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Par Aziz Boucetta
Et la raison de cette animosité vient d’un passé où les « Vieux » européens, alors plus jeunes, avaient semé les graines de la discorde entre ces pays d’âge divers, des vieux désargentés, les Marocains, des adultes désemparés, les Tunisiens, et des nouveau-nés qui faisaient leurs premiers pas dans la vie, en Algérie.
Aujourd’hui, si on observe les différentes études et les nombreux ouvrages publiés en Europe sur la marche du monde, on constate que dans l’ensemble des défis nouveaux qui agitent la planète et menacent l’Europe, de même que dans les grands blocs géopolitiques qui intéressent la même Europe, le Maghreb ne figure nulle part et n’emporte l’intérêt de personne. Seule l’Espagne semble avoir des préoccupations pour son flanc sud, essentiellement le Maroc et dans une moindre mesure l’Algérie.
On pourrait penser que l’Afrique du Nord n’existe pas, ou n’existe que dans le périmètre qui lui est ou lui sera tracé par l’Union européenne. Et c’est l’erreur grave commise par les géopoliticiens et les politiciens tout court du « Vieux Continent ». Car si l’Europe est un jardin, comme nous l’enseigne M. Borrell, son eau, ses engrais, ses outils, ses botanistes et ses jardiniers pourraient bien se trouver essentiellement en Afrique du Nord.
L’Afrique du Nord, en effet, est riche d’une population majoritairement jeune, forte de plus de 100 millions d’âmes (le quart de l’effectif européen), qui sont autant de consommateurs. Et en dépit de systèmes d’enseignement encore poussifs et donc largement perfectibles, les populations du Maghreb produisent des ingénieurs, des médecins, des chercheurs en diverses disciplines, des économistes, des informaticiens spécialisés dans les différents domaines, … Autant de ressources humaines aujourd’hui attirées par l’étranger (de moins en moins en Europe d’ailleurs).
Sur le plan sécuritaire, l’Afrique du Nord est le meilleur rempart de l’Europe contre les menaces potentielles de ce siècle.
Le Sahel est infesté et parcouru par un nombre important de groupes et groupuscules terroristes, qui se trouvent donc à quelques centaines de kilomètres d’un continent effrayé par la perspective de voir passer des éléments radicaux ultra-violents.
Et comme l’immigration est également considérée par l’Europe comme une menace sécuritaire, car identitaire, l’Afrique du Nord, aujourd’hui rétive à tenir le rôle du gendarme, est à même d’absorber une grande partie des quelques centaines de milliers de Subsahariens désireux de migrer vers le nord.
Mais malgré tous ces atouts et ses avantages, l’Afrique du Nord reste géopolitiquement ignorée par les stratèges et théoriciens européens, qui n’ont d’yeux et d’intérêt que pour la Russie, la Chine, la Turquie, lesquels mettent pourtant l’Europe sous pression, ou pour les Etats-Unis qui l’instrumentalisent, et délaissent ce continent africain, essentiellement sa partie septentrionale, malgré ses opportunités, ses débouchés et ses grandes perspectives.
Expliquer cela par un esprit néo-colonialiste serait réducteur, mais par une myopie géostratégique serait plus exact. En effet, et alors que l’Europe persiste à ne regarder le continent africain que sous le prisme de l’avantage à un sens, les dirigeants du continent se projettent déjà vers les nouveaux pôles de puissance et leurs populations s’inscrivent dans un rejet de plus en plus marqué du Vieux continent.
Pendant ce temps, la Chine, la Russie et les Etats-Unis, en plus de la Turquie, de l’Inde, Israël, Royaume-Uni prospectent, installent des relations, lancent des projets, en financent d’autres, poussent sur le culturel, sans se préoccuper d’une union maghrébine qui serait pourtant de l’intérêt premier de l’Europe.
Dans cette Afrique du Nord, l’Union européenne devrait plus et mieux s’investir, avec d’autres règles du jeu, retirant à la France son « avantage » historique qu’elle lui reconnaît mais que Paris utilise au vu de ses propres intérêts, mettant en jeu et même en péril ceux de Bruxelles.
Que l’Union européenne se saisisse de « la question nord-africaine », qu’elle agisse sur la source du problème, en l’occurrence le pouvoir militaire algérien qui, englué dans son irascibilité mémorielle, met en péril l’ensemble de la zone… et la relation entre les deux rives de la Méditerranée serait améliorée.
Dans l’attente, et alors que l’Algérie et dans son sillage la Tunisie demeurent « sous influence » française, le Maroc, doutant des bonnes prédispositions européennes à son égard, œuvre à se frayer son chemin dans la « jungle » touffue, ne se fiant à personne mais se méfiant de la prospérité apparente et la beauté (encore) luxuriante du « jardin ».
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost