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Par Lahcen Haddad
La pandémie de Covid-19 a induit une perturbation importante des chaînes d'approvisionnement, qui a affecté négativement l'abondance des marchandises dans certains pays, en particulier ceux qui n'ont ni l'infrastructure adéquate, ni la logistique, ni la capacité financière pour assurer des importations continues de biens et garantir leur sécurité alimentaire. Cela a exacerbé la situation des pauvres dans de nombreux pays, et la famine est devenue un spectre qui menace de nombreuses personnes en Éthiopie, en Somalie, au Soudan du Sud, au Yémen, en Afghanistan et dans d'autres pays (Lizzy Davies “Famine: what is it, where will it strike and how should the world respond?” The Guardian, July 6, 2022).
Oxfam America affirme que la famine n'est pas seulement l'absence de nourriture, mais qu'il s'agit d'un problème complexe qui peut être causé par la sécheresse, un conflit armé ou une réinstallation forcée, mais qui devient plus grave lorsque les gouvernements ne prennent pas de décisions strictes pour réduire ces causes. C'est ce qu'Alex The Wahl appelle un scandale politique (Chris Hufstader “What is Famine? Causes and Effects and How to Stop it”, Oxfam, May 14, 2020). Autrement dit, la famine n'est pas un destin inévitable, mais un acte humain lié à la gouvernance et à la responsabilité.
Oxfam préconise une approche intégrée des famines, qui consiste à fournir de l'eau potable et les moyens d'hygiène et de prévention, à distribuer de la nourriture, à planter des plantes vivrières et à pousser les gouvernements à assumer leurs responsabilités (idem.).
Mais la sécurité alimentaire ne se limite pas à lutter contre la famine et la malnutrition, mais à assurer une production adéquate dans diverses régions du monde, et à garantir que les agriculteurs aient accès aux marchés pour leur assurer un revenu décent, les encourageant ainsi à améliorer la qualité des semences, à utiliser les engrais et économiser l'eau grâce aux technologies goutte à goutte. Renforcer les chaînes d'approvisionnement et les immuniser contre les perturbations, assurer une structure logistique efficace pour la distribution alimentaire, et se concentrer sur l'accès des groupes pauvres, vulnérables et marginalisés à la nourriture par le biais de transferts directs ou d'une aide en nature sont également des mesures importantes afin d’assurer une sécurité alimentaire durable.
Le Maroc joue un rôle important dans la sécurité alimentaire mondiale. Il est l'un des plus grands producteurs et exportateurs de phosphates et de ses dérivés, en particulier les engrais utilisés dans la production de biens agricoles et d'aliments de base pour les pays pauvres et en développement. Le Maroc a produit 38 millions de tonnes d'engrais en 2021, et bien que sa production se classe au deuxième rang derrière la Chine, le Maroc possède les plus grandes réserves de phosphates, soit 70% des réserves mondiales, (Melissa Pistilli, “10 Top Phosphate Countries by Production”, Phosphates Investing News, Updated 2022) ce qui en fait un pays leader dans le domaine de la sécurité alimentaire.
Le Maroc joue un rôle clé dans le soutien des pays pauvres via la fourniture d'engrais. L'Office Chérifien des Phosphates (OCP), la plus grande société de phosphate au monde, a fourni, aux pays africains 550 000 tonnes d'engrais, par le biais de dons et de ventes à prix réduits (Mehdi Ouazzani, “Le groupe OCP offre à l’Afrique 550.000 tonnes d’engrais”, Challenge,21 Juillet, 2022). Ce chiffre devrait passer à environ un million de tonnes en 2023 et trois millions dans deux ans (OCP, African-American Business Forum, Juillet 2022, Marrakech).
