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Par Mohammed Benahmed, Expert international en stratégie et financement durable. Prix de l’Économiste pour la recherche en économie, gestion et droit, 1e édition 2005
Aujourd'hui, le paysage financier public marocain se caractérise par une diversité d'institutions telles que la CDG, la SNGFE (Tamwilcom), le CIH, le FEC, le Crédit Agricole du Maroc, Al Barid Bank ou encore CDG Capital et Finéa.
Chacune de ces entités remplit une mission stratégique distincte, allant du financement des collectivités territoriales au soutien de l'entrepreneuriat, en passant par l'accompagnement du secteur agricole et des infrastructures. Cependant, cette richesse institutionnelle s'accompagne souvent de chevauchements fonctionnels, voire de redondances, d’une dispersion des moyens et d’une absence notable de synergies, limitant leur capacité collective à répondre efficacement aux défis économiques et sociaux du pays.
Contexte et objectifs de la réforme
Le secteur financier public se trouve aujourd'hui confronté à des défis importants liés à la montée en puissance de la régulation prudentielle, à l’impératif d'améliorer sa performance socio-économique et à la nécessité de clarifier la répartition des missions d’intérêt général et des activités concurrentielles de chaque entité.
Dans ce contexte, le secteur s'apprête à vivre une évolution institutionnelle décisive qui représente une opportunité historique de transformer durablement l’écosystème financier public national. L'Agence nationale de gestion stratégique des participations de l'État (ANGSPE) a récemment lancé une étude stratégique ambitieuse afin d’évaluer et de repenser le rôle et le positionnement des institutions financières publiques du pays. Cette initiative vise explicitement à créer un pôle financier public intégré, regroupant les différentes entités financières publiques sous une structure unifiée, capable de renforcer l'efficacité opérationnelle et d'accroître significativement l’impact socio-économique de ces établissements.
En effet, un pôle financier public intégré permettrait, grâce à une mutualisation judicieuse des ressources humaines, financières et technologiques, une optimisation réelle d’allocation des fonds publics ainsi qu’une meilleure coordination stratégique des investissements à l’échelle nationale et territoriale.
Cette démarche ambitieuse, inscrite dans le cadre de la politique actionnariale de l'État, vise à optimiser la gouvernance, renforcer les synergies et assurer une complémentarité efficace avec le secteur privé, dans un contexte de mutations économiques profondes et de nouvelles exigences réglementaires et macro-prudentielles.
Enjeux et opportunités d'une réforme stratégique
La création d’un pôle financier public consolidé ouvre la porte à plusieurs avantages stratégiques majeurs. D'abord, elle offre l’opportunité de réaliser des synergies opérationnelles importantes et d’harmoniser les processus décisionnels, rendant le secteur public plus agile face aux changements économiques rapides et complexes.
L’intégration et la mutualisation des systèmes d’information constitue un levier majeur d'amélioration de l’efficacité interne des institutions concernées, tout en réduisant considérablement les coûts administratifs et opérationnels. En intégrant leurs infrastructures technologiques, les institutions peuvent partager des données en temps réel, standardiser les processus et améliorer la qualité des services offerts à leurs clients et partenaires. Cette intégration technologique favorise également l'innovation, permettant le développement de nouveaux produits financiers adaptés aux besoins évolutifs du marché.
Renforcement de la gouvernance et de la transparence
Une gouvernance centralisée permet une prise de décision plus cohérente et stratégique, alignée sur les objectifs nationaux de développement. Elle renforce également la transparence, en établissant des mécanismes clairs de reporting et de responsabilité. Cette transparence est essentielle pour instaurer la confiance des partenaires nationaux et internationaux, condition sine qua non pour attirer des investissements et des partenariats stratégiques.
L’adoption de standards internationaux reconnus en matière de gestion et de gouvernance financière renforcerait la crédibilité des institutions marocaines sur les marchés financiers mondiaux, facilitant ainsi l’accès à des sources de financement diversifiées et compétitives.
Consolidation de la capacité financière et du rôle catalyseur
Un pôle financier unifié disposerait d’une solidité financière consolidant les actifs et les ressources des différentes institutions. Cette puissance financière consolidée permettrait de soutenir des projets de grande envergure nationale et régionale, notamment dans des secteurs stratégiques tels que les systèmes d’approvisionnement en eau, l’énergie, le développement territorial, l'agriculture durable et l'innovation technologique, renforçant ainsi sa contribution à la croissance du Royaume.
En tant qu'acteur majeur, le pôle financier public pourrait jouer un rôle catalyseur avec une capacité accrue d’attraction d’investissements privés nationaux et internationaux, en partageant les risques et en facilitant l'accès au financement pour des projets structurants.
Par exemple, dans le secteur des infrastructures, ce pôle pourrait financer des projets tels que des réseaux de transport ferroviaire et urbain, des méga installations énergétiques et hydrauliques ou encore les infrastructures maritimes, logistiques, de transport de communication, essentiels pour le développement économique. Dans l'agriculture, il pourrait soutenir des initiatives visant à moderniser les techniques agricoles, améliorer la productivité et assurer la sécurité alimentaire. En matière d'innovation technologique, le pôle financier public pourrait investir dans des startups et des projets de R&D et d’innovation, stimulant ainsi la compétitivité du pays sur la scène internationale.
Des défis majeurs à anticiper
Toutefois, force est de reconnaître que cette transformation ambitieuse comporte son lot de défis et de risques importants. L’un des principaux obstacles à anticiper concerne la diversité des cultures organisationnelles présentes dans les différentes institutions financières publiques. Les différences culturelles peuvent se manifester à travers divers aspects, tels que les styles de management, les processus décisionnels, les approches en matière de gestion des ressources humaines et les valeurs organisationnelles
Chacune de ces organisations possède sa propre identité, marquée par son histoire, ses missions spécifiques, ses transformations institutionnelles, etc. Une harmonisation culturelle efficace passera nécessairement par un management du changement proactif, impliquant une communication régulière et transparente ainsi qu'une participation active des employés tout au long du processus.
Cette démarche nécessitera une révision législative approfondie et une étroite coordination avec les autorités de tutelle des institutions afin de bâtir un cadre réglementaire cohérent et efficace pour le nouvel ensemble intégré. L'alignement stratégique entre institutions aux missions parfois divergentes, sont autant de facteurs de risques critiques à prévenir et à maîtriser (opérationnels, financiers, réglementaires, sociaux, etc.).
Complexité des cadres juridiques et réglementaires
Les institutions concernées opèrent sous une diversité de cadres institutionnels adaptés à leurs missions particulières. Cette diversité pose un défi majeur de complexité dans l’harmonisation des cadres juridiques et réglementaires spécifiques à chaque institution. L'unification de ces régimes juridiques implique une révision législative approfondie et une coordination étroite avec les autorités de tutelle, ainsi que des ajustements complexes assurant la conformité aux normes nationales et internationales.
Par exemple, certaines institutions peuvent être soumises à des régulations strictes en matière de gestion des fonds publics, tandis que d'autres bénéficient de plus de flexibilité opérationnelle.
La collaboration avec les autorités de régulation est essentielle pour identifier les obstacles juridiques potentiels et élaborer des solutions adaptées. Cela peut inclure la modification de lois existantes, l'élaboration de nouvelles réglementations et l'établissement de protocoles de transition pour garantir une intégration fluide. Une approche proactive et collaborative avec toutes les parties prenantes est indispensable pour gérer cette complexité juridique.
Les expériences internationales nous enseignent que l'implication directe en amont et l’adhésion soutenue des parties prenantes sont essentielles. Une gouvernance structurée et transparente, une communication ouverte et continue, l'investissement dans le capital humain à travers des programmes adaptés de formation, ainsi que la mise en place de mécanismes rigoureux de suivi et d'évaluation, constituent autant de leviers de succès déterminants.
Facteurs clés de succès
Une stratégie de communication transparente, continue et efficace sera essentielle pour informer, rassurer et engager non seulement les employés mais aussi les bénéficiaires, les partenaires internationaux et le grand public. L’adoption d’un plan détaillé de communication, impliquant des campagnes régulières d'information, sera déterminante pour le succès de cette transition.
C’est un pari ambitieux, certes, mais dont la réussite, peut être assurée par une préparation minutieuse et un engagement constant des acteurs impliqués.
Une opportunité historique… mais des résistances au changement
Toutefois, son succès dépendra largement de la capacité des décideurs et des institutions concernées à dépasser les nombreux défis que pose un tel processus, qui génèrera tout naturellement des inquiétudes internes et externes légitimes parmi le personnel, les syndicats et d'autres parties prenantes. Ces préoccupations peuvent se manifester par une résistance au changement, alimentée par des craintes liées à la sécurité de l'emploi, aux modifications des conditions de travail ou à la perte d'identité professionnelle. Une gestion proactive du changement est essentielle pour atténuer ces résistances.
Une ambition collective, un défi complexe mais porteur d'avenir
En surmontant les défis et en capitalisant sur les opportunités offertes par la création d'un pôle financier public intégré, le Maroc peut renforcer significativement son secteur financier public. Cette réforme contribuera à une allocation plus efficace des ressources, soutiendra les politiques publiques de développement durable et renforcera la position du pays sur la scène financière régionale et internationale.
Ainsi, si le chemin vers la consolidation s'annonce complexe et exigeant, il demeure avant tout porteur de sens et de promesses. Le Maroc pourra ériger un modèle exemplaire de gouvernance financière publique en capitalisant sur une démarche inclusive et proactive, fondée sur l'écoute et la coopération des acteurs impliqués. Cette réforme placera le secteur financier public marocain comme un véritable catalyseur du développement économique et social, tout en renforçant sa crédibilité à l'échelle régionale et internationale.
Une ambition collective qui mérite donc une vigilance particulière, une planification stratégique rigoureuse, une mobilisation en bonne intelligence de toutes les parties prenantes et un engagement déterminé afin que ce pôle intégré puisse effectivement jouer pleinement son rôle catalyseur au service du Maroc de demain.