; et de fait gouvernement Akhannouch I ou II, le problème n'est pas dans le numéro mais dans le nom qui précède. Il faudra attendre les prochaines élections pour avoir un vrai changement !
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost