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La démocratie commence au quartier, puis se prolonge plus haut, en plus large. La représentativité s’élance à partir de petites communautés, mais plus elle se transcende, plus elle perd en force, et plus les élus s’éloignent de leurs ouailles. La démocratie, donc, c’est d’abord et avant tout le maire, qui gère les quotidiens des populations, peu au fait des finesses de la « grande politique ». Au Maroc, nous plantons des règles et des principes de démocratie représentative, mais il pousse des opportunistes ou des velléitaires.
Dans le monde qui s’est essayé à la démocratie avant nous et (bien) mieux que nous, il arrive très souvent que les maires des capitales et/ou des grandes villes deviennent chefs d’Etat ou, à défaut, de gouvernement. C’est en effet dans la gestion directe qu’on apprend à gérer, puis à régir et enfin à diriger. Et c’est aussi à ce niveau de responsabilité qu’on développe une notoriété faite d’actions et qu’on suscite une confiance fondée sur l’engagement.
Jacques Chirac ou Boris Johnson, Recep Tayyip Erdogan ou l’Estonien Juri Ratas, Rodrigo Duterte aux Philippines ou Mahmoud Ahmadinejad en Iran ou encore Ehud Olmert en Israël, sans compter tous ces chefs d’Etat et de gouvernement qui ont occupé des responsabilités territoriales autres que maires dans le pays… tous ces gens ont blanchi sous le harnais municipal, confronté aux tracas et préoccupations journalières de leurs électeurs, qui les ont par la suite portés au faîte de leur Etat.
Au Maroc, l’institution du président de la commune est de création récente, après l’indépendance. Dans l’Empire chérifien, le pouvoir matériel était exercé par le représentant du sultan (du moins dans le bled makhzen) et l’autorité morale détenue par les cheikhs, choisis ou reconnus comme chefs spirituels ou communautaires. L’élection moderne n’est apparue que dans les années 60 du siècle dernier, et elle reste à parfaire... Depuis, la qualité de nos présidents de communes, de nos maires, est allée en rapetissant, en se rétractant, éloignant d’autant les populations de la pratique politique ou électorale. Le glissement des participations aux élections montre cette tendance assez nettement.
Qui avons-nous comme maires dans le royaume ? Des intérimaires de la politique… des ambitieux dont le regard porte loin sur les postes centraux, ne regardant pas ce qui se trouve devant eux, leurs villes… des véreux qui ne cherchent pas à aller loin, s’en sachant peu ou pas capables, mais qui sont à l’affût d’affaires lucratives et d’avantages palpables… des idéologues comme ceux de 2015, qui ratissent encore et toujours le territoire de leurs villes, sans apporter une valeur ajoutée autre que la mobilisation des masses pour leur parti…
Rares, très rares sont les présidents de communes qui, au Maroc, ont défrayé la chronique, se montrant à l’écoute de leurs administrés, proches d’eux, en empathie avec tout le monde, prenant des responsabilités et agissant dans l’efficacité, parfois face à l’autorité dans l’adversité. Peut-être Tariq Kabbaj, l’ancien édile socialiste d’Agadir, l’exception qui confirmerait la règle… Rien à Casablanca, des taiseux… pas plus à Marrakech, à Fès et même dans la capitale Rabat, des carriéristes avec une envergure limitée et une efficacité discrète.
Nous sommes à l’aube d’une année électorale, dans un Maroc transfiguré par nombre d’évènements, crise sanitaire, puis économique, puis sociale… nouvelle donne diplomatique avec l’arrivée des Américains au Sahara… rétablissement des relations avec Israël… relève générationnelle avec l’émergence de cette génération de Marocains nés dans les années 90, ne connaissant que le Maroc de Mohammed VI et formulant les exigences de leur temps.
Les chefs des partis politiques seront-ils assez audacieux pour présenter des candidatures robustes aux grandes mairies, ou à l’inverse privilégieront-ils leurs équilibres internes, leurs calculs entendus et leurs intérêts silencieux ? Autre question, plus importante : les partis disposent-ils de profils idoines pour diriger les villes de grande et moyenne importance, capables d’apporter la contradiction quand il le faut, de gérer l’argent sans penser à leur poche ou leurs proches, de fédérer des impossibles, de se projeter dans le futur en pensant en termes de générations et non d’élections, en faisant dans la proposition plus que dans la génuflexion, en renonçant à la langue de bois et en bannissant cette étrange maladie locale qu’est la réunionnite chronique ?
Rien n’est moins sûr… Au Maroc, le taux de participation restera bas pour l’élection des maires, par la faute d’une élite politique délitée qui a réussi à démobiliser une population amère, regardant désormais ailleurs.
publié par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com