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Par Mustapha Sehimi
(O Prophète! Dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs grands voiles: elles en seront plus vite reconnues et éviteront d'être offensées. Allah est clément et Miséricordieux").
Quête identitaire
Cela dit, comment expliquer l'apparition de l'abaya dans les écoles françaises ? Sans doute par le retour du courant traditionnaliste dans le monde musulman dune les années 80. I1 semble qu'aujourd'hui les conservateurs veulent faire appliquer des normes plus rigoristes dans la mesure où le foulard ne suffit plus à distinguer les femmes musulmanes des autres. Et les jeunes filles en quête identitaire instruites, par les réseaux des prédicateurs salafistes et fréristes, estiment qu’une "bonne musulmane" ne peut pas porter uniquement un voile avec un jean ou des baskets: elle doit y ajouter cette robe longue qui dissimule son corps.
Les réseaux d'endoctrinement envoient des rappels à ces jeunes filles et ce via Whatsapp, Instagram ou Tiktok. Mais à quoi au vrai cette polémique autour de ce vêtement ? Elle vient de sa fonction: 1'abaya est un outil; elle soustrait le corps féminin de l'espace public; elle est destinée à normer le corps des femmes en le dissimulant; elle couvre le corps de la femme et s'apparente à un marqueur identitaire et religieux.
Elle est analysée comme un retour au conservatisme. Le port de l'abaya est une manière de s'adapter aux circonstances. Concrètement, les filles enlèvent leur foulard devant la porte du lycée et rentrent vêtues d'une abaya en classe...
Jusqu'ici, il revenait aux chefs d'établissement de déterminer si le vêtement porté présentait, au sein de l'école, un signe religieux ou non. La loi de 2004 sur la laïcité à l'école vise bien les signes religieux, quel que soit le nom qu'on leur donne, voile islamique, kippa ou croix, mais elle ne dit rien d'explicite sur l'abaya. Un flou qui a conduit à la situation actuelle.
L'abaya se traduit en français par robe: le dictionnaire Robert évoque ainsi un " long vêtement, féminin qui couvre l'ensemble du corps à 1'exception du visage et des mains, traditionnel dans certains pays de culture musulmane". Il est possible de lui associer un foulard ou un voile, l'abaya ne couvrant pas le visage, contrairement à la burqua.
L'orientaliste néerlandais Reinhart Dozy définit l'abaya comme 1'habit caractéristique des Bédouins d'à peu près tous les temps" qui protégeait notamment les femmes des conditions climatiques du désert" (Dictionnaire détaillé des noms des vêtements chez les Arabes).
"Mode fashion"
Mais cette tenue est surtout associée à l'Arabie saoudite: elle y était obligatoire pour les femmes jusqu’en 2018. Aujourd'hui, elle est une pièce phare de la "mode fashion" dans le dress code de la femme musulmane une tendance qui prône des tenues" pudiques" et "modestes".
Il en existe pour tous les styles, avec plusieurs couleurs et coupes: tenue de prière, vêtement chic... Plusieurs marques de prêt-à-porter de luxe ont ainsi cherché à séduire leurs clientèles fortunées du Golfe - Dolce & Gabbana a commercialisé en 2016 une ligne d'abayas et de hijabs.
Les partis de droite soutiennent son interdiction. Ceux de gauche expriment, eux, leurs inquiétudes quant aux droits des femmes et des filles musulmanes. Avec 1a rentrée scolaire ce lundi 4 septembre, l'on pourra mesurer la dimension et l'impact de ce fait vestimentaire.
Quelles seront les réactions des élèves et des chefs d'établissement ? Une nouvelle "guerre culturelle "sera-t-elle ouverte ?
Comparée à ses voisins, la France est le pays le plus strict concernant le port de signes religieux à l'école. La loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes et de tenues à caractère religieux.
Une circulaire du ministère de 1'Éducation en date du 9 novembre 2022 souligne que le Conseil d'État distingue les signes ou tenues qui manifestent" par leur nature même une appartenance religieuse et ceux qui "peuvent le devenir" en raison "du comportement de 1'é1ève" - dans les deux cas, elles sont interdites.
En Suisse, la loi fédérale n'interdit pas aux élèves le port de signes religieux, mais c'est variable en fonction des cantons.
En Allemagne, pas d’interdiction : c'est la manifestation de la liberté de croyance garantie par la Loi fondamentale. En Belgique, les signes religieux sont tolérés.
En Espagne, i1 n'y a pas de législation et chaque établissement choisit ses règles. En Italie, pas de restriction généralisée. Et au Royaume-Uni, pays du multiculturalisme, pas de loi interdisant le port de signes religieux à l'école. Il n'y a donc que la France qui se distingue en la matière: une nouvelle fixation- sans un doute un corollaire de 1"exception française"...
Rédigé par Mustapha Sehimi sur Quid