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Par Rachid Boufous
Là où on attendait de l’audace et du volontarisme, on ne trouve pas grand chose. La capitale du royaume est condamnée à l’immobilisme pour un long moment encore, alors que Rabat est la ville qui perd le plus d’habitants au Maroc (100.000 habitants en moins entre 2004 et 2014) et elle en perdra encore dans les prochaines années.
Ces habitants originaires de Rabat, partent dans les périphéries à Temara et à Salé, car il ne peuvent plus habiter Rabat où le foncier est devenu très cher et où il n’existe plus de nouvelles opportunités pour se loger décemment ou à prix raisonnables...
Rabat est devenue très chère et le foncier a atteint des prix stratosphériques sans aucun rapport avec la réalité sociale ou le dynamisme économique de la capitale.
Pourtant, on s’attendait à un vrai plan d’aménagement ambitieux avec une requalification des quartiers comme Yacoub El Mansour, Ryad, Mabella, avec plus de hauteurs et plus d’espaces verts dégagés.
On s’attendait aussi à plus d’équipements publics.
Il faut dire que la déception est à la hauteur de l’attente des habitants de Rabat.
Même le plateau d’Akrach qui constitue un véritable espace d’évolution urbaine de la ville n’a pas été intégré au présent plan d’aménagement mais relégué au PAS (plan d’aménagement sectoriel), pourtant achevé en 2019 mais non encore homologué à ce jour.
D’autres grandes zones comme celle du quartier d’Al Aoufir à l’emplacement de l’ancienne base militaire ou la zone d’Al Boustane en face de Marjane Hay Riyad sont laissées en zone de projet (ZP) et en réserve stratégique (RS), dans l’attente d’une hypothétique dérogation, déguisée en projet d’investissement urbain à forte vocation immobilière, à développer par un investisseur institutionnel comme la CDG.
Le plan d’aménagement de Rabat prévoit aussi, pour la première fois, des zones de recasement à restructurer, comprenant les Quartiers de Douar Hajja, Hay Al Farah, Jbel Raissi, situés dans l’arrondissement de Youssoufia et occupant les hautes crêtes centrales donnant sur la vallée du Bouregreg.
Ces quartiers, qui existent depuis 70 ans sous forme de bidonvilles occupant les premières décharges à ordures de la capitale, se sont « durcifiés » avec le temps, formant des quartiers aux rues très étroites, installés sur des sols instables. Ce sont les derniers quartiers pauvres de la capitale...
Avec le développement du projet de la vallée du bouregreg, ces quartiers qui jouissent d’une vue imprenable sur ladite vallée, commencent à aiguiser les appétits des grands aménageurs urbains. D’où ce nouveau zonage de restructuration.
Cela suppose que l’on va mener bientôt des opérations de démolition de ces constructions, afin de libérer le maximum de foncier « utile » à de nouvelles opérations urbaines de prestige.
Sinon, pourquoi on mettrait un pareil zonage sur des quartiers où des dizaines de milliers d’habitants vivent depuis plus de 60 ans ?
Il faut dire que l’insécurité, la prolifération de la drogue, du crime et l’insalubrité criante dans ces quartiers précaires commencent à poser de sérieux problèmes aux autorités de la ville. Il y’a donc lieu de les « dédensifier », quitte à vider la capitale de ses pauvres pour les rejeter dans de lointaines banlieues comme à Ain Aouda. Cela a déjà été fait à Douar Al Kora et à Douar Al Garaa sur le territoire de l’arrondissement de Yacoub El Mansour…
Toutefois, je pense que toute ville a besoin de ses couches sociales pauvres.
La ville est un mélanges de catégories sociales différentes qui interagissent et cohabitent en bonne intelligence. Cela a été le cas à Rabat jusqu’à présent.
Je pense que cela ne sera plus le cas à l’avenir, Rabat devenant de plus en plus un ghetto pour gens très riches…
Tout cela pour dire que le présent plan d’aménagement vient acter les transformations opérées dans la capitale depuis une trentaine d’années, mais sans apporter une nouvelle stratégie ambitieuse et volontariste pour le développement futur de la capitale.
Des zones comme l’avenue de la Victoire, jadis chantée par les élus de Rabat comme les futurs Champs-Elysées de la capitale, reste désespérément naine dans le nouveau plan d’aménagement, avec des hauteurs limitées à 9m, ne permettant pas un développement urbain harmonieux du quartier des Orangers, qui se prête pourtant très bien, à une opération de requalification en immeubles de grandes hauteurs.
En 2018 j’avais proposé aux autorités de Rabat et au ministre actuel de l’intérieur de déplacer la capitale administrative du centre-ville vers le plateau d’Akreuch, afin de donner au pays une capitale digne de ce nom d’une part, et d’autre part de faciliter la connection des administrations et des ministères avec les quartiers d’habitat et les ambassades, qui elles, ont déjà migré vers le Souissi et surtout, de mettre fin aux grands embouteillages qui paralysent le centre-ville de Rabat, avec une extension des lignes de tramway vers le Souissi, Hay Ryad, Temara et une connection avec la ville de Salé.
Il faut savoir que 60% de la population active de Salé et 40% de celle de Temara travaillent dans les administrations et ministères situés au centre-ville de Rabat. Un déplacement de la capitale administrative vers Akreuch résoudrait beaucoup les problèmes quotidiens de déplacement dans la ville….
J’avais aussi proposé d’instaurer une vallée des technologies allant de Technopolis jusqu’à Sehoul et Akreuch pour y installer toutes les industries intelligentes, les start-up, les universités et les centres de recherches. Le tout, à un jet de pierre de l’aéroport de Salé, tout en étant connecté facilement au réseau autoroutier national.
Tout cela formerait le noyau de la nouvelle capitale du royaume.
Le centre-ville ancien ainsi que les sièges des ministères actuels, seraient quant à eux transformés en parcs, hôtels, résidences de luxe, musées, bibliothèques…
J’avais aussi proposé la création d’un syndicat des propriétaires urbains dans certaines zones de Rabat notamment à Akreuch, pour faciliter le développent rapide de ces aires urbaines en usant de la négociation et de la concertation avec les propriétaires fonciers : du zonage avantageux en échange de terrains pour construire les infrastructures manquantes dans la capitale…
Je n’ai pas été suivi dans ces propositions.
J’en ai déduit que les autorités actuelles de la ville, ne sont pas dotées de courage ou de « mindset », capable de se projeter dans l’avenir ou d’imaginer un futur urbain adéquat pour Rabat « Capitale des Lumières »…
On va donc continuer à attendre que les choses bougent un jour, ouvrant par petit coups de nouvelles zones urbaines, sans réflexion globale sur le devenir de la capitale ou sur sa vocation à très long terme. Dommage pour le R’batis et dommage pour l’urbanisme concerté, ambitieux et volontaire…
Pour moi, le plan actuel de Rabat, reste un plan d’aménagement pour rien…!
Rédigé par Rachid Boufous