L’OCP a également réalisé d'importants investissements dans 14 pays africains, dont l'Éthiopie, le Nigéria, la Côte d'Ivoire, le Gabon et d'autres, qui consistent, entre autres, à mettre en place des unités de production locale d'engrais et à assurer une production agricole durable dans ces pays. Il est possible que ces investissements soient étendus à d'autres pays dans le cadre d'une stratégie intégrée pour assurer la production alimentaire et une bonne nutrition et pour contrôler les chaînes de production, en particulier dans les régions qui ne souffrent pas d'un stress hydrique ou d'une forte pénurie d'eau.
Il y a dix ans, l’OCP, premier exportateur mondial de phosphates et de ses dérivés, a commencé à mettre l’accent sur la production d'engrais, qui représentent aujourd'hui 54 % de ses ventes, avec un accent mis sur les pays pauvres, notamment les pays d'Afrique subsaharienne (Julien Wagner, “Engrais : OCP, quelle stratégie en Afrique ?” Jeune Afrique, 17 avril 2018), de l’Amérique latine et de l’Asie. Ce faisant, le Maroc, par le biais de l’OCP, atteint simultanément trois objectifs stratégiques : lutter contre la pauvreté et la malnutrition dans les pays pauvres et en développement, assurer la sécurité alimentaire mondiale en investissant dans les pays et les régions qui disposent de vastes superficies de terres arables et d'importantes ressources en eau, et s'orienter vers plus de production d'engrais (par rapport aux produits chimiques) pour assurer plus de durabilité tout au long de la chaine de valeurs de l’extraction minière.
Le Maroc, à travers l'OCP, joue et jouera un rôle important dans l'expansion de la zone de production et l’augmentation en quantité et en qualité des denrées alimentaires, et ce à travers ses multiples partenariats en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et en Asie. De par son contrôle de 70 % des réserves mondiales de phosphate, matière dont sont extraits les engrais nécessaires à l'augmentation du volume, de la valeur et de la qualité des denrées alimentaires, son rôle est et restera primordial, notamment en une période de l’histoire actuelle caractérisée par les canicules, les sécheresses, les inondations successives et d’autres phénomènes entrainés par les changements climatiques.
Certes il y a des pays d'Europe, d'Asie, d'Amérique du Nord et du Sud, d’Océanie qui ont les capacités technologiques, l'abondance hydrique, les terres, la bonne gouvernance et les modèles de contrôle des chaînes d'approvisionnement nécessaires, ce qui fait d’eux des leaders dans la production de blé, de riz, de soja, d'huiles et de viandes, éléments essentiels pour la sécurité alimentaire internationale et la stabilité des prix. Le Maroc soutient ces efforts en fournissant les engrais nécessaires. En même temps, il se met l‘accent sur le soutien et l'expansion de la production et l'assurance des produits de base dans les zones qui connaissent une augmentation de la pauvreté et une menace réelle de famine.
La sécurité alimentaire nécessite le développement d'une vision internationale intégrée qui aborde les questions de production, de distribution, d'accès, d'utilisation et de stabilité. Cela nécessite une coordination entre les pays pour créer un système intégré dans lequel les rôles sont précisément définis. Mais sans une production qualitativement améliorée et sans une abondance qui réponde aux besoins du marché intérieur d'abord, et des marchés régionaux et internationaux ensuite, le système connaîtra toujours des perturbations au niveau de ses complexes chaines de valeur.
Sur le plan de la production, le Maroc jouera un rôle primordial, notamment à travers des partenariats avec des pays qui ont une longue expérience agricole, disposent de vastes superficies et d'un grand potentiel hydrique, et ont des défis majeurs au niveau de la lutte contre la pauvreté et la fragilité. C’est le cas de l’Éthiopie, de la RDC, du Kenya, de la Tanzanie, de la Côte d’Ivoire, du Cameroun etc. Cette approche est une clef de la solution régionale. En même temps, un soutien localisé aux pays qui souffrent de sècheresse et de manque d’eau, au Sahel et en Corne d’Afrique, est nécessaire moyennant une coordination plus prononcée entre les bailleurs en faveur d’une agriculture de subsistance résiliente et adaptée. L’OCP peut jouer un rôle de locomotive dans ce sens.