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Un voyage à Rissani…


Hier, je suis parti à Rissani tourner deux documentaires avec la chaîne franco-allemande ARTE sur l’histoire de la mystérieuse ville de Sijilmessa et sur les souks et les nomades du Sud-Est marocain. C’est la troisième fois que je participe à l’émission « Invitation au Voyage », après deux documentaires sur Tanger et Meknes.



Par Rachid Boufous

Histoire de revenir au bled aussi, à Goulmima pour revoir la famille et me ressourcer. C’est toujours un plaisir renouvelé de pouvoir revoir mes amis aussi le clan des 3 H : Haj Hammi, Haj Hammou et Haj Hamid. Je me demande parfois ce qu’ils trouvent à un mécréant comme moi…
 
Bref, je me lève tôt ce samedi, la route est longue, de Goulmima à Rissani, 1h40 sur waze ou 100km et un jour à dos de chameau...
 
La route fait à peine 3,5m de largeur dans sa partie la plus étroite plus de 15m dans sa partie la plus large, elle est toutefois cabossée et surtout pleine de trous ou « nids de poules », ce qui finit par déglinguer les roues les plus solides. Dans certains bourgs traversés, la rue principale est embourbée depuis les dernières pluies et la traverser devient un vrai effort de vigilance au risque d’y laisser sa voiture au milieu du lac formé par les dernières pluies.
 
Les radiers sur l’oued Ghriss sont submergés d’eau car trop bas, font que les femmes des douars viennent y laver leur linge et leurs tapis, qu’elle étendent au milieu du gué pour les laver à grandes eaux, obligeant les voitures à rouler dessus, faute de mieux…
 
Les gars des travaux publics ont oublié de réaliser une vraie route sans failles. Ils préfèrent s’occuper des routes reliant les villes du Nord, par où passent des gens importants. Qu’ont-ils à faire des deux pelés et trois tondus qui habitent ici ?
Les bourgs traversés sont inégaux dans leur mise à niveau. Certains sont mieux traités que d’autres en terme d’aménagements urbains. On sent l’influence de leurs élus ou la puissance de leur diaspora installée à l’étranger. Mais ce qui frappe c’est l’étroitesse des trottoirs, dans des zones où on peut vraiment les élargir. Et même ces bandes peu larges à destination des piétons sont parsemées de fosses d’arbres, mais aussi de ces hideux candélabres à double cloches que l’on voit partout dans les grandes villes comme Rabat ou Tanger et qui sont inadaptés ici. Les japonais ont financé aussi ici un programme de candélabres à énergie solaire, installés par dizaines mais qui n’ont jamais marché, va savoir pourquoi !…
 
Pourtant la région draine énormément de touristes, les vrais, ceux qui aiment se perdre dans ce pays improbable, mais authentique, qu’est la région de Draa-Tafilalet, qui se trouve être par ailleurs, la région la plus pauvre du pays.
 
Comme si le destin des damnés de la terre du Sud-Est, était qu’ils restent éternellement pauvres et oubliés de la civilisation marocaine contemporaine, pourtant en marche…
 
J’arrive à Rissani à 10h30 tapantes et je trouve l’équipe d’Arte entrain de m’attendre devant la porte majestueuse de Rissani, construite en 1970 par le gouverneur Zekri.
 
Actuellement il n’ya pas grand chose à filmer à Sijilmassa vu que cette ville a été entièrement démolie il y’a deux siècles. Quelques ruines et vestiges subsistent pourtant.
 
On se dirige vers le premier site de tournage vers le nord, à Bab Rih « Porte du Vent » ou porte de Fès, seul vestige encore debout de l’antique ville de Sijilmessa. Cela fait deux mois et demi que je lis tout ce qui a été publié sur la mystérieuse cité caravanière. Je n’ai pas envie de raconter n’importe quoi à la télévision.
 
Et à ma grande surprise, lors de mes lectures, j’ai découvert énormément d’informations que j’ignorais sur cette mystérieuse ville.
 
Sijilmessa est ainsi pour la postérité, la première ville construite au Maroc après l’arrivée de l’islam chez nous à la fin du 7ème siècle. Plus précisément en 757, précédant ainsi la fondation de la ville de Fès de 34 ans, puisque celle-ci ne fut érigée qu’à partir de 791 par Idriss 1er. Sijilmassa fut fondée par les tribus Miknassas, converties au kharjisme souffrîte, en rupture de ban avec les sunnites omeyyades et les chiites alides. Les kharrijites refusaient de prendre parti pour Ali, gendre du prophète, ou pour son concurrent Moawiya, dans leur guerre pour le pouvoir en orient. Ils avaient même refusé l’arbitrage qu’avait proposé Moawiya et et qui fut accepté par Ali, pour régler leur différend politique.
 
De ce fait, les kharrijites furent pourchassés par les omeyyades quand ces derniers prirent le pouvoir à Damas, après l’assassinat de Ali par l’un des des leurs. Mouawiya en réchappa de justesse.
 
Les kharrijites partirent alors se réfugier en Afrique du Nord, avant d’être rattrapés par les omeyyades, une fois que ces derniers avaient conquis l’Afrique du Nord.
 
Même s’ils convertirent les tribus Miknassa à leur dogme et qu’ils participèrent à la 3ème révolte berbère en 740 aux côtés de Mayssara Mdaghri, contre les troupes omeyyades et remporté la bataille d’Al Achraff, ils préférèrent se réfugier avec leurs adeptes aux confins du monde connu, près du grand désert du Sahara plutôt que de suivre les Baraghouatas dans leurs délires mystiques avec la création d’une nouvelle religion hérétique s’inspirant de l’islam avec un Coran écrit en berbère…
 
Les Kharrijites souffrîtes fondèrent alors la ville de Sijilmassa grâce à leur chef, Semgou Ibn Wassoul al Miknassi et contrôlèrent avec le temps, tout le commerce caravanier avec l’Afrique sahélienne. Les marchands voguaient durant 42 jours dans le désert dans leurs immenses caravanes composées de milliers de dromadaires chargés, avant d’arriver à Tombouctou dans l’actuel Mali. Après le troc d’usage, ils rapportaient d’Afrique subsaharienne, de l’ivoire, de la poudre d’or, des plumes d’autruches, des blocs de sel mais aussi des esclaves…
 
Une fois les marchandises arrivées d’Afrique, elles étaient échangées à Sijilmassa et repartaient un peu partout : en Andalousie, à Fès, à Kairouan, à Damas et même en Europe grâce aux commerçant juifs Radhanites, ces fameux commerçants qui parlaient plusieurs langues et acheminaient les esclaves dans les diverses cours d’Europe et d’orient mais aussi des eunuques slaves qu’ils émasculaient en France pour les vendre à la cour de Cordoue en Andalousie…
 
Ce commerce devint tellement florissant et Sijilmassa devenant une cité prospère qu’elle attisa les convoitises des chiites qui vinrent en 906 délivrer leur chef, Obaid Allah qui y était détenu depuis 4 ans et lancer la conquête du Maghreb en fondant le califat Fatimide, qui finit par s’établir en Égypte et ériger la ville du Caire…
 
Quelques années plus tard, le calife omeyyade d’Andalousie, Abderrahmane III, conquit Sijilmassa, faisant fuir les chiites fatimides de la ville et fit basculer cette dernière dans le camp sunnite. Le calife utilisera les ateliers de frappe de Sijilmassa, réputés, pour faire circuler dans son empire la monnaie fabriquée dans cette ville. On raconte qu’il paya le marbre de son fabuleux palais Azahara dans la banlieue de Cordoue, avec les pièces en or produites à Sijilmassa…


 

Depuis l’époque kharrijite les Sijilmassiens contrôlaient aussi les mines d’argent de la région de Tinghir. Ils utilisaient l’argent pour frapper la monnaie mais aussi pour fabriquer des bijoux à travers les artisans juifs berbères qui vivaient en nombre important dans la région, et à qui, on avait aussi dévolu le métier de maçon et qui construisirent Sijilmassa…
 
Plus tard, les Almoravides démarrèrent leur conquête du Maroc à partir de Sijilmassa, après avoir pris la ville antique vers 1051.
 
Sijilmassa en tant que hub marchand à l’échelle mondial durant tout le moyen âge amorcera son déclin avec les Merinides au 14eme siècle et précisément vers 1396.
 
Même si un sursaut survint vers 1591 avec la conquête de l’empire du Songhai au Mali par les Saadeens, le faste d’antan n’était plus d’actualité et la ville finit par être entièrement rasée, par la fameuse tribu belliqueuse des Ait Atta, vers 1803…
Au faîte de sa gloire, Sijilmassa fut tour à tour, kharrijite, chiite puis sunnite, acceptant tout les gens venus de diverses civilisations et religions pour fabriquer, dans cette partie du Maroc, ce vivre-ensemble que l’on nous envie tant, et qui n’existe que chez nous.
 
Depuis, une nouvelle ville a pris la place de Sijilmassa, Rissani, qui abrite le mausolée du fondateur de la dynastie Alaouite Moulay Ali Cherif.
 
Les chorfas Alaouites étaient venus s’installer dans la région au 13e siècle, à la demande des populations locales, ravagées par les sécheresses et les épidémies de bayoud qui ruinaient leurs palmeraies. Ces Amazighs avaient fait le voyage jusqu’à Yanbouu, une oasis en Arabie saoudite, en quête de la Baraka de ces Chorfas, descendants en lignée directe du prophète Mohammed.
 
L’un des leurs, Hassan Dakhil, le plus noble des enfants d’un cherif Alaouite de la Mecque, viendra dans le Tafilalet répandre sa Baraka et s’occuper des palmiers malades.
 
Depuis, les chorfas Alaouites seront grandement respectés dans la région par les populations berbères environnantes. Celle-ci vont les aider à prendre le pouvoir vers 1664 dans tout le Maroc, déjouant les convoitises des confréries religieuses, notamment celle de Dilaii et ramèneront la paix et la stabilité au Maroc, après 50 ans de guerres civiles larvées…
 
Le site de Sijilmassa fait actuellement l’objet de nouvelles fouilles menées par l’institut national archéologique. Le site est sévèrement gardé par la gendarmerie pour éviter, sans doute, que des pillards ne viennent visiter le site, comme par le passé.
 
C’est une excellente initiative, à moins que des découvertes archéologiques inédites aient été faites entre-temps, wait and see…!
 
La ville de Rissani, quant à elle, gagnerait à bénéficier d’une sérieuse opération de mise à niveau urbaine, tant ses artères et rues sont défoncées, sans goudron ni trottoirs. Le grand souk est dans un état déplorable.
 
Pourtant j’ai croisé sur mon parcours des dizaines de cars, autocars, jeeps bourrés de touristes blonds aux yeux bleus, venus s’enquérir de cette civilisation perdue…
 
Il y’a aussi une urgence à structurer le tourisme dans la région. Les gens viennent pour voir les dunes de Merzouga, visitent quelques khatarates, achètent des bricoles made in china dans le souk de Rissani, acheter quelques fossiles et repartent illico.
 
Aucun développement touristiques ne vise les Oasis, Ksours et Kasbahs limitrophes, pourtant luxuriantes et très intéressantes à visiter, à Jorf, Mellaab, Taouz ou Aoufouss. Les dizaines Ksours de Rissani et d’Erfoud non plus, ne font partie d’aucun circuit touristique structuré et pour les plus emblématiques parmi eux, souvent inaccessibles. Mêmes les commerces de base sont fermés et quand on cherche une bouteille d’eau fraîche, les frigos ne sont pas branchés à l’électricité, l’énergie courant cher pour des populations démunies…
 
Mais surtout Goulmima, qui est le second chef-lieu de la province d’Errachidia et qui reste la plus grande et la plus belle oasis encore préservée dans toute la région, s’étendant sur 4000 hectares et dotée d’un très fort potentiel touristiques, pas du tout exploité.
 
Dans les années 70, Goulmima était le passage obligé des touristes de la région. Aujourd’hui, on a détourné le circuit touristique, sans passer par Goulmima, ce qui est une honte innommable. Je me demande même si la ministre du tourisme sait où se trouve Goulmima ou qu’elle la confond, comme beaucoup, avec Guelmim sur l’oued Noun…
 
Bref, je souhaite ardemment que les décideurs de Rabat sortent un peu de leur torpeur atlantique et viennent passer leurs vacances dans ce Sud-Est oublié.
 
Les gens de la région veulent juste une plus grande équité dans la redistribution des richesses nationales et qu’on leur donne leur quotepart du fabuleux développement du pays. Ici, les gens ne veulent pas d’autoroutes, ni de TGV, ni de Tramway ni même de grand stade. Mais juste des crédits substantiels pour dédoubler la route nationale d’Errachidia vers Ouarzazate, construire le barrage sur l’oued Gheris, promis par feu Hassan II en 1970, construire des instituts de formations et un Lydex dans une région bourrée de matheux et de talents scientifiques et surtout un peu moins d’autorisation de fermes intensives de cultures de palmiers dattiers, qui assèchent dangereusement les nappes phréatiques, patiemment constituées depuis des millions d’années…
 
Tout cela est possible, mais c’est peut-être trop demander à des décideurs qui ne savent peut-être même pas où se trouve le berceau de la dynastie Alaouite : Rissani …
 
Rédigé par Rachid Boufous



Lundi 21 Avril 2025


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