Par Aziz Boucetta
Abdellatif Ouahbi, commençons par lui car à tout seigneur tout honneur, est ministre de la justice et surtout ancien secrétaire général du PAM, fonction qu’il a quittée voici quelques semaines pour être remplacé par un très inattendu triumvirat. Il est connu pour avoir une langue déliée qu’il garde ailleurs que dans sa poche, et il ose bien souvent s’en servir, ne craignant ni l’esclandre ni de se faire descendre.
Il vient de faire une déclaration au parlement, en sa qualité de ministre de la Justice ; il a affirmé que demander un acte de mariage à un couple se présentant à un hôtel ne repose sur aucun fondement juridique, et que c’est donc une demande illégale dont l’auteur est passible de poursuites judiciaires. M. Ouahbi est aussi avocat et quand il dit avoir chercher ce fondement juridique durant 20 ans sans le trouver, on peut le croire.
La déclaration du ministre de la Justice est « révolutionnaire » car elle « révolutionnera » la pratique de la chambre d’hôtel pour les couples non mariés, ce qui peut, en effet, comme le craignent de nombreuses personnes, servir de lit à la prostitution, car prostitution il y a dans ce pays… Mais cela élargit, aussi, le champ des libertés, aux adultes consentants, non mariés, qui entretiennent une relation de couple. Il faudra du temps pour que les choses entrent dans l’ordre, mais il faut reconnaître à M. Ouahbi son courage et sa cohérence avec ses idées.
Et cette liberté nouvelle sera à porter à son compte ; il restera à revoir, dans le sens de l’abrogation, des articles « limitant » les libertés individuelles de nature sentimentale et affective… et ce « fondement juridique »-là, il sera difficile à supprimer !
L’autre ministre qui fait la Une de l’actualité au Maroc est Leila Benali, mais elle, c’est à son corps défendant. A partir d’une photo qui ne montre pas les traits de la dame qui y figure et qu’on présente comme étant ladite ministre, on a construit toute une histoire de conflits d’intérêt et de mœurs ; à partir de cette photo, on essaie de détruire une femme, usant du procédé le plus vil, le plus bas, le plus ignoble qui puisse être.
Selon les médias qui ont rapporté, puis accusé directement ou allusivement la ministre Benali, cette dernière aurait accordé ses faveurs de ministre à un investisseur australien, par ailleurs attributaire...de marchés publics au Maroc. Les « commentateurs » y ont vu une accumulation de « faveurs »…
Avec quelle preuve ? « Ben la photo, pardi ! », même si cette photo ne montre rien… « ce sont quand même les Australiens et les Britanniques qui le disent », insistent nos limiers en plein complexe du colonisé… nos limiers qui insistent, pour se dédouaner et se donner bonne conscience que la liberté individuelle de la ministre n’est pas en cause, mais que c’est l’intérêt général qui doit être protégé. C’est beau comme une Mercedes des années 30 !
Et d’en appeler à une enquête, d’exiger une investigation, de pousser des cris d’orfraie sur la nécessaire et incontournable éthique… Il est assez surprenant de lire dans les médias et les réseaux sociaux le même élément de langage qui est le « conflit d’intérêt », une notion chahutée depuis quelques années et qui surgit soudainement, avec cette affaire, cette pseudo et indigne affaire.
Certes, il faut effectivement de l’éthique et oui, il importe de s’assurer que les marchés attribués à l’Australien l’ont été de la manière la plus légale. Cela appelle trois remarques :
1/ En quoi la diffusion de l’image (ou de l’information) d’un baiser entre-t-elle dans le cadre de cette enquête administrative, si ce n’est pour nuire à la ministre ? Il est vrai que la nature distante et quelque peu hautaine de la ministre ne lui a pas apporté que des amis… mais de là à l’attaquer de cette façon, il y a une limite que certains ont franchi allégrement !
2/ Il existe bien des manières de vérifier la régularité du marché et il serait hautement indiqué de mettre en place une commission de « sages » pour s’enquérir du respect de la procédure dans l’attribution de ce marché, et pour tous les autres, dépassant un seuil financier à définir ;
3/ Pourquoi n’a-t-on pas demandé avec autant de virulence une enquête pour déterminer les responsabilités personnelles des dirigeants ou actionnaires d’entreprises dont le conseil de la concurrence a établi l’entente illégale, par exemple sur les prix des hydrocarbures ? Et surtout quand l’un de ces responsables occupe l’éminente fonction de chef du gouvernement…
L’éthique est un tout, pas fragmenté ni fragmentable et encore moins à géométrie variable. L’éthique ne doit pas sombrer dans les arcanes politiques ou dans les règlements de compte mercantiles, comme le dit la ministre concernée dans le communiqué qu’elle a fait publier et qui devrait en principe éteindre ce départ de feu.
Il serait tout de même utile et fort intéressant de chercher à comprendre à qui profite réellement cette affaire de photo volée dans une rue parisienne et impliquant Mme Benali, qui dément catégoriquement… la sphère politique ou économique, ou les deux, car dans ce gouvernement, les deux se mêlent et s’entremêlent ?
Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost