Par Aziz Boucetta
Quand, au sein d’une société, il n’existait pas de parole publique ou qu’elle fut inaudible, rien ne se produisait, sauf peut-être une sédition, voire une révolution, de loin en loin. Mais ça, c’était avant. Aujourd’hui, et ce que le gouvernement marocain, et surtout son chef, n’ont pas encore compris, c’est qu’à l’ère des réseaux sociaux, tout le monde parle et exprime son avis, même s’il est rarement approprié.
L’écrivain italien Umberto Eco disait à juste titre que « les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d'imbéciles qui avant ne parlaient qu'au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel ». Umberto Eco se trompait…
Ces « imbéciles » ont de nos jours plus, bien plus de droit de parole, d’audience et d’influence qu’un malheureux prix Nobel ou qu’un politicien médiocre. Tout l’art est, donc, de ne pas avoir de politiciens médiocres. L’ère et l’heure sont plus que jamais aux politiques qui parlent, débattent, argumentent, ferraillent… et ce faisant répondent aux influenceurs qui, parfois, peuvent influencer dans des directions dangereuses ; et au temps des nouvelles technologies, tout ne doit pas être permis au nom de la liberté d’expression.
Mais il y a pire que le silence de la part d’Aziz Akhannouch, le déni. Quand, une semaine après des révélations médiatiques sur son recours à McKinsey pour trouver en catastrophe une politique alternative de l’emploi, le chef du gouvernement vient à la tribune du parlement s’enorgueillir que les résultats de son action et de celle de son gouvernement dépassent les prévisions, c’est du déni qui fait injure à l’intelligence des gens.
Aujourd’hui, ces mêmes gens, ou leurs progénitures, se défendent, ripostent, prennent la parole, font des montages, usent et abusent de Photoshop, relèvent les contradictions, pointent les omissions… et sont suivis ou écoutés, tant sur les réseaux que par les services, d’ailleurs. Le politique, ainsi attaqué, recule, s’effondre, et avec lui la confiance des populations et leurs différentes perceptions de l’action publique.
Plus grave sont ces gens qui, avec le peu de nuances qui les caractérisent, « jettent le bébé avec l’eau du bain », et rejettent l’ensemble de la classe politique, constitution, institutions et élections. En un mot, comme en cent, l’équipe Akhannouch favorise le discours contestataire, voire séditieux, et cristallise les mécontentements, voire les colères.
Les désormais fameux « khouti lemgharba » sont partout, souvent drôles, parfois dotés...du simple bon sens qui manque parfois à nos dirigeants, quelquefois insidieux et sournois, distillant le faux ou le « demi-vrai », sachant que comme pour la calomnie, il en restera toujours quelque chose, voire beaucoup.
Par ailleurs, il serait faux, inconscient et dangereux de continuer de penser que la jeunesse, ou même la population, n’est pas politisée au Maroc. Elle l’est. Et encore plus qu’avant quand la confiance régnait et que les populations confiaient leurs sorts aux politiques ; aujourd’hui, le puissant rejet des élections (qu’on constate à travers les taux d’abstention), indiquent une désaffection des gens, qui se ruent alors sur les réseaux où ils trouvent tout ce qu’ils veulent.
Dans les rangs des contestataires, on ne trouve pas uniquement les « imbéciles » dont parle Umberto Eco, mais des professionnels de la caméra et des professionnels de la politique. Les deux catégories sont peuplées de gens qui savent ce qu’ils disent et comment le dire.
Quand un youtubeur/journaliste comme Hamid Mehdaoui enchaîne ses vidéos en mettant le doigt sur des points de droit, en réussissant à faire reculer la réunion des deux Chambres pour le bilan du mi-mandat, en raison d’un détail juridique qui a échappé aux législateurs, il est bien plus audible que l’ensemble des institutions ; alors il s’organise, se capillarise et se ramifie.
Et quand un collectif comme celui mis en place pour la défense de la raffinerie la Samir qualifié les chiffres fournis par le gouvernement comme « insincères », il est lu et vu par ceux auxquels le message est destiné, en l’occurrence l’opinion publique nationale et les bailleurs de fonds. Et quand un homme politique de la trempe de Nabil Benabdallah déverse ses critiques ô combien justifiées sur l’équipe exécutive, il est entendu. Et on ne compte même plus les « influenceurs » qui influencent de loin, de l’étranger…
Et que pensez-vous que soit la réaction du gouvernement et de son chef ? L’autruche ! Et cette autruche-là met l’ensemble de la nation en danger car d’architecture idéologique en structures technologiques, le vent de la fronde monte … qu’arrivera-t-il alors quand cette colère sera parvenue au sommet ?
La réponse reviendra aux sécuritaires car les politiques n’auront pas fait leur travail. On peut arrêter un jeune chanteur ou contrer un influenceur, mais la règle générale est que plus on agit, plus la toile réagit et que les youtubeurs prolifèrent.
C’est sans doute la première fois dans l’histoire de ce pays qu’un tel ensemble de griefs sont nourris contre le gouvernement, sans réponse ni réaction identifiables. La hausse du chômage, la hausse des prix, les conflits d’intérêts, les soupçons ou rumeurs de corruption, les règlements de comptes… autant d’accusations qui gagneraient à être examinées par ceux qui sont en charge de ce genre de choses, la justice par exemple.
Dans l’intervalle, l’expression « khouti lemgharba » a fleuri, grandi, prospéré, avec tous les dangers que cette expression véhicule, comme l’ouverture de la société à tous les courants extrêmes ou extrémistes.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost