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Par Mustapha SEHIMI
Depuis 1948, plus d'une centaine de résolutions ont pourtant été votées par le Conseil de sécurité. Elles ne traduisent pas une référence particulière de l'État hébreu au droit international : tant s'en faut. Ainsi il " interprète "le droit international, depuis des décennies donc, dans un esprit fort éloigné de celui des Nations Unies et de la majorité des membres de la société internationale.
Pourquoi un tel écart ? Parce qu'il bénéficie, quoi qu'il fasse, de l'appui sans réserve, de l'aile protectrice des États-Unis et de la plupart des États de l'Union européenne.
Forte tolérance de l’Occident
La crise 2023-2024 confirme ce que l'on pourrait appeler "l'israélisation", par bien des aspects, du droit international. Cela fait référence à la forte tolérance de l'Occident pour des pratiques qui vont à l'encontre, avec brutalité, des droits de l'homme, du droit humanitaire et du droit à l'autodétermination du peuple palestinien.
Voilà bien en fait une rupture spectaculaire malgré quelques demandes de modération auprès du cabinet Netanyahou - avec la posture internationale d'États se réclamant sans réserve de la démocratie alors qu'ils accusent d'autocratie le reste du monde, en particulier la Russie, la Chine et le Sud global.
La condamnation du terrorisme du Hamas, conjointe à celle d'Israël, s'est exprimée immédiatement et sans examen, dès le 7 octobre 2023, de même que le "droit" de bombarder Gaza fondé sur la notion de légitime défense. La position occidentale n'a pratiquement fait marche arrière, que lentement et partiellement, avec la prolongation de ces bombardements et le nombre des victimes.
La question du respect du droit international a mis beaucoup de temps à être posée sous la pression des États du Sud. Et malgré le caractère flagrant des violations du droit, une réponse occidentale peine à s'exprimer avec clarté.
Cette attitude commune ne regarde pas que les Palestiniens. La réaction israélienne à l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023 menace par son ampleur la paix dans tout le Proche-Orient, plus encore le principe même de toute régulation juridique dans la société internationale.
Charte de l’ONU sans efficacité
La Charte des Nations Unies et le droit international général apparaissent ainsi comme privés de toute efficacité. Le coup porté à la crédibilité du droit et au discours humanitaire des États est d'importance. La thèse du chaos et du désordre international semble en effet se vérifier, avec toutes les menaces qu'elle fait peser. Quelle relecture du droit fait donc Israël ? L'on peut la résumer à cette idée simple: " Tel-Aviv ne saurait s'imposer une contrainte juridique pouvant présenter à ses yeux un risque suicidaire". Si bien que chaque norme est ainsi revue et corrigée pour faire coïncider sécurité nationale, légitimité autoproclamée et légalité revisitée pour le compte d'Israël.
Le 7 octobre 2023 a été une étape déterminante dans ce processus mais c'est bien avant cette date que cet État a inventé des notions propres qui contaminent, néanmoins l'ensemble des relations internationales. La dévastation de Gaza 2023-2024 préoccupe 1'Occident mais elle semble être un pas supplémentaire vers un chaos a-juridique des relations internationales.
Israël a été à l'avant-garde de cette évolution; il le demeure en théorisant sur sa pratique qu'il entend justifier; il a élaboré un corps doctrinal en rupture avec les conceptions les plus classiques du droit international. Il se refuse à être reconnu comme "agresseur", malgré de nombreuses opérations militaires contre des États voisions et des camps de réfugiés palestiniens à l'étranger. Il met en avant la notion de "légitime défense préventive": 1'"agression " devient action défensive, antiterroriste. Elle est destinée à prévenir une éventuelle agression palestinienne ou plus généralement arabe. Les États-Unis, par exemple, avaient adopté la même définition de la légitime défense en 2003 lorsqu'ils ont recouru à la force armée contre l'Irak de Saddam Hussein.
Arbitraire de l’"occupant"
Par ailleurs, l'occupation de territoires est illégale à tous points de vue. Les "intifadas " ont conduit à la révision de la notion "d'occupation" telle que l'entend le droit international. En Cisjordanie et à Gaza, Israël l'a théorisé de manière particulière. Le principal général est que "l'occupant" est responsable de la situation des "occupés" (IVe Convention de Genève du 12 août 1949 et les avis de la Cour internationale de justice). Les dispositions de la Charte des Nations Unies relatives aux droits de l'Homme sont applicables aux Territoires Occupés (Rapport du Secrétaire général, Document ONU A/7720/1769).
Les droits de l'Homme se rattachent aux droits fondamentaux de tous les êtres humains, en tous lieux et de tous temps, y compris en cas d'occupation militaire. Cette position est partagée par le Comité international de la Croix-Rouge qui estime que les deux corps de loi (droits de l'Homme et droits de l'occupation) sont applicables conjointement (document CICR, CDH/17/1/ 1983). Les États européens sont eux aussi du même avis mais sur un autre terrain que la... Palestine: l'occupant turc est jugé responsable par la Commission européenne des Droits de l'Homme de son occupation d'une partie de Chypre.
Enfin, l’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté à la quasi-unanimité la même position (Résolution 2675, 1970): elle a cité la Déclaration universelle des Droits de l'homme en condamnant Israël par 109 voix contre 0 et 8 abstentions. L'invocation par Tel Aviv de la légitime défense dans les Territoires Occupés est " sans pertinence" (§ 3, 139 de la CIJ, 2004). Israël est fondé à répliquer à des actes de violence, mais tout en demeurant dans le droit international " (§141 de l'Avis). "Les forces d'occupation ne sont pas fondées à user d'un recours excessif à la force contre les civils palestiniens "(Résolution 64/94/2009 AG Nations- Unies).
Ainsi 1'ONU a condamné Israël lorsqu'il y a des morts et des blessés, des destructions d'habitations, d'édifices publics, de mosquées et de locaux des Nations Unies. Il faut encore ajouter un autre pan : celui du non-respect des droits de l’Homme par les tribunaux israéliens dans leurs jugements ; celui des détenus palestiniens qualifiés de "combattants illégaux", détenus sans jugement, pour avoir participé "directement ou indirectement à des actes hostiles à l'État d'Israël". Cet arbitraire a précédé les évènements du 7 octobre mais il s'est aggravé avec une grande ampleur avec les opérations anti-Hamas; celui aussi de la rétention des corps des détenus décédés. De quoi préoccuper et interpeller la communauté internationale !...