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Une histoire de migrés, de migrants et de migration


Un euphémisme doublé d’une litote : on n’étaient pas très fiers au vu des images de ces vagues de jeunes qui partaient, désarmés, seulement la fleur à la bouche, à la quête d’un eldorado plus chimérique que jamais. On les a vus se livrer à une « soft guérilla » urbaine avec des forces de l’ordre aussi fermes que souvent compréhensives. Comment les éléments de ces forces pouvaient-ils ne pas interagir alors qu’il leur était quasiment impossible de ne pas reconnaitre, dans les traits de chaque jeune croisé dans ce colin-maillard peu joyeux, un enfant de la famille ?



A lire ou à écouter en podcast :


Par Naim Kamal

En nous, seule l’affliction le disputait à la colère et, il faut le dire, à un sentiment de honte. De peur également pour nos descendances.

On peut se consoler comme on peut. Se dire que le phénomène n’est pas propre au Maroc et que les maux quand ils se généralisent deviennent moins lourds à porter. Se rabattre sur l’adage populaire qui dit : « les changements de lieux reposent ». Ou encore se réfugier dans le Coran lorsque Dieu, le jour du jugement dernier, interpelle les vulnérables qui n’ont pas suivi son prophète dans son exode : « Ne saviez-vous pas que la Terre d’Allah est vaste !»  (Sourate Anissa’e, les Femmes,97).

Depuis que le bipède est devenu bipède

On peut même philosopher - au sens péjoratif, parce que malheureusement il en a un - du terme. Revisiter par exemple l’histoire pour re-constater que la migration est un trait constitutif de l’humanité. Depuis au moins Lucy, découvert en Éthiopie, de l’espèce hominidée appelée Australopithèque, le premier bipède à devenir bipède il y a 4 ou 2 millions d’années, le couple humain nécessaire à la perpétuation de l’espèce, n’a fait que migrer.  D’abord à l’intérieur de l’Afrique, puis de plus en plus loin. 
 

Il y a à peu près 70 000 ans, à en croire les chercheurs de différentes disciplines qui se nourrissent de cette histoire, nos ancêtres Homo sapiens ont quitté l'Afrique pour explorer et coloniser d'autres parties du monde s’étendant au fil des millénaires à travers l’Eurasie, l’Australie, et les Amériques. Toujours mus par les mêmes motivations : la recherche de nourriture, les changements climatiques, et le besoin de ressources naturelles pour survivre.
 

Face positive de ce bref rappel, la migration est en quelque sorte le moteur de l’histoire humaine. Elle est à l’origine du développement des sociétés, des cultures, des économies, et des territoires. Face négative, elle est l’une des causes de décimation et autres exterminations de populations entières. Elle a toutefois aussi permis des brassages et donné lieu à des croisements qui n’ont pas peu contribué à l’amélioration de notre espèce la plus omnivore, la plus gloutonne et la plus inassouvie de toutes les espèces.   
 

Des premières migrations-invasions humaines jusqu’aux déplacements contemporains, la mobilité des populations a façonné les civilisations et les empires à des niveaux multiples. Pour faire très court, l’histoire de la première puissance mondiale actuelle, les États-Unis d’Amérique, est indissociable de celle de la migration. Ce sont en grandes parties les vagues de migration de tous les persécutés et de toute la misère d’Europe dans des calles insalubres des navires au XVIII et au XIXè siècle, qui ont insufflé aux USA son esprit aventurier et innovateur à l’origine de sa puissance actuelle. 

 

Un immigré nommé Musk

 

Pas plus tard qu’au moment où des milliers de jeunes marocains s’apprêtaient à « tenter leur chance » du coté de Sebta, SpaceX d’Elon Musk réalisait la première sortie privée dans l’espace, salué comme un exploit absolu. Elon Musk est, comme beaucoup de gens le savent, un Américain d’origine sud-africaine. Mais ce que peut-être beaucoup de gens ne savent pas, c’est que du coté de ses parents, il est d’origine canadienne d’ascendance britannique avec des racines néerlandaises. Il s’inscrit ainsi dans la lignée des explorateurs et des aventuriers qui ont marqué le monde. Ce qu’il cherche dans l’espace ce sont de nouvelles « terres » à occuper et, le cas échéant, de nouveaux Indiens à exterminer. A moins que ces nouveaux Indiens ne soient plus intelligents, plus avancés et plus forts, et ce serait alors une autre histoire.
 

Faut-il en conclure que les candidats à la migration, dite illégale, des 15 et 16 septembre 2024 s’inscrivent dans la continuité des migrations qu’a connus l’humanité ? Font partie de cette espèce suffisamment audacieuse pour changer les cours de l’histoire ? Oui et non. Oui, parce qu’ils obéissent à la même tendance atavique d’aller voir si sous d’autres cieux l’herbe est plus verte. Non, parce que les migrations contemporaines que l’on peut dater de la fin du XVè siècle, et moins largement du milieu du XVIIIè, ont commencé à changer de forme et de moyens. 
 

Si auparavant l’écart dans le rapport de force entre le migrant et la population d’accueil, n’était pas très important, laissant aux autochtones, dans certains cas, une chance de résister à ces vagues qui se transformaient pour la plupart en occupation, en asservissement ou en remplacement. A partir du XVIIè siècle, l’écart technologique entre migrants et populations autochtones va être tel que les premiers n’auront aucune difficulté à avoir le dessus sur les locaux. C’est à la faveur de ce rapport de force inégale que des civilisations considérées comme prospères à leur époque (Inca, Maya, Aztèque…) ont disparu ou que ne restent des Indiens d’Amérique du nord que quelques spécimens pour témoigner de ce qui s’est passé.
 

Aujourd’hui, les sources de migrations n’ont la plupart du temps que la force démographique et souvent celle du désespoir. L’écart technologique s’est considérablement creusé à l’avantage des pays d’accueil. Le monde compte plus de 8 milliards d’humains et en 2024, la Journée du dépassement de la Terre (Earth Overshoot Day) est tombée le 1er août. Cela signifie qu'à cette date, l'humanité avait déjà consommé toutes les ressources naturelles que la planète est capable de régénérer en une année entière. C’est dire qu’on est de plus en plus à l’étroit.

 


Une situation autrement plus complexe

Partout, les causes des déplacements des populations prolifèrent – sous-développement, sécheresse, guerres - tandis que les pays potentiellement réceptacles des migrants se barricadent de mille et une façons. Tout le monde suit dans l’actualité comment les Etats Unis se ferment à la migration sud-américaine et quelle place celle-ci occupe dans la course à la Maison Blanche, mais aussi dans les différentes élections européennes où la progression de l’extrême droite semble irrépressible.
 
Et partout en Europe, les extrêmes droites prospèrent sur le thème de la lutte contre l’immigration. Pas plus tard que ce lundi 16 septembre, l’Allemagne instaurait, pour une durée de six mois dit-elle, le contrôles aux frontières terrestres avec ses voisins occidentaux, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique et le Danemark et déjà on parle de l’espace Schengen qui vacille. Tandis qu’en Grande Bretagne, Londres a mis en place un commandement chargé de la sécurité des frontières. 
  
La migration est incontestablement l’un des drames majeurs auquel notre monde est confronté plus que jamais en début de ce nouveau millénaire. A ses raisons, il y a des explications et des solutions à chercher d’abord dans nos distorsions et nos pannes, en gardant à l’esprit que la situation est beaucoup plus complexe qu’on ne le pense de prime abord. Sinon comment la cerner et la comprendre lorsqu’elle n’obéit pas ) la seule quasi nécessité absolue et séduit des cadres (médecins, ingénieurs et autres scientifiques) dont on a tant besoin et qui, courtisés pour leurs compétences ou/et leurs talents, vont pâturer ailleurs. 

 

Pour autant on ne va pas absoudre le monde nanti, et pas exclusivement de ses richesses propres. Il doit accepter à son corps défendant la nécessité d’un ordre mondiale plus équitable et moins inégalitaire, au lieu de s’accrocher bien plus fort qu’un suce sang à la défense de « son mode de vie » indu en se contentant de simulacres d’aide au développement, de promesses de co-développement et autres amuse-gueules et monnaies de singes.
 

Car la migration, qui a pour ressort un instinct plus fort que tous les instincts, celui de la survie, a ceci de commun avec l’eau, on peut la bloquer par-ci, elle trouve toujours le moyen de s’infiltrer par-là-bas. Une partie s’évaporera en chemin, une autre arrivera à destination.  A moins que ceux qui en sont dotés, décident d’atomiser les deux tiers de l’humanité.  C’est probable si jamais ils possèdent l’arme absolu capable d’en finir avec l’homme sans préjudice pour ses biens terrestres et sous terrestres. Un germe à tête chercheuse, par exemple.
 
Rédigé par Naim Kamal sur QUID




Mercredi 18 Septembre 2024

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