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Pourquoi la nouvelle réforme de la moudawana est une très bonne chose …




Par Rachid Boufous

Le conseil supérieur des Oulémas du Maroc a fait ses propositions concernant la réforme du statut des affaires personnelles, communément appelée la Moudawana. Ce statut concerne la famille, l’institution du mariage, les conditions de divorce, de tutorat des enfants mineurs et de l’héritage. Cette réforme attendue depuis celle de 2004, vient d’être présentée devant le Roi, Commandeur des Croyants.

Parmi les propositions retenues par le conseil sur les 100 propositions de réforme, ci-après les points à retenir :

* Institutionnalisation de la Khitba et simplification de la preuve de mariage, avec la possibilité d’enregistrer la période des fiançailles et la limitation de l’usage de la reconnaissance de mariage à des cas exceptionnels, le contrat de mariage devenant la preuve principale.
* Fixation de l’âge légal du mariage à 18 ans, avec une exception stricte pour les mineurs de 17 ans, sous conditions rigoureuses.
* Adaptation des procédures administratives pour faciliter l’accès au mariage aux personnes en situation de handicap.
* Régulation de la polygamie, à travers l’inclusion de l’avis de l’épouse sur l’interdiction ou non de la polygamie dans le contrat de mariage. Ainsi la polygamie sera permise uniquement avec l’accord de l’épouse dans le contrat de mariage ou dans des cas spécifiques (infertilité), sous validation judiciaire.
* Valorisation du travail domestique comme une contribution à la création des biens matrimoniaux.
* Mise en place d’une tutelle légale partagée entre les parents.
* Maintien de la garde de l’enfant pour une femme remariée.
* Protection du droit au logement pour l’époux survivant, suite au décès du conjoint.
* Obligation de pension alimentaire pour l’épouse dès la conclusion du mariage.
* Priorisation des donations pour assurer les droits des filles en absence de fils.
* Lancement de programmes éducatifs pour préparer les futurs époux à leurs droits et responsabilités.

Par ailleurs,  la reconnaissance de la paternité par ADN a été rétorquée, ainsi que le Taasib, cette possibilité des ayants droits outre que les enfants peuvent réclamer leur part à l’héritage (oncles, cousins, tantes…).

Le principal gain dans cette réforme est le fait acté dorénavant que la femme puisse avoir la garde de ses enfants mineurs, même après son remariage. C’est le point nodal de cette réforme, tant les femmes ont souffert de cette double peine auparavant, l’ex-mari réclamant la garde de ses enfants mineurs juste pour emmerder son ex-femme quand elle décidait de se remarier.

Il en est aussi de même pour le droit acquis des pères de transférer des biens par donations à leurs filles de son vivant, ce qui évitera des drames quand des oncles ou cousins proches ou lointains qui n’ont aucunement contribué à la constitution de la richesse du père, viennent réclamer la part de l’héritage à ses héritières quand il n’a eu que des filles.

La femme pourra aussi garder son domicile conjugal après le décès de son époux, évitant qu’elle soit jetée à la rue par les frères et les sœurs du défunt mari. Certains esprits étriqués disent déjà sur les réseaux que la femme dans ce cas pourrait virer sa belle-mère qui habitait avec elle jusqu’au décès de son mari. Balivernes ! Depuis quand une femme accepte que sa belle-mère habite avec elle ? Et quand elle le fait, c’est qu’elle la considère comme sa seconde maman et ne peut donc pas la virer après le décès de son fils. 

Une grande victoire aussi est l’inscription du refus par la femme de la possibilité de polygamie de son futur époux dans le contrat de mariage et ne la permettre que dans certains cas précis d’infertilité ou de maladie grave de l’épouse. Aux poubelles de l’histoire, une pratique médiévale, avilissante pour les femmes, qui devaient accepter d’autres épouses, souvent sous le même toit, sans pouvoir de contestation ou de refus…!

L’autre grande avancée est la tutelle partagée entre les époux de façon définitive. Les femmes pouvant demander des papiers administratifs ou voyager avec leurs enfants mineurs sans demander l’autorisation préalable de l’ex-mari qui rechignait souvent à la donner juste pour enquiquiner son ex-épouse. 

Le fait que la pension devient un acte irrévocable envers les enfants mineurs jusque après le remariage devient leur maman est aussi une grande avancée. Les mecs ne pourront plus tricher avec leurs revenus devant les juges, en les minorant, poussant la femme à toujours chercher à prouver que son ex-mari gagnait beaucoup plus qu’il ne déclarait devant le juge, juste pour payer le minimum requis ou ne rien payer du tout dans la plupart des cas, laissant son ex-femme et surtout les enfants qu’il a eus avec elle dans le dénuement et sans ressources suffisantes pour vivre. 

La réforme actuelle, même s’il elle n’est pas suffisante pour octroyer aux femmes et aux enfants leurs droits pleins et entiers, instaure le principe irrévocable de la responsabilité dans tout acte de mariage. Le mariage n’est pas de la rigolade et il ne faut le prendre à la légère, divorcer quand on veut, sans rien payer. Celui ou celle qui ne sont pas prêts à assumer ces responsabilités n’ont qu’à rester célibataires. 

Il n’ya qu’à voir les chiffres des divorces pour s’en rendre compte. Depuis 2004, le nombre de divorces ne cesse d’augmenter au Maroc. Selon le Haut-Commissariat au plan, 3,3 % des Marocaines de plus de 15 ans étaient divorcées en 2020, soit environ 450.000 personnes. Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) indique que plus de 500.000 affaires de divorce ont été relevées auprès des tribunaux de première instance entre 2017 et 2021. Pour 100 demandes d’autorisation de mariage déposées dans cette période, 50 affaires de divorce ont été enregistrées.

Il était temps de sauver l’institution du mariage en responsabilisant les hommes et les femmes vis-à-vis eux-mêmes et vis-à-vis de leurs enfants mineurs. 

Seul bémol à la nouvelle réforme, le fait de ne pas autoriser la reconnaissance de paternité par ADN. Le conseil des oulémas ne voulait certainement pas acter les relations hors mariage, ce qui peut se comprendre pour des faquihs à cheval sur les dogmes religieux, mais la réalité de la société est là et elle ne saurait être ignorée, les mères célibataires étant toujours ostracisée par une société hypocrite qui ne pardonne rien, quitte à jeter l’opprobre sur des dizaines de milliers de femmes, quitte ne cherchent qu’une reconnaissance de leurs progénitures face au déni éhonté des pères qui tirent un coup et se débinent après, face à leurs responsabilités…

Certes cette réforme n’est pas encore effective et devra passer le cap du parlement et de l’adoption de la loi qui va avec. De grands débats en perspective, animés surtout par les tenants de l’immobilisme et de la réaction, face à toute velléité de réforme positive et audacieuse du statut personnel au Maroc.

Mais réforme ou pas, il y’a lieu d’opérer un grand travail de conscientisation, dès l’école pour ce qui est du rôle de l’homme, de la femme et de la famille dans notre société. Continuer à produire une société de mâles dominants est une mauvaise chose et on en voit les conséquences désastreuses. Le respect de la femme en société, au sein de la maison, au travail, autant que dans l’espace public, doit devenir une donne irrévocable. Les droits des enfants doivent devenir inaliénables et indiscutables et les parents doivent en assumer l’entière responsabilité civique et judiciaire.

Il reste encore beaucoup de chemin à faire pour une condition équitable des femmes dans notre société. La présente réforme de la Moudawana demeure toutefois une grande avancée, en attendant d’autres dans le futur…

Rachid Boufous



Dimanche 29 Décembre 2024

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