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Par Naïm Kamal
La visite de 48h du président français Emmanuel Macron, réglée comme du papier à musique, s’est déroulée comme il lui a été voulu, dans la cordialité et l’amabilité. Pour l’accueillir le Royaume du Maroc a mis les petits plats dans les grands et n’a pas lésiné sur l’apparat selon un protocole forgé au cours des siècles.
Ce que le Maroc et sa monarchie ont d’ancestral était de tous les rendez-vous d’une visite au pas de charge. Le passé du Maroc était fortement présent, mais aussi sa modernité et sa projection dans l’avenir en lutte avec ses conservatismes, ses travers et tout ce qui apparaît comme un lest entravant son essor pour se placer définitivement au rang de pays émergeant.
Un détour par l’Histoire
Le Roi Mohammed VI a montré aux Marocains et à tout observateur dont le jugement n’est pas altéré par les à priori comment, dans un rapport de force inégal, il est possible de rééquilibrer une relation en déployant avec habileté et détermination ses propres atouts.
Le président français n’a pas été en reste. Le verbe, à la fois sa force et son faible, il en a habilement usé de même qu’il a su domestiquer ses démons, laissant aux vestiaires ses familiarités pour ne pas gâcher cette capacité de séduction qui lui avait permis en 2017 de conquérir les voix des Français.
Son discours devant le Parlement marocain qui lui a réservé une standing ovation lorsqu’il a réaffirmé la nouvelle position de Paris sur la marocanité du Sahara et le plan d’autonomie, a été, au-delà de ses subtilités, un bel échantillon de ce que M. Macron peut, quand il veut, être élégant.
Son détour par l’histoire du Maroc et celle des relations maroco-françaises est sans doute flatteur, mais sa référence à l’ambassade du corsaire Abdellah Ben Aïcha a été malheureusement amputée de sa teneur stratégique ne retenant que l’accessoire, la demande de la main de la fille du roi Louis IV par le sultan alaouite Moulay Ismail. Probablement conçu dans l’esprit du sultan pour consolider les relations entre les deux pays par une alliance familiale à la manière de ce qui se faisait l’époque entre les dynasties européennes, cette demande en mariage a pris avec le temps un aspect anecdotique occultant ce que l’ambassade de Abdellah Ben Aïcha avait d’autrement plus important. A ce titre, cette citation ne fut pas heureuse.
Le vrai roman
Le vrai roman de Ben Aïcha reste à écrire, disait Abdeljlil Lahjomri, secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, dans l’une de ses chroniques, consacrée au personnage. De son histoire, il aurait été plus approprié de retenir, dans le contexte actuel, ce que dans sa mission était stratégique. Voulue par le sultan, elle s’inscrivait dans le feuilleton de tractations, qui a duré plusieurs années.
Entamées par le consul français Jean-Baptiste Estelle, il appartiendra à un autre « gentilhomme de la maison du roi », Pidou de Saint-Olon, de les poursuivre. Le traité léonin qu’il proposait au souverain marocain était voué à l’échec et a été en conséquence rejeté. C’est alors que l’ambassade de Abdellah Ben Aïcha est intervenue. Sa mission en 1699 avait pour objectif principal de négocier les accords commerciaux et maritimes entre le Maroc et la France à une époque où les corsaires écumaient les mers.
Le sultan Moulay Ismaïl cherchait à établir des relations diplomatiques et commerciales solides avec les puissances européennes, en particulier pour sécuriser les échanges maritimes et veiller à une bonne gestion de la question des captifs. Abdellah Ben Aïcha demeura longtemps dans le raffinement français entre soirées mondaines et palabres diplomatiques sans arriver à la flexibilité souhaitée.
Il n’est pas question à travers ce rappel de poser un regard crédule sur les relations internationales, mais le sort réservé à l’ambassade de Ben Aicha, si l’on s’y penche sincèrement, devrait précisément inciter les partenaires à identifier ce qui a longtemps plongé les rapports entre les deux pays dans une alternance où la tourmente est plus fréquente que l’accalmie.
M. Macron est reparti du Maroc optimiste. Dans l’interview accordée à 2M et Medi1 il a notamment conclu :
"On a construit beaucoup de choses pour en arriver là. Et en disant cela, je me dis, il y a une forme de spontanéité, d’élan qui dit l’évidence de notre relation». Il a toutefois précisé, et il avait mille fois raison de le faire, « mais après, il y a tout ce qu’on va continuer à faire pour l’entretenir".
Démentir les cassandres
Devant les parlementaires marocains, M. Macron est allé un peu plus loin dans cette ‘’spontanéité’’ en déclarant que « la France veut s’inspirer du Maroc », notamment pour refonder sa relation avec le Royaume et se réinvestir en Afrique sur de nouvelles bases et de nouvelles valeurs. Tout observateur honnête ne peut que s’en réjouir. Mais la France le veut-elle vraiment, et si oui, le peut-elle réellement ? Car il lui faudrait auparavant une révolution sur ses atavismes et ses tropismes et surtout sur ses envies et ses habitudes économiques boulimiques.
Poser cette question n’est pas cultiver le scepticisme, mais participe du vœu de M. Macron d’entretenir la relation pour la sauvegarder. C’est qu’avant pendant et après son déroulement, et ce n’est qu’un seul exemple, la concentration de certains milieux français sur, entre autres, la bouderie, en vérité l’ire d’Alger, au lieu de leur ouvrir les yeux sur la réalité du conflit maroco-algérien ou, comme l’a exprimé le ministre des Affaires Étrangères marocain, sur « le Maroc (qui) ne négocie pas à propos de son Sahara mais au sujet d’un conflit régional avec un pays voisin », ils persistent à faire accroire qu’Alger n’est que le soutien des miliciens du Polisario. Est-ce pour mieux garder deux fers au feu qu’ils nourrissent ainsi de leurs bûches ? Probablement.
Mais les râleurs, il y en eu aussi du coté des Marocains. La déclaration de M. Macron devant le Parlement réuni pour l’occasion sur le « Hamas terroriste » n’a pas fait que des heureux et ils l’ont manifesté. Ici et là aussi il se dit que la France a tout rafler. C’est à voir car le Maroc, entre ce qu’il va donner et ce qu’il va recevoir, vaut bien plus, il faut l’espérer, que les quelques dix milliards d’euros, étalés sur quelques années, autour desquels tournent contrats, conventions et intentions.
Ce qu’il faut surtout retenir pour l’instant d’une visite réussie aussi bien par sa forme que par son fond, est que son franc succès a été rendu possible par la lettre du président de la république française au souverain du Maroc inscrivant « le présent et le futur » du Sahara dans le cadre de la souveraineté marocaine. On aurait aimé Paris plus franc sur l’intitulé de la carte du Maroc sur le site du Quai d’Orsay rétablie dans ses frontières sans nuance au ‘’Sahara occidentale’’ et plus hardi sur la superficie du Maroc qui n’y figure plus. Ce qu’il faut également garder à l’esprit, c’est que cette accélération des événements n’a été possible que par la ténacité d’un roi déterminé à faire prévaloir les droits son pays et par de longues et harassantes négociations des accords signés ou paraphés les 28 et 29 octobre 2024 à Rabat.
Cette visite d’Etat grisante comptera dans l’histoire des deux pays, mais elle comptera mieux si l’on réussit à démentir les cassandres par, pour paraphraser M. Macron, ce que l’on en fera des jours d’après et de l'équipée qui a précédé et accompagné sa gestation.
Par Naïm Kamal sur quid.ma/
Ce que le Maroc et sa monarchie ont d’ancestral était de tous les rendez-vous d’une visite au pas de charge. Le passé du Maroc était fortement présent, mais aussi sa modernité et sa projection dans l’avenir en lutte avec ses conservatismes, ses travers et tout ce qui apparaît comme un lest entravant son essor pour se placer définitivement au rang de pays émergeant.
Un détour par l’Histoire
Le Roi Mohammed VI a montré aux Marocains et à tout observateur dont le jugement n’est pas altéré par les à priori comment, dans un rapport de force inégal, il est possible de rééquilibrer une relation en déployant avec habileté et détermination ses propres atouts.
Le président français n’a pas été en reste. Le verbe, à la fois sa force et son faible, il en a habilement usé de même qu’il a su domestiquer ses démons, laissant aux vestiaires ses familiarités pour ne pas gâcher cette capacité de séduction qui lui avait permis en 2017 de conquérir les voix des Français.
Son discours devant le Parlement marocain qui lui a réservé une standing ovation lorsqu’il a réaffirmé la nouvelle position de Paris sur la marocanité du Sahara et le plan d’autonomie, a été, au-delà de ses subtilités, un bel échantillon de ce que M. Macron peut, quand il veut, être élégant.
Son détour par l’histoire du Maroc et celle des relations maroco-françaises est sans doute flatteur, mais sa référence à l’ambassade du corsaire Abdellah Ben Aïcha a été malheureusement amputée de sa teneur stratégique ne retenant que l’accessoire, la demande de la main de la fille du roi Louis IV par le sultan alaouite Moulay Ismail. Probablement conçu dans l’esprit du sultan pour consolider les relations entre les deux pays par une alliance familiale à la manière de ce qui se faisait l’époque entre les dynasties européennes, cette demande en mariage a pris avec le temps un aspect anecdotique occultant ce que l’ambassade de Abdellah Ben Aïcha avait d’autrement plus important. A ce titre, cette citation ne fut pas heureuse.
Le vrai roman
Le vrai roman de Ben Aïcha reste à écrire, disait Abdeljlil Lahjomri, secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, dans l’une de ses chroniques, consacrée au personnage. De son histoire, il aurait été plus approprié de retenir, dans le contexte actuel, ce que dans sa mission était stratégique. Voulue par le sultan, elle s’inscrivait dans le feuilleton de tractations, qui a duré plusieurs années.
Entamées par le consul français Jean-Baptiste Estelle, il appartiendra à un autre « gentilhomme de la maison du roi », Pidou de Saint-Olon, de les poursuivre. Le traité léonin qu’il proposait au souverain marocain était voué à l’échec et a été en conséquence rejeté. C’est alors que l’ambassade de Abdellah Ben Aïcha est intervenue. Sa mission en 1699 avait pour objectif principal de négocier les accords commerciaux et maritimes entre le Maroc et la France à une époque où les corsaires écumaient les mers.
Le sultan Moulay Ismaïl cherchait à établir des relations diplomatiques et commerciales solides avec les puissances européennes, en particulier pour sécuriser les échanges maritimes et veiller à une bonne gestion de la question des captifs. Abdellah Ben Aïcha demeura longtemps dans le raffinement français entre soirées mondaines et palabres diplomatiques sans arriver à la flexibilité souhaitée.
Il n’est pas question à travers ce rappel de poser un regard crédule sur les relations internationales, mais le sort réservé à l’ambassade de Ben Aicha, si l’on s’y penche sincèrement, devrait précisément inciter les partenaires à identifier ce qui a longtemps plongé les rapports entre les deux pays dans une alternance où la tourmente est plus fréquente que l’accalmie.
M. Macron est reparti du Maroc optimiste. Dans l’interview accordée à 2M et Medi1 il a notamment conclu :
"On a construit beaucoup de choses pour en arriver là. Et en disant cela, je me dis, il y a une forme de spontanéité, d’élan qui dit l’évidence de notre relation». Il a toutefois précisé, et il avait mille fois raison de le faire, « mais après, il y a tout ce qu’on va continuer à faire pour l’entretenir".
Démentir les cassandres
Devant les parlementaires marocains, M. Macron est allé un peu plus loin dans cette ‘’spontanéité’’ en déclarant que « la France veut s’inspirer du Maroc », notamment pour refonder sa relation avec le Royaume et se réinvestir en Afrique sur de nouvelles bases et de nouvelles valeurs. Tout observateur honnête ne peut que s’en réjouir. Mais la France le veut-elle vraiment, et si oui, le peut-elle réellement ? Car il lui faudrait auparavant une révolution sur ses atavismes et ses tropismes et surtout sur ses envies et ses habitudes économiques boulimiques.
Poser cette question n’est pas cultiver le scepticisme, mais participe du vœu de M. Macron d’entretenir la relation pour la sauvegarder. C’est qu’avant pendant et après son déroulement, et ce n’est qu’un seul exemple, la concentration de certains milieux français sur, entre autres, la bouderie, en vérité l’ire d’Alger, au lieu de leur ouvrir les yeux sur la réalité du conflit maroco-algérien ou, comme l’a exprimé le ministre des Affaires Étrangères marocain, sur « le Maroc (qui) ne négocie pas à propos de son Sahara mais au sujet d’un conflit régional avec un pays voisin », ils persistent à faire accroire qu’Alger n’est que le soutien des miliciens du Polisario. Est-ce pour mieux garder deux fers au feu qu’ils nourrissent ainsi de leurs bûches ? Probablement.
Mais les râleurs, il y en eu aussi du coté des Marocains. La déclaration de M. Macron devant le Parlement réuni pour l’occasion sur le « Hamas terroriste » n’a pas fait que des heureux et ils l’ont manifesté. Ici et là aussi il se dit que la France a tout rafler. C’est à voir car le Maroc, entre ce qu’il va donner et ce qu’il va recevoir, vaut bien plus, il faut l’espérer, que les quelques dix milliards d’euros, étalés sur quelques années, autour desquels tournent contrats, conventions et intentions.
Ce qu’il faut surtout retenir pour l’instant d’une visite réussie aussi bien par sa forme que par son fond, est que son franc succès a été rendu possible par la lettre du président de la république française au souverain du Maroc inscrivant « le présent et le futur » du Sahara dans le cadre de la souveraineté marocaine. On aurait aimé Paris plus franc sur l’intitulé de la carte du Maroc sur le site du Quai d’Orsay rétablie dans ses frontières sans nuance au ‘’Sahara occidentale’’ et plus hardi sur la superficie du Maroc qui n’y figure plus. Ce qu’il faut également garder à l’esprit, c’est que cette accélération des événements n’a été possible que par la ténacité d’un roi déterminé à faire prévaloir les droits son pays et par de longues et harassantes négociations des accords signés ou paraphés les 28 et 29 octobre 2024 à Rabat.
Cette visite d’Etat grisante comptera dans l’histoire des deux pays, mais elle comptera mieux si l’on réussit à démentir les cassandres par, pour paraphraser M. Macron, ce que l’on en fera des jours d’après et de l'équipée qui a précédé et accompagné sa gestation.
Par Naïm Kamal sur quid.ma/