Est-ce une question de mentalités, d’héritage ou d’ancrage de la violence de père en fils ? La loi est-elle bien appliquée, sinon inefficace ? Pourquoi se mobilise-t-on contre la violence faite aux femmes de façon saisonnière ? Autant de questions qui restent sans réponses ? Des pays, comme la France, se mobilisent toute l’année contre ce phénomène. Médias, réseaux sociaux, défilés, marches sont autant d’actions qui peuvent venir à bout de ces violences contre les femmes et des filles. Et encore...
Entretien avec Saida El Idrissi, militante féministe
L’ODJ : Que pensez-vous du phénomène de violence à l’égard des femmes dans notre pays ?
S.E.L : Malgré les acquis en matière des droits des femmes et en dépit des mesures prises par les institutions étatiques et les associations de Droits humains et droits des femmes pour lutter contre les violences basées sur le genre, les femmes(F) et les filles continuent de subir différentes formes de violences aussi bien dans l’espace privé que public.
L’ODJ : Qu’en est-il des statistiques ?
S.E.L : D’après les résultats préliminaires de la deuxième enquête nationale sur la prévalence de la violence à l’encontre des femmes de 2019 émanant du Haut -Commissariat au Plan(HCP), la prévalence de la violence faite aux femmes est de 58% en milieu urbain (5,1 millions de F) et de 55% en milieu rural (2,5 millions de F rurales). Le contexte conjugal et familial (y compris la belle famille) demeure le plus marqué par la violence, avec une prévalence de 52% (6,1 millions de F), ce qui constitue une augmentation de 1 point par rapport à 2009. La violence conjugale concerne les moins instruites, les plus jeunes et les plus touchées par le chômage.
L’ODJ : Les femmes violentées ont-elles pris la voie des services de protection et de secours ?
S.E.L : Le paradoxe est que peu de victimes, surtout dans le milieu rural, ont recours aux services des centres d’écoute, de la police, de la gendarmerie et de la justice pour bénéficier d’une protection et faire valoir leurs droits. C’est ce que révèle, également, la même enquête : Seulement 10,5 % des victimes de violences physiques et /ou sexuelles ont déposé une plainte auprès de la police ou d’une autre autorité compétente. Elles sont moins de 8% à le faire en cas de violence conjugale contre 11,3% pour la violence non conjugale.
Le recours des victimes à la société civile suite à la survenue de l’incident de violence ne concerne que 1,3% des F. Il est de 2,5% pour les victimes de la violence conjugale contre 0,3% en cas de violence dans les autres cadres de vie. Aussi, l’Enquête du Ministère de la santé de 2018 a montré que la moitié (50,2%) des victimes ont gardé le silence, 26,7% ont eu recours à un proche, 12.6 % à la police et seulement 0,8% à l’hôpital. Et ce, malgré la mise en place d’unités intégrées de prise en charge des femmes et enfants victimes de violence au niveau des structures hospitalières où l’assistante sociale se charge de l’accueil et de la prise en charge.
L’ODJ : Qu’est ce qui induit ce silence et tabous ?
S.E.L : Il y a tout d’abord un manque de connaissances et d’informations relatives aux lois et aux services existants. Plus de 58% des F et 57% des hommes (H) affirment ne pas être au courant de l’existence de cette loi. Ce pourcentage est plus élevé dans le monde rural (70% des F et 69% des H) et parmi les personnes sans niveau scolaire (71% F et 74%H).
Pour ce qui est de la loi 103-13, la moitié des deux gents ne sont pas au courant de son existence (58% pour les F et 57% pour les H). Ce pourcentage est plus élevé dans le monde rural (70% des femmes et 69% des hommes), parmi les sans niveau scolaire (71% pour les Fet 74% pour les H). Par ailleurs, 62% des femmes sont au courant de l’existence des associations d’assistance et d’hébergement des femmes victimes de violence et de leurs enfants et 41% pour ce qui est des cellules d’accueil relevant des institutions publiques. Toutes caractéristiques confondues, elles sont mieux informées sur les associations non gouvernementales que sur les structures étatiques dédiées au soutien et à la protection des femmes victimes de violence.