Une gentrification digitale et syncrétique de la place des trépassés « Jemaa El Fna »


ClubHouse est probablement le prochain plus gros réseau social mondial. Une machine lancée en plein confinement en avril 2020, conçue et optimisée grâce au Growth Marketing pour la croissance avec un coefficient de viralité égal ou supérieur à celui du Covid-19. Elle est passée de 0 à 6 millions d’utilisateurs en six mois. Lancée en avril, en mai elle disposait de 1500 utilisateurs et était déjà valorisée 100 millions de dollars. Six mois plus tard, elle compte 6 millions d’utilisateurs et est valorisée 1 milliard.



Par Lahsen El Bouhali, Anthropologue, informaticien et journaliste

Un réseau social élitiste qui a surfé sur la vague de la woke culture, c’est pour cela que Bomani X a été choisi pour être le visage de l’application. Il est l’un des premiers utilisateurs et le créateur de l’une des salles les plus fréquentées et qui dispose de 3,3 millions de followers.

C’est l’appli dont tout le monde parle mais qu’on ne peut pas télécharger. Il faut être parrainé. On n’y entre que sur invitation de quelqu’un qui est déjà membre exactement comme Gmail de Google à ses débuts. D’ailleurs les invitations s’arrachent à prix d’or sur eBay.

 

Un réseau hype, venu de la silicon Valley, qui remet au goût du jour l’oralité. Baptisé « Twitter de la voix », mais dans ClubHouse on n’a rien à maîtriser. Pas de prérequis, ni technique ni même d’alphabétisation. Les échanges ont lieu en temps réel, au présent, sans rediffusion ni enregistrement. La plateforme n’a pas de mémoire. Le potentiel d’oralité est immense, et du coup le « FOMO » (Fear Of Missing Out) ou peur de louper quelque chose est à son comble aussi.
 

On ne se voit pas mais on se parle. Chaque utilisateur à la possibilité de créer une « salle de discussion » que les autres peuvent rejoindre. Le modérateur de la salle choisit qui a accès à la parole et l’orateur peut également inviter un autre utilisateur à discuter. Certains rapportent que l’arrivée dans une « salle de conversation » avec des inconnus bienveillants et qui veulent discuter leur donne l’impression d’une expérience « très intime ». Cela ressemble au phénomène des radios libres, au début des années 80, où tout semblait possible mais le réseau vanté par ses fondateurs comme humain et authentique a une politique de confidentialité des données douteuse, selon certains observateurs.
 

D’autres critiquent l’impossibilité de modérer les interventions et craignent des débordements. Mais Si quelqu’un se fait signaler pour un comportement inadéquat sur ClubHouse, il sera banni et son parrain aussi. Ce qui donne une responsabilité particulière aux intervenants. D’ailleurs quand on est sur le profil de quelqu’un, on a un lien vers le profil de son parrain et ainsi de suite jusqu’à l’ancêtre commun.  Plus la branche de ton arbre généalogique est courte, plus tu es un pure Clubhouser.
 

Conçu comme un moyen efficace de réseautage dans le domaine des startups et du business, il était essentiellement porté par les VP et les startuppers de la Silicon Valley avant que tout le monde se mette à tester et à essayer de comprendre comment saisir l’opportunité et trouver le format innovant qui va cartonner.
 

Face au phénomène ClubHouse et au succès fulgurant du voice-based network, les mastodontes des réseaux sociaux Spotify, Twitter et Facebook préparent déjà leur contre-attaque avec respectivement Spotify Voice, Twitter Spaces et  Fireside (au coin du feu), preuve s’il en est que la voix n’a pas dit son dernier mot sur les réseaux sociaux.
 

Mathieu Gallet rapporte dans son livre « Le nouveau pouvoir de la voix : comment l’audio va s’imposer à l’ère digitale ». « Voice is the new killer app !», s’exclama le vice-président d’un géant américain des télécoms face aux critiques contre le tout-écran et l’omniprésence des images. Notre époque semble avoir, sans s’en rendre compte, réhabilité la voix …
 

« On peut analyser les accents, la nuance, l’ironie, toutes ces choses que l’écrit peine à transmettre, résume Mathieu Gallet. Les machines sont en train d’apprendre à analyser les subtilités de la voix et la prise en compte des émotions pour en extraire toujours plus de données.
 

ClubHouse reste pour moi une gentrification syncrétique et digitale de la place des trépassés (Jemaa el-Fna).


La room de ClubHouse est typiquement une espèce de « halqa participative » qui au mieux serait une performance d’ordre théâtrale.


Source : http://analyz.ma/clubhouse-une-gentrification-digitale-et-syncretique-de-la-place-des-trepasses-jemaa-el-fna/



Lundi 15 Mars 2021

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