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Par Aziz Boucetta
Nos confrères de Medias24 relatent ce jugement d’un tribunal de Kenitra, qui a décidé d’acquitter un couple, lui marié et elle non, qui échangeait des baisers sur un lit. Les juges avaient à leur disposition une vidéo qui montrait les faits, et pourtant ils ont prononcé un acquittement pour les deux accusés. Interrogé par nos confrères, un magistrat a expliqué qu’il n’y a que trois manières de prouver un adultère, et donc une relation sexuelle : par constat de la police judiciaire et donc flagrant délit, par aveu spontané ou par aveu judiciaire. Aucun de ces éléments n’était versé au dossier, donc acquittement.
Deux choses sont intéressantes dans cette affaire : les juges acquittent un homme marié qui reconnaît un échange de baisers sur un lit avec une femme non mariée, et les mêmes juges s’inscrivent en contradiction de la cour de cassation qui estime, dans des arrêts précédents, que le baiser ou des relations sexuelles virtuelles sont constitutifs d’acte d’adultère.
Au-delà du jugement de Kenitra – qui honore ses audacieux auteurs –, il importe de relever que certaines juridictions commencent à entrevoir les choses sous un aspect qui rompt avec la vision traditionaliste, passéiste habituelle. Dans cette affaire, on peut raisonnablement envisager la probabilité d’une relation sexuelle après les baisers sur le lit, comme l’a fait la cour de cassation dans d’autres dossiers cités par Medias24, mais est-ce une raison pour conduire les « coupables » en prison ?
Le Maroc, qui aspire à devenir un grand ou au moins un pays qui compte sur l’échiquier mondial, ne peut s’offrir le luxe de maintenir de telles dispositions dans son code pénal, de conserver des articles réprimant les actes sexuels hors mariage. Des adultes consentants, quelle que soit leur orientation sexuelle, doivent pouvoir faire ce qui leur convient sans que l’Etat, à travers sa police, intervienne puis par le moyen de la justice, sévisse.
Criminaliser ces...actes est tout simplement inepte car de deux choses l’une : soit l’Etat et la société s’accommodent du fait d’avoir des lois que très peu de gens respectent, soit il lui faudra se priver de dizaines, de centaines de milliers de talents, tous embastillés pour « relations sexuelles hors mariage », et toutes les prisons du royaume et même du monde n’y suffiraient pas. Quant à l’adultère, cela doit devenir et demeurer l’affaire d’un couple et pas de l’Etat. Police et justice ont certainement autre chose à faire que d’épier les alcôves.
Mais le plus préoccupant est qu’un nombre considérable de personnes, interrogées, expriment leur adhésion aux articles 489 (homosexualité), 490 (relations sexuelles hétérosexuelles) et 491 (adultère), alors que ces mêmes personnes, dans leur existence quotidienne, acceptent parfaitement de vivre avec ce qu’ils savent pertinemment être interdit. Schizophrénie ? Duplicité ? Hypocrisie ? A ces personnes de se définir, dans le cadre d’une loi inapplicable, inappliquée, largement transgressée.
Nul n’est certes censé ignorer la loi mais la loi ne doit pas pour autant ignorer la réalité. Maintenir une loi inapplicable affaiblit la notion même de règle, car elle conduit les gens à désobéir, à s’accommoder de cette désobéissance et donc à l’élargir à d’autres textes qu’ils estimeraient abusifs.
Pourquoi donc maintenir encore et toujours cette disposition idiote consistant à demander à un homme et une femme se présentant à un hôtel la relation qui les lie, alors même qu’ils n’exigent rien de personnes de même sexe occupant une chambre ? Pourquoi penser qu’un homme et une femme, non mariés, auront forcément une relation sexuelle une fois dans la chambre ?
Dans le débat qui anime aujourd’hui le Maroc sur l’évolution du code de la famille, il serait utile de réserver une place à ces questions, d’en débattre et de laisser les gens vivre selon leurs désirs, si tant est qu’ils respectent la loi.
Dans l’attente, ou dans le cas où ces articles répressifs du code pénal seraient maintenus, il appartiendra à la justice de créer des jurisprudences et à l’Etat de former les juges dans ce sens. Une société évolue par les changements de comportements ou par la loi, qui induit ces changements. Et encore une fois, on ne peut que féliciter et même remercier ces juges de Kenitra qui ont dit le droit. Intelligemment.
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost