Un régime bunkerisé pour la réélection de Tebboune

RÉÉLECTION DE TEBBOUNE : UN BOULEVARD DE SUPERCHERIE - Par Mustapha SEHIMI


Pas de suspense donc ce samedi 7 septembre avec les élections présidentielles en Algérie. Le président sortant, Abdelmajid Tebboune, aura un deuxième mandat face à deux candidats seulement, une dizaine d'autres ayant été écartés.



Par Mustapha SEHIMI

Le verrou a été la procédure de parrainage, en particulier la collecte de 600 signatures des élus de différentes assemblées répartis à travers 29 wilayas. Louisa Hanoune, dirigeante du Parti des travailleurs, a fini par jeter l'éponge en dénonçant, une "caporalisation "du scrutin.  Zoubida Assoul, magistrate, a été également écartée de même que Saida Neghza, présidente de la Confédération générale des entreprises. Une invisibilisation des femmes.

Le conservatisme le plus rétrograde. La stagnation. L'Algérie nouvelle"! Abdelmadjid Tebboune c'est un parcours heurté qui se décline en plusieurs séquences. Âgé de 79 ans, sa santé reste chancelante après deux longues hospitalisations en Allemagne (Covid -19, complications...). Diplômé de l'ENA d'Alger, préfet puis ministre, il est nommé à la surprise générale Premier ministre au printemps 2007- une fonction éphémère de trois mois. Soutenu en 2019 par le général Ahmed Salah Gaid, chef d'état-major, il est désigné comme candidat pour succéder à Bouteflika à la suite de l'échec de son cinquième mandat.

Une dizaine de jours après son élection le 12 décembre 2019, disparaît dans des conditions sujettes à caution ce patron de l'armée. Le nouveau chef d'état major, le général Said Chengriha, son règne de supervision de Tebboune par l’élargissement du l’ancien patron patron du DRS, 1'appareil de sécurité tentaculaire du pays, le général Médiène alias Toufiq ainsi que la « militante trortskiste » Louisa Hanoune et se soucie peu des autres élément de la « ‘Issaba »  (le gang).

Joué d'avance

Cela dit, la question du taux de participation reste une énigme. Si la réélection du président sortant n'est qu'une formalité, la crainte d’une participation médiocre voire anémique des électeurs a pesé sur la campagne. Ce serait le symptôme d'une profonde crise de confiance minant le pays depuis des années. Les trois candidats misent beaucoup sur les réseaux Sociaux et les plateformes en ligne en ciblant surtout les jeunes. Mais ces derniers sont-ils réceptifs ?

Les partisans de Tebboune brandissent des arguments tels " barrer la route aux ennemis " et " renforcer la stabilité du pays". L'enjeu est de taille: donner au locataire d'El- Mouradia une "légitimité" et tenter de purger son élection en 2019 dans des circonstances particulières - démission forcée d'Abdelaziz Bouteflika, contexte particulier du Hirak en 2019 appelant au départ de l'ensemble des figures du "système". C'est dire qu'une faible participation serait un désaveu du premier mandat de Tebboune se proposant de reconstruire une "Algérie Nouvelle" réconciliant les Algériens avec les institutions.

Ce scrutin paraît en tout cas joué d'avance contribuant ainsi à ne pas motiver des électeurs à se rendre aux urnes ce 7 septembre. Le candidat du Front des Forces socialistes (FFS)- un parti fondé en 1963 par Aït Ahmed, l'un des dirigeants historiques du FLN plaide aussi pour une forte participation électorale. Youssef Aouchiche considère que c'est un moyen d'instaurer le changement par les urnes. Il y voit le signe de la capacité de sa formation à incarner une visibilité alternative politique.

La "présence" d'un candidat FFS est importante pour le régime, ce parti étant largement ancré dans une Kabylie politiquement frondeuse et abstentionniste qui boycotte traditionnellement les élections présidentielles. Ce fut le cas en 1999 puis lors des scrutins suivants. En décembre 2019, la participation électorale a été de 39,88 %, soit un taux d'abstentions de l'ordre de 60 %. Mais en Kabylie, les votants étaient proches de zéro avec 0,18 % à Bejaia et de 0,04 % à Tizi Ouzou.

Un mauvais score avec une faible mobilisation ne ferait en effet qu'à accentuer les divisions et les lutte intestines dans la mouvance kabyle. A cet égard, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) -fondé par Said Saâdi en 1989 et présidé depuis 2022 par Atmane Mazouz - a opté, lui, pour le boycott, en invoquant un que "l'impasse algérienne qui est d'abord un déficit de confiance, du pouvoir en faveur d'une non-élection pour la reconduction des débris du système..."

Quant à l'autre candidat, Abdelaali Hassani Cherif, il représente le camp islamiste. Il dirige depuis 2023 le Mouvement pour la Société et la Paix (MSP) succédant ainsi à Abderrezek Makri, lequel de 1995 avait été élu dirigeant et fondateur de ce parti, Mahfond Nahnah à 2003, année de son décès. Le MSP s'était rapproché du régime entre 1999 et 2012 en soutenant Bouteflika avant de boycotter les élections présidentielles de 2014 et 2019. En 2024, il change de tactique et mène campagne aujourd'hui, au grand dam de Abderrezek Makri qui a critiqué l'absence de "concurrence politique " dans son parti...

A noter que Abdelaali Hassani Cherif, âgé de 64 ans, est un technocrate, ingénieur informaticien; que son parti compte 65 sièges au sein de l'Assemblée nationale derrière le FLN et les indépendants; et que la mouvance islamiste est divisée entre une composante participationniste et de soutien au président Tebboune avec le Mouvement El-Bina d'Abdelkader Bengrina et une autre optant pour un front du refus; et qu'il défend des réformes économiques et institutionnelles sans faire de références à la religion. Reçu à deux reprises par Tebboune, en mars puis en novembre 2023, il a déclaré approuver la politique étrangère du pays et soutenir la constitution d'un "front national contre la menace extérieure", arguant que sa formation était dans "l'opposition positive...

Une "nation -caserme"

Installé à la tête de l'État, Tebboune a été mal élu: à peine 40 % de votants et 1.244.925 bulletins blancs et nuls (13 %), face à quatre autres candidats. Quel bilan? Au plan économique, l'échec d'un modèle alternatif de développement plus diversifié et plus dynamique: c'est toujours le modèle des hydrocarbures qui prévaut avec 60 % des recettes fiscales et plus de 90 % des recettes en devises. L'investissement productif reste marginal; le déficit budgétaire en 2024 sera de 8 %. Le taux de chômage réel est de l'ordre de 20 %. La relative paix sociale est achetée par des mesures d'assistance- allocation chômage en faveur de 2,1 millions de personnes, augmentation des salaires et des retraites, annonce de programmes de logement, etc. 

Au plan politique, les régressions s'accentuent : plus de 200 détenus politiques, mesures d'exception sanctionnant les ONG et les manifestations, justice expéditive et magistrature aux ordres. Le référentiel démocratique n'est plus qu'un slogan qui ne trompe personne. Ce qui est en cause? C’est l'incapacité du régime à jeter les bases de principes démocratiques consensuels autour d'un pacte social et d'un modèle de développement d'avenir.

La place et le rôle des généraux non seulement dans la gouvernance et dans les secteurs économiques ne peuvent que plomber toute réarticulation institutionnelle et politique autour d'un autre projet de société. L'Algérie s'apparente par bien des traits à ce que l'on pourrait appeler une "nation -caserne". Force est de faire ce constat: celui de l'isolement international.  Au plan diplomatique, avec la France, les tensions restent fortes et la visite sans cesse reportée du Chef de l'État à Paris reste bien aléatoire. Dans le monde arabe, le tableau n'est pas d'une autre veine: tant s'en faut.

Le Président Tebboune n'a pas assisté à Manama (Bahreïn) au dernier sommet arabe le 16 mai. Il est pratiquement ignoré par les monarchies du Golfe avec une référence particulière pour les Émirats arabes unis où prévaut la tension (Sahel, etc.).  L’Algérie n’a pas été cooptée pour rejoindre les BRICS en août  dernier en Afrique du Sud.

La candidature n’a même pas été examinée. Avec la Russie, il faut signaler plusieurs dossiers délicats: présence de Wagner au Mali, entraves dans la fourniture et le ravitaillement d'armes à la suite du conflit en Ukraine, politique antimigratoire des subsahariens. La surenchère d'Alger sur la question palestinienne au Conseil de sécurité et dans d'autres instances ne porte aucun fruit ; l'Algérie n'est ni audible ni influente en 2024. Un régime "bunkerisé "…



Samedi 7 Septembre 2024

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