Par Aziz Boucetta
Qui de nous n’a jamais vu avec consternation des gens brûler un feu rouge, rouler à contre-sens, faire des drifts autour des ronds-points, jouer du pare-chocs contre des piétons sur un passage pour piétons, rouler à « tombeau ouvert » sur les autoroutes ?... Qui de nous n’a jamais assisté à cela, voire ne l’a jamais commis lui-même ? Cela crée de l’insécurité, et plus même, cela tue ! Et il serait si bon que cela cesse, car la démocratie et le développement, c'est au feu rouge qu'ils commencent.
Des chiffres, pour commencer… Selon l’Agence nationale de la sécurité routière (NARSA), voilà les statistiques de l’hécatombe de 2019 : 101.644 accidents corporels, 3.622 tués, 10.003 blessés graves, et 139.339 blessés légers. Pour 2020, ce sont 84.585 accidents corporels, 2.728 tués et 81.857 blessés. On pourrait d’une diminution de 2019 à 2020, mais non, il n’y a pas eu diminution, seulement une crise Covid et des restrictions de déplacements.
Toujours selon NARSA, le Maroc a compté 37.360 tués de 2011 à 2020. On ne parle pas de morts mais de tués, le mot ayant une signification active et non passive comme « morts ». Et aussi, sur la même période décennale, 1.179.541 blessés, dont environ 10% de blessés graves avec handicaps permanents, soit 100.000 personnes environ.
Relisons ces chiffres, lentement… en 10 ans, au paisible et très pacifique royaume du Maroc, 37.360 personnes sont mortes et 100.000 handicapés lourds ! Pas besoin d’une guerre, on se débrouille très bien tous seuls…
Préoccupant aussi est ce constat de l’Agence : En 2020, 78% des accidents corporels ont eu lieu en agglomération et 22% hors agglomération. Et plus inquiétant encore, 2019 est l’année où « l’analyse par milieu montre une diminution significative de tous les indicateurs de l’accidentalité hors agglomération, contre une nette augmentation de ces indicateurs en agglomération ». En ville, on tue et on handicape plus qu’en milieu rural. Cela donne matière à réflexion sur notre conception du vivre-ensemble.
Ces statistiques à donner le tournis nous amènent à évoquer Max Weber et Aziz Akhannouch, le savant et le politique… Le premier avait théorisé en 1919 le concept de « monopole de la violence légitime de l’Etat » (comme constat et non comme justification) et le second avait, cent ans plus tard, dans un jour de moyenne inspiration, conceptualisé la nécessité de « refaire l’éducation de certains Marocains ».
En Europe, aux Etats-Unis, dans certains pays d’Asie, les juges appuient aussi fort sur les condamnations que les chauffards concernés ont appuyé sur leur accélérateur. Et la justice est encore plus sévère quand le conducteur est ivre ou drogué. C’est comme cela qu’une population accepte, contrainte et effrayée, de respecter le code de la route, et que les parents font leur travail d’éducateurs comme il se doit.
Et puisque M. Akhannouch est aujourd’hui en situation, il devrait sans doute songer à créer, en collaboration avec Narsa et la DGSN, des lois plus dures contre les délinquants du volant, des décisions abruptes et une brigade exclusivement chargée du contrôle du respect de ces textes. Une infraction, tout le monde en fait, mais il y a la manière. Rouler à plus de 100 km/h en ville et à plus de 180 sur autoroute, brûler un feu rouge ou s’engager à contresens dans une voie à sens unique est mortel ; il est important que le meurtrier potentiel soit empêché de le devenir réellement.
Récemment, en Floride, un jeune écervelé a été condamné à 24 ans d’emprisonnement car en roulant à 160 km/h en milieu urbain, en pleine course avec un ami, il a tué une femme et son enfant. Trop ou pas assez ? Chacun jugera mais l’effet dissuasif de la sentence fera réfléchir parents, éducateurs et chauffards. Chez nous, au Maroc, on peut attendre de l’Etat qu’il sévisse durement… et au lieu d’emprisonner un chauffard non tueur, on peut retenir sa voiture en fourrière, pour une longue, une très longue durée… qu’il payera, en plus de son retrait de permis pour la même durée, bien évidemment… Et bien évidemment, les textes devront être idéalement appliqués à tous.
Cela sauvera des vies, et peut-être même cela ferait gagner de l’argent au pays puisque selon la Banque mondiale, dans un rapport de 2017, les accidents de la route ont occasionné 2% du PIB de 120 milliards USD.
En 10 ans, donc, le Maroc a perdu 37.360 personnes, déploré 100.000 handicapés et vu s’envoler 20 milliards USD de la richesse collective. Des chiffres à sérieusement méditer par nos nouveaux dirigeants car la tendance ne semble pas prête à s’inverser. Si rien n’est fait, quels seront alors parmi nous, aujourd’hui, les 37.000 futurs tués et les 100.000 futurs handicapés permanents de la décennie qui commence ?
Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com