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Par Bouchikhi Marouane
La récente adoption de la loi sur le droit de grève soulève une question cruciale : vers où nous dirigeons-nous ? S'agit-il de la fin du militantisme syndical sous l'actuel gouvernement ?
En dépit d’ une opposition unanime des forces vives du pays, cette loi marque un tournant décisif dans l’histoire du syndicalisme marocain. En imposant ce texte controversé sans réel consensus, le gouvernement dirigé par Aziz Akhannouch illustre non seulement un mépris pour les revendications des travailleurs, mais aussi un affaiblissement manifeste du rôle des syndicats en tant qu’acteurs du dialogue social.
Cette loi, perçue par de nombreux observateurs comme un instrument de restriction plutôt que de régulation, s’inscrit dans une dynamique plus large de fragilisation du mouvement syndical au Maroc. Loin de garantir un équilibre entre les droits des travailleurs et les impératifs économiques, elle impose des contraintes sévères qui entravent l’exercice même du droit de grève, pourtant inscrit dans la Constitution de 2011. De facto, elle limite la capacité de mobilisation des syndicats et réduit leur marge de manœuvre face aux employeurs et à l’État.
Loin d’être une simple réforme juridique, cette décision symbolise un affaiblissement progressif des syndicats, qui peinent de plus en plus à jouer leur rôle de contre-pouvoir face aux politiques gouvernementales. La baisse de leur influence, déjà perceptible depuis plusieurs années, s’est accentuée avec l’adoption de cette loi, qui constitue une nouvelle étape dans la marginalisation du militantisme syndical.
Par effet domino, cette mise sous tutelle du droit de grève risque d’accélérer l’érosion du peu de confiance qu’il reste entre les travailleurs et leurs représentants syndicaux. Privés d’un véritable levier de pression, les syndicats deviennent progressivement des entités dépourvues d’impact réel sur les décisions politiques et économiques du pays. En ce sens, l’adoption de cette loi contestée pourrait être perçue comme le « dernier clou dans le cercueil » du syndicalisme marocain, déjà fragilisé par des décennies de divisions internes, de compromissions politiques et d’absence de renouvellement stratégique.
Derrière cette réforme, c’est toute la question de la démocratie sociale qui se pose. Peut-on encore parler de dialogue social lorsque l’une des principales armes de négociation des travailleurs se trouve largement neutralisée ? Peut-on envisager un progrès économique et social durable dans un pays où la voix des travailleurs est de plus en plus étouffée ? Autant de questions qui restent en suspens et qui alimentent les inquiétudes quant à l’avenir du syndicalisme au Maroc sous l’ère Akhannouch.
La question que l’on se pose ici ; est ce que le Maroc, qui s'engage dans une voie de modernisation et de développement économique, est-il prêt à sacrifier la liberté syndicale sur l'autel de la stabilité ? Peut-on réellement parler de démocratie et de progrès social sans un véritable dialogue social et une reconnaissance effective des droits des travailleurs….
Entre autres il y a lieu de citer ici les autres maux ayant contribué au déclin du syndicalisme qui s’ajoutent à cette réforme maudite du droit de grève
Primo il y a d’abord les pratiques bureaucratiques et malhonnêtes de certains dirigeants syndicaux, ces glissements moraux peuvent avoir un impact significatif sur le mouvement syndical et la défense des droits des travailleurs comme par ex : l’Absence de la transparence financière dont on accuse certains dirigeants de gérer les fonds syndicaux de manière opaque, ne rendant pas compte des dépenses et des revenus. Cela peut mener à des détournements de fonds ou à des abus de pouvoir et cela existe bel et bien dans pratiquement tous les syndicats même ceux qui émanent des partis de la gauche.
Deuxièmement, il convient d’aborder la question du favoritisme et du népotisme. En effet, dans certains cas, des dirigeants syndicaux accordent des privilèges à des membres de leur famille ou à des proches pour l’obtention de postes au sein du syndicat. Cette pratique engendre non seulement un sentiment d’injustice et de frustration parmi les autres membres, mais aussi un climat de méfiance généralisé. Par conséquent, les éléments les plus compétents, en particulier ceux attachés à des valeurs d’éthique et de mérite, se sentent marginalisés et finissent par quitter l’organisation, affaiblissant ainsi la structure syndicale.
Troisièmement, il est essentiel de mettre en lumière un fléau d’ordre éthique, à savoir l’instrumentalisation politique des syndicats. En effet, certains dirigeants peu scrupuleux peuvent exploiter ces organisations à des fins partisanes, en les alignant sur des courants politiques ou des mouvements qui ne reflètent pas nécessairement les véritables intérêts des travailleurs. Une telle dérive compromet l’indépendance syndicale, affaiblit la légitimité des revendications et risque de détourner le syndicat de sa mission première : la défense des droits et des conditions de travail de ses membres. Et au bout du compte on observe également une autre forme de bassesse et de petitesse au sein de certaines organisations de travailleurs, à savoir la répression des voix dissidentes. En effet, les dirigeants, dans une volonté de préserver leur autorité, peuvent chercher à étouffer les critiques internes en marginalisant ou en excluant ceux qui osent contester leurs décisions. Par conséquent, cette attitude compromet la démocratie interne des syndicats et limite la diversité des opinions.
Ces pratiques nuisent non seulement à la crédibilité des syndicats, mais elles affaiblissent également la lutte pour les droits des travailleurs.
Loi sur les syndicats au Maroc : Pourquoi tant de retard ?
À ce jour, le Maroc ne dispose toujours pas d’un cadre juridique spécifique pour réguler le fonctionnement des syndicats. Si le Code du travail de 2003 encadre partiellement leur activité, une loi dédiée reste en suspens depuis plusieurs années. En 2021, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) avait pourtant émis des recommandations pour améliorer le projet de loi 24-19, saisi par le chef du gouvernement. Mais faute de consensus, le texte n’a jamais abouti. Ce blocage exacerbe la crise de gouvernance au sein des organisations syndicales, privées d’un arsenal juridique essentiel pour renforcer leur efficacité et crédibilité à tous les niveaux.
Le retard dans l'adoption de cette loi s'explique par plusieurs facteurs. Les discussions entre le gouvernement et les centrales syndicales ont été marquées par des divergences sur des points clés, notamment concernant la démocratie interne des syndicats et le contrôle de leurs finances . De plus, certaines centrales syndicales sont divisées sur l'utilité de cette législation, ce qui complique davantage le processus législatif. Par ailleurs, le processus législatif au Maroc connaît souvent des retards, avec plusieurs textes de loi en attente d'adoption depuis des années
Perspectives d'Avenir
Nécessité de Renouveau : Pour revitaliser le militantisme, il est crucial que les syndicats adoptent des stratégies innovantes et inclusives, en intégrant les préoccupations des jeunes et en renforçant la transparence.
Un dialogue ouvert et constructif entre le gouvernement, les syndicats et les travailleurs constitue un élément fondamental pour rétablir la confiance et instaurer un climat favorable à la défense des droits des travailleurs. Ce dialogue sincère permet de garantir une meilleure compréhension des revendications des différentes parties et de parvenir à des solutions équilibrées et acceptables pour tous.
Pour l’État, il est essentiel de privilégier des négociations avec des interlocuteurs institutionnels reconnus, légitimes et crédibles, tels que les syndicats, qui représentent officiellement les intérêts des travailleurs. Cette approche permet d’assurer une gestion organisée et structurée des revendications sociales, tout en évitant l’émergence de mouvements spontanés ou non encadrés qui pourraient engendrer des tensions et une instabilité sociale difficile à maîtriser.
En somme, la crise du militantisme au Maroc est le résultat d'une combinaison de facteurs historiques, politiques et sociaux.