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Par Mustapha Sehimi
L’agenda géoéconomique du Royaume est devenu structurant dans sa diplomatie et sa stratégie de développement à long terme. Il s’agit d’une nouvelle séquence historique couvrant la précédente décennie et la prochaine, un cycle de nature à donner, à terme, davantage de contenu et de relief à la position internationale du Maroc.
La posture internationale du Maroc est adossée à une conjonction de données connues: la stabilité, le consensus national, un référentiel de valeurs partagées, un attachement aux principes de la Charte des Nations unies -producteur et pourvoyeur de paix, de coopération et de partenariat. L’évolution enregistrée depuis deux décennies regarde le redéploiement de sa diplomatie vers des latitudes aussi diverses que l′Amérique latine, l’Asie et bien sûr l’Afrique. Celle-ci est servie et rehaussée par le leadership personnel, moral et politique de SM Mohammed VI.
Mais il y a plus. Référence est faite à la place de la géoéconomie, qui conforte et promeut même la place et le rôle du Royaume. Cela tient à la proximité avec des zones d’intérêt économique par suite de sa position entre la Méditerranée, l’Afrique et le continent, sans oublier le détroit de Gibraltar et le marchepied avec l’Europe. Dans la nouvelle corbeille diplomatique de Rabat, l’on trouve sans doute les multiples liens avec ses partenaires traditionnels que sont l’Union européenne et les États-Unis. Mais l’implication dans de nouveaux challenges régionaux et internationaux constitue une valeur ajoutée donnant davantage de visibilité et d’influence à sa diplomatie (énergies renouvelables, changement climatique, migrations, coopération Sud-Sud, multiples aspects du soft Power…). Une politique étrangère de multi-alignement, mais déclinée cependant plus fortement vers l’Afrique, le Sud et l’Ouest et l’Atlantique élargi.
Voilà bien une géoéconomie en mutation. Les partenariats traditionnels restent sans doute au premier rang, mais de nouvelles dynamiques les accompagnent. Ainsi, les relations avec les États-Unis recèlent un potentiel important depuis la signature de l’Accord de libre-échange (ALE) de 2004, entré en vigueur en 2006. Le commerce bilatéral, qui était à cette date de seulement 11,7 milliards de dirhams, a dépassé les 73 milliards de dirhams en 2024.
«Il faut relever que la dimension de la géoéconomie du Maroc ne couvre pas les pays du Maghreb, du fait du très faible volume des échanges commerciaux.»
La question de l’énergie se distingue, quant à elle, par un programme national ambitieux axé sur le développement des énergies renouvelables, solaire et éolienne. De quoi asseoir la posture géoéconomique du Maroc et promouvoir un vecteur de coopération avec des pays de l’Afrique atlantique, mais pas avec les pays voisins du Maghreb. Il faut relever au passage que la dimension de la géoéconomie du Royaume ne couvre pas les pays du Maghreb, du fait du très faible volume des échanges commerciaux, lié, entre autres, à la fermeture de la frontière maroco-algérienne depuis août 1994. Le coût de ce «Non-Maghreb» a été évalué à 2% du PIB des cinq États de cette région. Le secteur de l’énergie intéresse des investisseurs étrangers, américains et autres. C’est d’autant plus notable que l’énergie solaire et éolienne pourra être complétée à terme par la réalisation du gazoduc Nigéria Maroc, incluant pas moins de 13 pays et assurant un accès au gaz naturel à des prix compétitifs. Il faut y ajouter, à long terme, l’exploitation des potentielles ressources pétrolières et gazières offshore.
C’est vers le Sud que se présentent de plus en plus les potentialités d’une ouverture géoéconomique substantielle. Cette tendance est nourrie par plusieurs faits cumulatifs: le secteur financier et bancaire -surtout en Afrique de l’Ouest, le Maroc étant le premier investisseur et le deuxième dans tout le continent, l’agriculture, les BTP, les exportations de phosphates, les télécommunications, etc. L’infrastructure n’est pas en reste dans l’élargissement de ce périmètre.
Le complexe portuaire Tanger-Med est ainsi au premier rang des transits de conteneurs entre l’Asie, la Méditerranée et les destinations atlantiques. Le port de Dakhla Atlantique est lui aussi un projet stratégique majeur avec cette ambition de devenir un hub logistique africain. D’un coût de l’ordre d’un milliard d’euros, son achèvement est prévu pour 2028. Il s’inscrit dans une perspective particulière: renforcement de l’intégration du Sahara marocain, soutien des exportations marocaines, création d’un corridor économique Sud-Sud, et soutien de la vision de passerelle entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique latine. Par ailleurs, le transport aérien est aussi une illustration des liens du Maroc avec l’Afrique, avec en particulier l’aéroport de Casablanca comme plaque tournante majeure des transits entre les capitales africaines, l′Europe et l’Amérique, du Nord comme du Sud.
Le Maroc priorise son redéploiement, ses partenariats internationaux clés étant euro-atlantiques. Les liens économiques avec l’Atlantique Sud se renforcent, en particulier avec le Brésil, via des joint-ventures et des contrats relatifs à la commercialisation et à la valorisation des phosphates. Au total, un agenda géoéconomique devenu structurant dans la diplomatie du Royaume et sa stratégie de développement à long terme. Un cycle de nature à donner, à terme, davantage de contenu et de relief à la position internationale du Maroc. Il s’agit d’une nouvelle séquence historique couvrant la précédente décennie et la prochaine: celle d’un Maroc qui se «mondialise», de nouvelles voies non traditionnelles élargissant les partenariats et offrant de nouvelles perspectives de développement. Une stratégie volontariste d’optimisation de l’influence du Royaume à l’international. Une vision royale mise en œuvre à marche forcée.