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Par Aziz Boucetta
Feu Hassan II avait dit un jour à Alain Duhamel que « les Marocains connaissent bien plus les Français que les Français connaissent les Marocains ». Exact. Ayant été en contact étroit, « protégé », avec la France, nous en connaissons l’histoire et la géographie, la politique et l’économie, les problèmes et les doutes, la suffisance et les défaillances.
Mais considérer que c’est bien ainsi serait une erreur, car les Français, eux, connaissent bien notre mentalité ; ils savent que nous sommes, nous autres Marocains, émotionnels et sensibles à la flatterie et aux belles phrases qu’eux Français ont théorisé depuis La Fontaine.
Sinon, comment expliquer que tant de responsables français de tous niveaux, responsables de police ou du renseignement, ministres ou autres affluent en rangs serrés au Maroc, sans pour autant que Paris ne s’inscrive dans le prisme annoncé par le roi Mohammed VI pour définir la nature et l’étendue de nos partenariats ?
Bien des gestes ont certes été consentis, considérés à leur survenue comme étant des avancées décisives avant qu’elles ne sombrent dans l’oubli, remplacées par d’autres. Ainsi de la visite de militaires français, en uniforme, à Laâyoune, en octobre, ou de cette petite phrase du représentant permanent de la France à l’ONU, rappelant lourdement le « soutien éternel » de Paris au plan d’autonomie et assénant un vague et mystérieux « il faut avancer ».
Et pour les grandes culture et littérature que sont celles de la France, les petites phrases bien calibrées, les punchlines soigneusement distillées sont omniprésentes ; les Français parient sur l’affect des Marocains, et leur « sentimentalisme », mais ce serait mal connaître et encore plus mal évaluer le Nouveau Maroc, car il y a bel et bien un nouveau Maroc.
Et ainsi donc, Stéphane Séjourné parle d’une question sahraouie « existentielle » pour le Maroc, et de la relation « unique » entre Paris et Rabat, dont il fait « une affaire personnelle » ; Franck Riester (ministre d’entre autres du Commerce extérieur) affirme que « la France soutient les efforts d'investissement du Maroc au Sahara » ; Gérard Darmanin suggère l’idée que « sans le Maroc, la France serait plus menacée et plus touchée », Bruno Le Maire garantit que « la France est prête à participer au financement de cette infrastructure de transport électrique entre Dakhla et Casablanca »…
Et on attend encore les déclarations du ministre de la Justice qui doit venir et de Rachida Dati qui sera sur nos terres aussi, et on n’oublie pas les déclarations très engageantes et prononcées à intervalles réguliers de l’ambassadeur Le courtier, pour...entretenir la flamme…
Mais en l’absence d’une déclaration forte de son président, le pays du Verbe s’expose à sombrer dans le verbiage. On dit qu’Emmanuel Macron va se prononcer, qu’il se prononcera sur la question du Sahara quand il viendra au Maroc, et qu’il viendrait au Maroc en septembre. Mais, question : peut-on se fier au président Macron, que les changements de posture ou d’avis ne dérangent jamais outre mesure, lui qui agit toujours sur plusieurs plans, « en même temps », et « quoi qu’il (lui) en coûte » ?
En septembre, les Jeux olympiques, source première du Souci Français aujourd’hui, seront passés, les Algériens tiendront leur présidentielle et les propos des ministres français n’auraient engagé que ceux qui y auraient cru…
Car en effet tout ce qu’ils ont dit ne fait pas entrer la France dans le désormais fameux « prisme » évoqué par le roi Mohammed VI. On peut dire tout ce que l’on veut mais à un moment donné, il faudra bien que Paris franchisse le pas et se montre plus explicite. Et on sait – Israël et Netanyahou, Ukraine et Zelensky sont là pour le prouver – que quand Paris décide de soutenir un pays, elle le fait clairement, explicitement, spectaculairement. Et ce n’est pas (encore ?) le cas avec le Maroc.
On sait bien que les relations entre le Maroc et la France sont solides et très anciennes ; elles resteront solides et en dépit du monde changeant, elles demeureront forcément très anciennes mais elles ne seront pas uniques, ou elles ne le seront plus.
L’unicité irait plutôt vers « l’Espagne », et pour plusieurs raisons, dont la proximité géographique, une approche plus pragmatique et (excepté la question des visas) plus respectueuse, une capacité à reconnaître ses erreurs, comme pour l’affaire Pegasus pour laquelle l’Espagne officielle a lavé le Maroc de tout soupçon ; ce n’est pas encore le cas de la France, dont une partie de la structure étatique, ou « France profonde », continue de souffler le chaud et le froid, en attente sans doute de cette position ferme du président Macron.
Dans cette « renaissance des relations économiques entre le Maroc et la France » professée par M. Le Maire, il serait utile d’être réaliste : la France a tout à gagner à se rapprocher du cheval gagnant qu’est le Maroc (malgré ses problèmes internes, largement dépassables quand la volonté de les dépasser sera là), mais le Maroc a-t-il vraiment intérêt à placer une grande partie de ses billes en France, en sérieuse remise en cause interne et fortement dépréciée en externe ?
Oui, au nom de notre ancienne amitié (toujours l’affect…) mais oui à condition de s’inscrire dans « le prisme » royal et de montrer plus de respect dans cette relation. Car comme pour l’amour, il n’y a pas de respect, mais seulement des preuves de respect. Admettre les erreurs passées (Sahara, Pegasus…) serait une preuve de respect et un gage de bonne volonté.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost