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L'argumentaire discutable et même contestable développé par la formation islamiste met en avant un certain nombre de points qu'il convient de relever.
1- Aux termes des dispositions de l'article 11 de la Constitution, il est affirmé que "les élections libres, sincères et transparentes, constituent le fondement de la légitimité de la représentation démocratique". Sur la base de ce crédo, se pose pratiquement la question du système électoral à mettre sur pied. Fallait-il appliquer de nouveau celui qui a été utilisé en 2016 ou bien y apporter des amendements significatifs compte tenu précisément de ses effets ? Outre ceux relatifs à une représentation améliorée des femmes sur la base de listes régionales - et partant de la suppression de la liste nationale qui leur était réservée ainsi que de celle des jeunes d'ailleurs- c'est surtout l'institution d'un quotient électoral qui a cristallisé les positions binaires des partis, comme indiqué.
2- Il faut rappeler qu'en 2016, le mode de scrutin pour les élections des membres de la Chambre des représentants était le suivant :
- 305 sièges à pourvoir au scrutin majoritaire plurinominal dans 92 circonscriptions de deux à six sièges,
- S'y ajoutent 90 sièges pourvus au scrutin proportionnel plurinominal dans une circonscription nationale unique.
Sur cette base-là, ce système n'a pas assuré une représentation équitable des partis politiques : certains d'entre eux ont été avantagés, d'autres pas. En se référant aux détails des chiffres, des conclusions sont à tirer en la matière si l'on se retient comme référence de base le quotient électoral qui est de 14.630 obtenu par la division des 5.779.004 suffrages exprimés par les 395 sièges à pourvoir :
- Quatre partis ont été avantagés, gagnant des sièges avec un total de voix inférieur à cet quotient : PAM (11.826), UC ( 12.458), PJD ( 12.95I) et P.I. frôlant ce quotient avec 13.479;
- Un parti, le MP, se situe pratiquement autour de ce quotient avec 14.706;
- Enfin, cinq partis ont été pénalisés : RNI ( 15.104), USFP (17.981), PPS ( 22.816), MDS ( 38.815) et FGD ( 82.280).
- Deux partis, classés en tête, enregistrent une surreprésentation de leurs sièges par rapport aux voix. Il s'agit du PAM avec un "bonus" de cinq points (20,82 % des voix) et 25% des sièges) et du PJD ( 27,88% / 30%). Le gain est moindre pour le PI ( 10,73 % / 11,47 %). Quatre autres partis (MP, UC, RNI) USFF) préservent pratiquement le pourcentage de leurs sièges respectifs par rapport à leurs voix. En revanche, une sous- représentation frappe surtout le PPS ( 4,82 % / 2,3%) et la FGD (2,41 %/0,66 %).
3- Il faut souligner que la prise en compte désormais des inscrits - en lieu et place des suffrages exprimés - élargit le périmètre et la dimension de la démocratie participative. Les sièges obtenus par les partis ont la même valeur démocratique. Ils procèdent de citoyens inscrits sur les listes électorales, autrement dit membres à part entière du corps électoral qui est le socle de toute expression politique. Les inscrits ont un statut égal. Leur qualité est partagée en commun, par tous, sans hiérarchie ni discrimination.
A partir de ce statut, libre à eux d'exercer, sous telle ou telle forme, leur choix et leur inclination: se rendre aux urnes, déposer un bulletin blanc, choisir un candidat ... ou ne pas voter-quoique les dispositions de l'article 30 (al.2) de la Constitution consacrent le vote comme étant "un devoir personnel".
4- Le nouveau quotient électoral peut-et doit-avoir des effets de mobilisation civique. Il va ainsi pousser davantage d'électeurs inscrits à se rendre aux urnes parce qu'ils mesureront qu'il va influencer les résultats des élections. Ce sont là des électeurs inscrits donc mais qui vont aller voter, en même temps et en plus de tous ceux qui le font traditionnellement. Aux dernières élections législatives d'octobre 2016, l'on avait compté seulement 6.640.626 votants et 5.779.004 suffrages exprimés par suite de 861.622 bulletins blancs. Mais le nombre d'inscrits sur les listes électorales était de 15.702.592. Ainsi, ce sont bien 10 millions d'électeurs inscrits qui n'ont pas voté.
Il s'agit là de ce que l'on appelle en sociologie électorale un "marais" qu'il importe de motiver sur la base d'un argumentaire, notamment: "Votre voix compte", "Votre bulletin est pris en compte pour la carte politique", "Vous avez en main la possibilité d'orienter la nature et la dimension de la future majorité ainsi que le gouvernement",...
5- Une représentation politique élargie: voilà encore l'une des conséquences prévisibles du nouveau quotient électoral. Pourquoi ? Parce que compte tenu du plus fort reste qui sera appliqué pour la répartition des sièges non pourvus, les petits partis ont ainsi la possibilité d'être représentés dans la prochaine Chambre des représentants. N'est pas recevable ni plaidable une certaine approche qui considère cette catégorie de sièges pourvus sur la base du plus fort reste comme de moindre valeur et teneur démocratique - ils sont été qualifiés à cet égard de sièges de "rattrapage"... Cette assertion est inexacte parce que ces sièges-là procèdent du choix des électeurs, les uns inscrits et d'autres, votants,
6- Avec le nouveau quotient électoral, la Chambre des représentants gagnera en crédibilité et en légitimité. Tout le large spectre de la représentation partisane et politique y aura sa place: les grandes formations, bien entendu, mais aussi les moyennes et les plus petites. Le pluralisme politique y trouvera une expression davantage confortée, consolidant ainsi l'accumulation et la capitalisation démocratique.
7 - Enfin, il vaut de noter la valeur ajoutée de ce nouveau mode de scrutin. Référence est faite ici à la formation d'une majorité. Le schéma qui a prévalu depuis 2011 puis en 2016 s'est articulé autour d'une forme de bipolarité avec d'un coté le PJD et de l'autre des / alliés, à géométrie variable d'ailleurs, tant dans le cabinet Benkirane (2012-2016 ) que dans celui de son successeur, Saâeddine El Othmani, investi en avril 2017.
Des dix ans écoulés dans ces deux cabinets, force est de faire ce constat: la majorité n'a pas fait montre d'une grande cohésion ni d'une solidarité particulière. Ce qui s'est passé lors du vote de la loi sur la légalisation du cannabis à des fins industrielles et thérapeutiques, la semaine dernière au Parlement avec la délibération du projet de loi No 13-21, témoigne d'une profonde division de la majorité, le PJD votant contre ce texte.
Avec le nouveau quotient électoral, la compétition demeurera entre les uns et les autres - c'est le jeu normal de la démocratie.
Mais ce ne sera plus une forme de rivalité s'apparentant à l'altérité, bloc contre bloc - avec même une dimension sociétale adossée à des valeurs-, qui sera mise en équation. C'est que le quotient électoral, n'assure plus la surreprésentation des grandes formations par rapport à leurs voix. Il élargit le champ de la représentation partisane au Parlement.
Il va peser de tout son poids pour mettre fin à des situations, injustes, inéquitables et pénalisantes et pour s'inscrire dans une perspective de "normalisation " de la représentation politique. "Win-Win", au total : pour les électeurs, le système partisan remodelé, la stabilité et l'efficacité de la majorité et du gouvernement qui en est issu. Une avancée dans la consolidation des acquis démocratiques.