Une controverse parlementaire autour des compétences constitutionnelles au Maroc
Tout a commencé lorsque Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants, a interrompu les interventions de deux députés, à savoir Rim Chabat du parti JFD (Jabhat Al Quwa Al Dimocratia) et Mustapha Ibrahimi, membre du Parti de la Justice et du Développement (PJD). La députée Rim Chabat avait critiqué l’état des transports publics à Fès, notamment les bus urbains, qu’elle a qualifiés de « ferraille roulante ». Elle s’est interrogée avec sarcasme : « Avec ces bus vétustes, allons-nous accueillir les touristes ? ». Ses propos visaient à dénoncer l’impact de cette situation sur l’image de la ville et, par extension, sur la politique touristique nationale.
Cependant, le président de la Chambre a rappelé que le transport urbain relève des compétences des collectivités territoriales, conformément aux articles 131 et 141 de la Constitution marocaine. Il a estimé que cette intervention constituait une transgression des prérogatives parlementaires, qui ne doivent pas empiéter sur celles des institutions locales.
De son côté, Mustapha Ibrahimi a également été critiqué pour avoir présenté un inventaire des lois et décrets publiés dans le Bulletin officiel sous le mandat précédent, en réponse aux déclarations du chef du gouvernement actuel, Aziz Akhannouch. Ce dernier avait affirmé que son gouvernement avait dû repartir sur des bases limitées en matière de protection sociale. Ibrahimi a réfuté ces propos en listant les réalisations législatives antérieures, ce qui a été perçu comme une déviation du thème principal de la session parlementaire, consacré aux grandes orientations de la politique touristique.
Cette controverse soulève des questions fondamentales sur le respect des compétences définies par la Constitution. Les articles 131 et 141 établissent clairement la répartition des responsabilités entre les différents niveaux de gouvernance, notamment entre l’État central et les collectivités territoriales. En intervenant sur des sujets relevant de ces dernières, les députés risquent de brouiller les frontières institutionnelles et de compromettre le fonctionnement harmonieux des institutions démocratiques.
Pour Rachid Talbi Alami, il s’agit avant tout de préserver la crédibilité et la discipline de l’institution parlementaire. « Personne, ni au gouvernement ni au Parlement, n’a le droit d’interférer dans la gestion des affaires locales », a-t-il déclaré, soulignant l’importance de respecter les règles constitutionnelles.
Cet incident reflète un climat tendu entre le gouvernement et l’opposition. Alors que le gouvernement d’Aziz Akhannouch fait face à des critiques croissantes sur des dossiers clés comme la protection sociale ou le développement touristique, l’opposition cherche à mettre en lumière ce qu’elle considère comme des lacunes dans la gestion actuelle. Cependant, de telles confrontations risquent d’alimenter une perception négative de la classe politique auprès de l’opinion publique, qui pourrait y voir une perte de temps sur des débats procéduraux au détriment des enjeux de fond.
Par ailleurs, les critiques formulées par Rim Chabat sur l’état des transports publics à Fès mettent en lumière un problème réel qui affecte directement la qualité de vie des citoyens. Si la question dépasse les prérogatives du Parlement, elle reste néanmoins un sujet crucial pour les habitants de la ville, notamment dans un contexte où le tourisme est un secteur clé de l’économie locale.
Ce débat n’est pas sans rappeler des cas similaires survenus dans d’autres démocraties. Par exemple, en France, les élus locaux et nationaux doivent également naviguer entre des compétences clairement délimitées. Des conflits surviennent parfois lorsque des députés tentent de s’immiscer dans la gestion des affaires municipales. Ces situations mettent en évidence l’importance de mécanismes institutionnels solides pour éviter les chevauchements de responsabilités.
Cet incident parlementaire met en lumière la nécessité d’un équilibre entre discipline institutionnelle et liberté d’expression des élus. Si le respect des compétences constitutionnelles est essentiel pour garantir la stabilité et l’efficacité du système démocratique, il est tout aussi crucial de ne pas occulter les préoccupations réelles des citoyens. À court terme, cette affaire pourrait renforcer le rôle de la Commission d’éthique comme gardienne des bonnes pratiques parlementaires. À long terme, elle pose la question d’une meilleure coordination entre les différents niveaux de gouvernance pour répondre aux besoins des citoyens sans compromettre les principes constitutionnels.