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Par Aziz Boucetta
Mais un Etat de droit est aussi un Etat qui dispose d’une opinion publique, et cette opinion publique aujourd’hui doute de sa classe politique, et redoute le classement d’une affaire qui relève de l’éthique, et donc de la confiance, une affaire qui soulève plusieurs remarques et questions.
1/ Une pluie de communiqués et de prises de positions, la famille juridique est déchirée, les avocats sont à couteaux tirés, les candidats éliminés doutent et ils sont des dizaines de milliers. La sortie d’Abdellatif Ouahbi hier sur 2M ne semble pas devoir calmer les esprits car le ministre a répété ce qu’il a déjà dit, en mettant un peu plus les formes mais pas assez semble-t-il.
Une remarque, cependant… Me Ouabhi a (re)dit qu’il a décidé de baisser la moyenne d’admission, mais un décret ne peut être remplacé par une décision, fusse-t-elle ministérielle. En effet, le décret initial précise que la note minimale à obtenir pour être reçu à l’examen écrit est de 80/160. De quel droit Me Ouahbi prend-il seul la décision de changer cela ?
Par ailleurs, pourquoi dans ce décret, la langue française est-elle considérée comme langue d’examen, avec l’arabe, alors qu’elle n’est pas langue nationale ? Il est vrai que cela va dans le sens de bien des candidats…
2/ Conflit ouvert au sein de la profession d’avocat. Entre le barreau et l’association des barreaux, le ton des communiqués est radicalement différent, puissamment antagonique. Les uns fulminent contre ceux qui contestent les résultats, les autres fustigent directement le ministre et le déroulement de l’examen. Comment, au sein d’une même profession, en principe éminemment éthique, deux positions aussi contradictoires peuvent-elles être exprimées sur une question pourtant hautement morale, en l’occurrence l’intégrité d’un examen ? Est-ce l’attachement à la probité d’une profession ou la défense d’intérêts bien compris ? Si le doute s’installe, il infusera bientôt pour toute la profession et, de là, vers l’ensemble de la justice. Ce qui serait regrettable pour la bonne tenue de l’attelage Maroc…
3/ Le ministre en charge du très hautement symbolique département de la Justice, par ailleurs chef d’un des trois partis formant la majorité, est dans la tourmente, pour une question morale. Pas un seul ministre ne s‘est exprimé, à l’exception du porte-parole du gouvernement, annonçant timidement une déclaration de Me Ouahbi qui ne s’est pas produite « dans les heures qui suivent », mais quatre jours après. Me Ouahbi peut assurer autant qu’il veut qu’il est soutenu par le gouvernement, il ne convainc personne....
On savait le chef du gouvernement Aziz Akhannouch avare de paroles, mais dans ce cas, cela devient coupable, pour ne pas dire complice. Est-ce de la légèreté, de la connivence, de l’indifférence ou une coupable insouciance ? Il pourra y répondre, en son âme et conscience.
4/ Où sont les partis politiques progressistes ? Ceux de la majorité se sont précipités aux abris, on le voit, on en a l’habitude mais on peut le comprendre, mais constatons que les chefs du PAM ne se sont pas précipités pour défendre leur chef. Le PJD, à travers sa jeunesse, s’est exprimé, appelant l’Instance de lutte contre la corruption à se saisir de l’affaire, et le MP a publié deux communiqués, des juniors et des seniors, faisant part des inquiétudes du parti. Mais l’USFP et le PPS brillent par leur silence, un silence qui ne les grandit pas, qui les accable.
5/ On peut se demander également les raisons du silence de l’institution parlementaire, supposée dans son essence être la gardienne de la loi et aussi l’instance du contrôle de l’action gouvernementale, et donc ministérielle. Il semblerait que nos 500 élus nationaux ne soient pas concernés par les principes aussi nobles que l’égalité des chances, l’équité, l’intégrité, la probité… Ssi Ouahbi appartient certes à la majorité mais le silence du parlement, dans son ensemble, ne lui fait pas honneur. Mais on s’y attendait un peu, quand même.
6/ On constate également le silence, ou l'indifférence, de cette fameuse Instance nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la corruption. Dans cette question, c'est la probité qui est mise à mal, et même la corruption, dans son sens large. L'Instance aurait été grandie de se saisir de cette affaire et d'essayer d'y voir clair, mais voit-elle clair elle-même ?
7/ Et au-delà de tout cela, pour quelle(s) raison(s) le parquet ne s’auto-saisit-il pas de la question ? Des actions ont bien été menées ici et là, quelques vérifications, paraît-il, mais rien d’officiel ni de global. Le parquet est aujourd’hui indépendant du ministère de la Justice, pourquoi ne se préoccupe-t-il pas de ce qui s’y produit ? Les candidats recalés sont-ils mauvais perdants ? Qu’on le sache ! Y a-t-il eu triturations des épreuves et/ou manipulations des résultats ? Qu’on le sache aussi et que les responsables en répondent, quels qu’ils soient ! Seule la justice, sereine, peut ramener la sérénité, et ce pays a besoin de sérénité.
Cette affaire de l’examen d’accès à la profession d’avocat est une affaire morale. Nul ne doit être accusé, le ministre en premier, sans preuve, et nul ne doit accuser sans éléments tangibles. La vérité doit être dite et les détails révélés, sans plus, ni moins. 80.000 candidats sont concernés. Considérant leurs familles, leurs amis, leurs sympathisants et les éternels énervés, le tout amplifié par l’extraordinaire effet levier des réseaux, ce sont des millions de personnes qui sont concernées, inquiètes, irritables et irritées, en attendant d’être révoltées.
Le Maroc n’a pas besoin de cela. Le Maroc de la sortie de crise Covid n’a pas besoin de cela. Le Maroc de ce début 2023 plein d’incertitudes n’a pas besoin de cela. Le Maroc de l’esprit post-Mondial ne mérite vraiment pas cela, et les ambitions du Maroc d’aujourd’hui peuvent être entravées par cela.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost