Par Rachid Boufous
Pour ce qui est de l’avenue Mohammed VI, son élargissement n’a aucun sens du point de vue urbanistique, puisqu’elle porte déjà 2 fois 3 voies carrossables avec interdiction de stationner. L’élargir encore plus, cela voudrait dire, plus de voitures et plus de trafic et surtout de vitesse, alors que la tendance mondiale est à la vitesse basse, pour moins de pollution. Des rumeurs parlent de passage du tramway, alors que celui-ci ne sera pas utilisé par les habitants du souissi ou de la pinède, attachés à leurs voitures. De plus le tramway au Maroc n’est utilisé, surtout à Rabat que par les classes moyennes et les étudiants, catégories sociales qui n’existent pas à l’Est de la capitale, qui est un repère de gens ultra riches qui préfèrent affréter des chauffeurs pour le déplacement de leur bambins à l’école ou pour faire des courses. Il aurait mieux valu construire un tramway entre Témara, Hay Ryad et le centre-ville, c’est plus logique et plus utile. On a aussi parlé d’un élargissement pour augmenter la taille du trottoir de cette avenue, où a l’heure actuelle très peu de gens marchent à pied…
Ceci sans compter que la future expropriation qui sera opérée sur ladite avenue va tuer les commerces, stations de services, restaurants, banques qui peinent déjà à y exister. Par ailleurs cette avenue a été refaite il y’a moins de 10 ans avec plus de 2000 palmiers plantés et des candélabres onéreux. On va tout détruire à nouveau pour replanter et recommander de nouveaux candélabres onéreux ? Cela s’appelle de la gabegie et de la dilapidation de deniers publics, pour une utilité future fort douteuse…
Pour ce qui est du quartier de l’océan et de douar Laasker, les gens qui habitaient depuis plus 80 ans n’ont eu que quelques jours pour déguerpir de leurs masures pour aller s’installer à Ain Aouda ou à Tamesna en pleine année scolaire. Pour quelle utilité publique a-t-on fait déménager ces populations historiques de Rabat ? Nul ne le sait et personne ne s’estime obligé de donner des explications. À part les élus du FGD, les politiciens demeurent inexplicablement muets…
Tout cela serait entrepris dans le cadre de la coupe d’afrique et de la coupe du monde. Pourquoi chambouler toute une ville pour des événements qui ne vont durer que un mois et demi tout au plus, à chaque fois ?…
Je vis à Rabat depuis 50 ans sans interruption. Je connais parfaitement cette ville et ses habitants historiques. J’ai étudié dans ses écoles publiques. Les premiers de la classe venaient de ces quartiers populaires, témoignant ainsi que cette ville a toujours favorisé l’ascension sociale de ses habitants. Nous avons toujours vécu en harmonie avec ces populations, travailleuses, fidèles à leur ville et dont ils ont contribué à bâtir la civilisation. Vouloir changer la composition sociale de la capitale est une hérésie urbanistique pure et simple…
Une ville a besoin de toutes ses classes sociales pour continuer à vivre. Rabat a besoin de ses classes sociales pauvres et elles doivent y rester et continuer à y vivre. C’est ce qui fait aussi sa forte identité et renforce sa diversité. Faire de Rabat un ghetto pour riches n’est pas la bonne solution pour un développement urbain serein et harmonieux. Requalifier les quartiers et en moderniser les infrastructures et l’habitat de Rabat est une nécessité impérieuse, mais à la condition d’y reloger ces mêmes habitants historiques. Les jeter très loin de la capitale dans des conditions douteuses, ce n’est que déplacer le problème et non le résoudre.
J’ai dessiné la ville de Ain Aouda dans les années 2000 ou je me suis occupé durant plus de 15 ans des problématiques liées au recasement de bidonvilles venant de la capitale entre autres. Je me suis aussi occupé du plan d’aménagement de Tamesna et de Sidi Yahya de Zaers. Mais j’ai toujours averti les autorités y compris les ministres de l’habitat et de l’urbanisme de l’époque, sur la dangerosité de concentrer des populations précaires dans les périphéries de la capitale, sans y créer les conditions optimales pour une vie décente et honorable. On ne veut plus de ceinture de pauvreté à Rabat, on l’aura en périphérie, et le problème ne sera pas résolu pour autant….
Rabat a besoin de la constitution d’une aire urbaine équilibrée. Aujourd’hui on déstructure la capitale du point de vue urbanistique sans apporter les solutions adéquates à un vivre-ensemble qui existe depuis des centaines d’années sur ce territoire.
De l’autre côté, on continue désespérément de geler l’urbanisation des 1200 hectares du plateau d’Akreuch, qui constitue le vrai poumon urbain pour que la capitale continue à se développer sereinement.
En 2019 j’avais proposé aux autorités de la ville de déplacer toute la capitale administrative vers le plateau d’Akreuch. J’avais dessiné un plan d’aménagement du plateau dans ce sens. J’y mettais beaucoup de mixité de lots et d’usages afin que les habitants de la capitale puissent continuer de vivre à Rabat et ne soient pas contraints d’exiler leurs enfants à Salé et à Temara, à cause de la rareté et de la cherté du foncier dans la ville.
Je proposais aussi un montage technico-financier pour indemniser les propriétaires d’Akreuch selon le modèle édicté dans le Dahir instituant les syndicats de propriétaires urbains, utilisé par Lyautey pour fabriquer le centre-ville de Casablanca et qui a montré son efficacité dans pareille intervention.
À l’époque, les autorités de Rabat étaient enthousiastes à cette idée que j’avais proposée.
Depuis, de nouvelles autorités ont jeté tout ce travail à la poubelle et fait établir un nouveau plan d’aménagement du plateau d’Akreuch qui n’a aucun sens urbanistique perpétuant un zonage en villas de 2000 m2 alors que le prix actuel de ce type de lot a dépassé les 5000 dh/m2 ce qui porte le lot à 1 milliard de centimes, hormis la construction, et l’on n’a toujours pas réglé le problème de l’aménagement du plateau, de son assainissement et des autres réseaux…
Bref, les gens qui ont en charge l’urbanisme de la ville de Rabat, n’ont rien compris à son développement à travers les âges et ne font que déplacer les problèmes de la ville au lieu de les résoudre durablement.
Tout ce qui compte c’est exproprier, détruire, vider la capitale de ses habitants historiques et pauvres, alors que l’utilité publique pose dans le cas d’espèce de sérieuses questions quant à sa véritable utilité…
Rachid Boufous