Par Aziz Boucetta
Karim Khan a-t-il menti, exagéré ? Peu probable car ce n’est pas dans la nature du personnage, et les faits entérinent son propos. Revenons sur les actions entreprises ces dernières décennies par l’institution issue du Statut de Rome… elles ne concernent que des Africains, chefs d’Etats ou chefs militaires, en exercice ou anciens, réellement coupables ou finalement acquittés (comme Laurent Gbagbo), et Slobodan Milosevic et Ratko Mladic dans le rôle des exceptions qui confirment la règle.
Ces deux derniers, avec tout récemment Vladimir Poutine, sont les seuls Européens à avoir été poursuivis, condamnés ou jugés par la CPI, mais on constatera qu’ils sont ou furent tous trois opposés au bloc occidental, mené à la hussarde par les Etats-Unis.
On peut donc en conclure que la Cour, sous couvert d’ « ordre international », reste une arme entre les mains de Washington qui décide de qui est le bon, qui est la brute et qui est le truand. Que ces trois types de personnes se trouvent aussi bien en Afrique qu’ailleurs ne semble déranger personne, même si les Africains, à commencer par le Burundi, ont compris la manœuvre et se sont retirés de la CPI, après lui avoir retiré leur confiance.
Aujourd’hui, la phrase de Karim Khan est passée largement inaperçue, au regard de son intensité et de sa gravité. Il faut cependant saluer le courage du procureur, lui-même menacé par écrit par une brochette d’élus américains, agissant aux dires d’un de leurs pairs démocrates « selon des méthodes qui conviennent plus à la mafia qu’à des sénateurs US » ; exact. Lui, sa famille et ses collaborateurs ont été « prévenus » par ces « honorables élus » américains qu’ils « seraient ciblés si la CPI cible Israël », qu’ils seront interdits de séjour aux Etats-Unis, que la grande et vertueuse Amérique cessera tout support à la CPI, et « qu’ils auront été prévenus » !.
Quant à Lindsay Graham, ce sénateur républicain qui avait gentiment appelé à tuer Vladimir Poutine, il...a très perspicacement fait remarquer à propos de la demande de mandat d’arrêt émise par Karim Khan que « si cela est fait aujourd’hui à Israël, ce sera notre tour demain ». George Washington et ses ‘pairs’ fondateurs doivent se retourner dans leur tombe !
Aujourd’hui, Netanyahou et les autres sont « ciblés » par la CPI, mais il faut attendre que la demande formulée par le procureur soit validée par les juges. Rien n’indique qu’ils ne cèderont pas aux menaces, et tout porte à croire que d’extraordinaires pressions s’exercent d’ores et déjà sur ces malheureux juges de la CPI.
Poursuivons la logique judiciaire… Généralement, un criminel a des complices, surtout pour un crime à grande échelle, et les « supposés » crimes de guerre et contre l’humanité pour lesquels Karim Khan a demandé des mandats d’arrêt contre le premier ministre et le ministre de la défense israéliens seraient des crimes de grande ampleur, qui nécessitent des complices. Et qui seraient alors les complices ? Ceux qui ont fourni des armes à Israël, ceux qui ont justifié ses actes, ceux qui ont tenté de les masquer ou de les dissimuler, en l’occurrence les dirigeants occidentaux.
Voilà donc ces dirigeants israéliens, américains, français, britanniques, allemands, pris dans leur propre piège de l’ « ordre international ». Leur grande et fatale erreur aura été de croire qu’il n’y avait pas de limites pour eux, que tout leur était permis et que « leur ordre international » les protégeait et les protégerait toujours. Un remake de l’arroseur arrosé, en quelque sorte.
Le monde ne sortira pas indemne de cette crise humanitaire d’origine criminelle qui a déjà ôté la vie à au moins 35.000 personnes, occasionné près de 100.000 blessés, affamé 2 millions de personnes et déplacé plusieurs fois des centaines de milliers de famille. Face à la très faible probabilité de voir Netanyahou, Gallant et leurs complices rendre compte de leurs actes devant des juges, c’est « l’ordre international » créé par les Occidentaux pour eux-mêmes et leurs alliés, qui s’effondrera…
… et le monde devra alors fonctionner sans règles, dans une sorte de loi de la jungle où la Russie récupère ou essaie de récupérer les territoires de l’ancienne URSS, où la Chine lorgne sur Taiwan, où l’Inde applique à bas bruit son apartheid anti-musulman, où les Américains s’excitent et leurs petits alliés européens s’agitent, et où le bloc occidental ne pourra plus exercer son « magistère » moral.
Et alors, la CPI ne sera non seulement plus faite que pour l’Afrique, mais pour personne.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost