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De Saïgon à Kaboul : L’intenable comparaison


Il est très tentant de comparer la chute de Saïgon et l’actuelle entrée des talibans à Kaboul, qui a été, mais 1988, s’il y a vraiment une comparaison à faire, le Viêtnam des Soviétiques. Sans préjuger de l’avenir incertain de l’Afghanistan, c’est à des mains ‘’amis’’ que les Américains ont remis le pays. Explication.



Par Naïm Kamal

de_saIgon_A_kaboul__l_intenab1630014588.mp3 A lire ou à écouter en podcast :  (1.66 Mo)

Les images de ces centaines d’Afghans entassés dans un avion cargo C-17 de l’US Air Force ou celles de milliers d’autres lui courant derrière sur le tarmac de l’aéroport de Kaboul, s’y accrochant au risque de leur vie, ne sont pas sans rappeler les images du départ américain du Viêtnam et la chute en 1975 de Saïgon rebaptisé par ses conquérants Viêt Cong et combattants du Front National de Libération Hô Chi Minh Ville. Là s’arrête la comparaison. 
 

Même si dans les deux cas le départ des Américains ressemble à une débandade et survient suite à la signature d’accords entre les belligérants, ceux de Paris pour le Viêtnam, de Doha pour l’Afghanistan, les deux situations n’ont de similitude que la vacuité de la volonté permanente des puissants d’imposer aux peuples leurs choix.
 

Au Viêtnam, lorsque Washington, qui venait à peine de se résoudre à l’existence de la Corée du nord communiste après une guerre de trois ans, a pris le relais de Paris, puissance coloniale défaite et humiliée à Diên Biên Phu, les forces américaines avaient affaire à un mouvement national d’obédience communiste fortement soutenu par l’Union Soviétique, alors deuxième puissance mondiale, et la Chine de Mao Tsé Toung. Leur débâcle, dans un monde livré à la guerre froide, a été le triomphe, éphémère il est vrai, du bloc communiste de l’Asie à l’Europe, des Amériques à l’Afrique. 
 

Des communistes aux talibans 

 

En Afghanistan, contrairement à ce que suggère la mémoire courte, l’engagement américain ne remonte pas à 2001 quand, sous prétexte d’éradiquer le terrorisme, le président Bush fils a ordonné l’invasion directe du pays. Mais à l’invasion soviétique de 1979 pour soutenir le régime communiste mis en place en 1978. Pour contrer cette avancée significative de l’URSS dans la région et offrir à Moscou son Viêtnam, les Etats Unis d’Amérique, avec le soutien déterminant du Pakistan, mais aussi de l’Arabie saoudite et d’autres pays musulmans, ont engagé la mobilisation, la formation et l’armement des moudjahidines et plus tard des talibans essentiellement constitués de l’ethnie Patchoune qui représente près de 40% de la population du pays. 
 

En 1988, les moujahidines réussirent enfin à abattre la république démocratique d’Afghanistan soutenue par un allié soviétique dont l’éclatement, encore impensable, est à trois ans de se produire. S’ensuit une guerre civile que seuls les talibans « sortis de nulle part » à la stupéfaction de tous, sauf les initiés des officines et des grands services secrets, arrivèrent à y mettre fin en 1996.
 

Jusqu’à l’avènement en 2001 de Georges W. Bush, Dick Cheney et autres Donald Rumsfeld, Kaboul a pu entretenir des relations plus ou moins normales avec Washington sous la surveillance attentive d’Islamabad. Tant et si bien que quand les forces américaines en Afghanistan envahirent le pays, elles se retrouvèrent dans les faits en guerre contre leur propre progéniture.
 

Le retrait à l’ordre du jour

 

Sans revenir sur toutes les raisons de cette longue guerre qui n’a duré vingt ans que par la détermination du complexe militaro-industriel, appellation que l’on doit au président Dwight David Eisenhower (1953-1961), le retrait américain a été porté à l’agenda de la Maison Blanche dès la fin des deux mandats de Bush fils. Le président Barak Obama (2009-2017), qui a repris à son compte l’appellation complexe militaro-industriel, avait inscrit ce retrait à son programme sans pouvoir tenir ses promesses. Son erreur aura été de croire bon et utile, parce que premier président noir des Etats Unis, de donner des gages à l’état-major de l’armée. Il a reconduit à cette fin à la tête du Pentagone Robert Gates, ancien conseiller adjoint à la sécurité national de Bush père et ancien patron de la CIA que son prédécesseur avait nommé secrétaire à la défense en 2006. 
 

Dans ses mémoires, Une terre promise, ce Nobel immérité de la Paix narre longuement ses démêlés avec le commandement militaire et explique comment au lieu de procéder au retrait promis, il va se retrouver au contraire contraint à renforcer la présence américaine en Afghanistan. Il y détaille aussi les rapports peu amènes qu’entretenait le commandement militaire avec son vice-président, l’actuel hote de la Maison Blanche, Joe Biden, lui aussi fervent partisan de la cessation de la guerre afghane. A ses yeux, elle avait épuisé d’autant plus ses raisons d’être que Washington est désormais branché sur le « printemps arabe » aux couleuvres islamistes avec la bénédiction de l’administration américaine que la secrétaire d’Etat d’Obama, Hilary Clinton, décline avec précision dans ses mémoires. Dans Une terre promise, Barak Obama s’attarde aussi sur ses interventions lors de leur réunion pour mettre un terme à la condescendance des militaires à l’égard de Joe Biden qui ne comprenait pas l’entêtement de l’état-major à renforcer le corps expéditionnaire en Afghanistan. A lui seul, cet épisode peut en bonne partie éclairer sur la rapidité et la détermination avec lesquelles le président actuel des Etats Unis a décidé et mené le retrait américain. 
 

Une règle aussi vieille que le monde

 

Avec le successeur d’Obama les choses allaient devenir plus claires. Personnalité baroudeuse, s’embarrassant très peu des formes, n’ayant aucun gage à donner au commandement militaire pour l’assurer de son américanisme, Donald Trump (2017-2021) a engagé sans attendre des négociations avec les talibans représentés par la partie de ses dirigeants installés au Pakistan. Abritées par Doha, refuge douillet des islamistes de tout bord et notamment des frères musulmans, les négociations avec les talibans entamées dès 2018 et conclues en février 2020, ont la particularité de s’être déroulées sans la participation ou la présence de représentants du gouvernement « légal » de Kaboul lié pourtant à Washington par un accord stratégique. Faut-il être grand clercs pour comprendre du process de ces accords secrets que les Américains s’étaient résolus à rendre à leurs poulains le pouvoir en Afghanistan en des termes que l’avenir ne manquera pas de dévoiler.
 

L’accord avec les talibans plié, ne restait aux élites que la CIA avait rapportées dans ses valises pour imprimer à l’occupation américaine une couleur locale et une façade indigène et civile, qu’à reprendre l’avion pour des destinations plus sûres. La conclusion des accords de cette manière explique la démobilisation de « l’armée nationale afghane » qui a bien saisi le message, et la reconquête par les talibans des capitales régionales et Kaboul quasiment sans combats. Sauf qu’il ne faut pas en déduire que la paix et la stabilité de l’Afghanistan sont pour demain. Cela reviendrait à tirer des plans sur la comète. L’Afghanistan est un pays complexe dans une région encore plus complexe. Mais s’il y a d’ores et déjà une leçon à se remémorer de l’imbroglio afghan, c’est cette règle aussi vieille que le monde : Dans les relations internationales aucune amitié n’est éternelle et aucun accord, quand bien même porterait-il le titre pompeux de stratégique, ne résiste aux changements des conjonctures et aux mouvements des intérêts.     

Rédigé par Naïm Kamal sur https://quid.ma




Jeudi 26 Août 2021


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