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Un parquet financier au Maroc : une révolution judiciaire en perspective ?

Mustapha Sehimi : Plaidoyer pour un parquet national financier


La création d’un parquet national financier (PNF) au Maroc s’impose comme une nécessité face à une économie mondialisée et des pratiques de délinquance économique et financière de plus en plus complexes. Inspiré par des modèles étrangers, comme le Parquet européen ou le PNF français, un tel dispositif viserait à renforcer l’efficacité de la lutte contre la corruption, la fraude fiscale et le blanchiment d’argent. Il s’agirait d’intégrer des magistrats spécialisés, de réduire les délais de procédure, et de coopérer étroitement avec des institutions comme la Cour des comptes ou l’Instance nationale de lutte contre la corruption. Ce système permettrait également de s’appuyer sur l’entraide pénale internationale pour améliorer le recouvrement des avoirs criminels. Enfin, l’adoption d’un cadre légal adapté et d’outils de répression modernes offrirait une réponse systémique à une délinquance systémique, protégeant ainsi les intérêts supérieurs de la nation. NDLR



Quand la justice marocaine rêve d’un parquet à la française

Mustapha Sehimi
Mustapha Sehimi
Voilà bien une nécessité qui devrait être prise en charge avec le chantier de réforme de la justice à l’ordre du jour du gouvernement : celle d’un parquet national financier. Face à une économie mondialisée et dématérialisée, il convient d’adapter le dispositif judiciaire aux comportements des délinquants.

Il s’agit de faire progresser la lutte contre la grande délinquance économique et financière qui fait montre d’aptitude au renouvellement et à l’innovation. Il est donc question d’adaptation des principes de fonctionnement, des méthodes et des outils de travail. En d’autres termes, le souci de la mise en œuvre de réponses pénales variées, adaptées à la spécificité des dossiers.

L’approche comparative ne manque pas d’intérêt. L’institution judiciaire devra se doter d’instruments nouveaux qui permettront de faciliter la détection des infractions, de renforcer l’efficacité des poursuites et d’accroître le recouvrement des avoirs criminels. Ainsi, le 1er juin 2021, le Parquet européen a lancé son activité opérationnelle depuis son siège de Luxembourg, sous l’égide de sa cheffe, Laura Codruta Kovesi, entourée de 22 procureurs européens, représentant les vingt-deux États membres participants. Il a des compétences définies: rechercher, enquêter et faire juger les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne (fraudes aux recettes et aux dépenses de l’UE, fraudes transnationales à la TVA d’une certaine gravité, corruption, blanchiment d’argent...).

En France, voici une dizaine d’années, a été créée par un texte législatif, en date du 6 décembre 2013, une autorité judiciaire chargée de la lutte contre la fraude et la grande criminalité économique et financière -le procureur de la République financier. Il dispose d’un pouvoir d’action étendu à tout le territoire national. Son parquet est composé de vingt magistrats et son action est doublée par l’installation d’un Office central de police judiciaire spécifiquement affecté à la corruption et aux infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Il faut y ajouter la loi Sapin 2, qui comprend des mesures de protection des «lanceurs d’alerte» et qui autorise le déploiement de la compétence extraterritoriale des juridictions françaises.

Un parquet national financier (PNF) exerce sa compétence sur la base de principes d’action. Il s’écarte d’un modèle institutionnel par son statut, par sa place et par son fonctionnement. Il entre dans un schéma de justice spécialisée éloigné des principes qui structurent l’organisation judiciaire de droit commun. Son action est ainsi gouvernée par plusieurs principes: la réduction des délais de procédure (enquête préliminaire, ouverture du contradictoire, recours à un juge d’instruction dans certains cas d’affaires complexes), une participation offensive devant le tribunal avec des réquisitions de peines exemplaires à la hauteur des enjeux et une coopération soutenue avec les autorités judiciaires étrangères.

De la pratique comparée, quels enseignements sont à tirer? La lutte contre la corruption doit faire système: à une délinquance systémique, l’on doit opposer une lutte systémique. Le PNF doit ainsi faire corps, pour l’efficacité de son action, avec plusieurs institutions, dont la Cour des comptes et les cours régionales des comptes, l’administration fiscale, l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), l’Inspection générale des finances (IGF), l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), le Conseil de la concurrence, la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF), etc.

Il importe également -autre enseignement- que la lutte contre la corruption puisse disposer d’un cadre légal et institutionnel favorisant la mise en place de ce système. Le système judiciaire doit ainsi avoir des organes et des magistrats très spécialisés, indépendants, affectés à la seule lutte contre la corruption et la fraude fiscale aux niveaux local, régional et national. Un troisième enseignement a trait au fait que cette lutte doit concerner tous les lieux de pouvoir, politiques, administratifs, locaux et nationaux, et économique.

Enfin, ce dernier enseignement: l’adaptation des outils de répression. De grands États ont développé des outils de lutte contre la corruption internationale et sont désormais en position et en capacité d’intervenir, voire de se concurrencer, dans les mêmes territoires géographiques et sur les mêmes secteurs d’activité économique. Le PNF aura à recourir à l’entraide pénale internationale sur un mode coopératif, toujours concurrentiel, parfois conflictuel. Le plus souvent, ce sera un terrain stratégique pour les opérateurs économiques comme pour les intérêts supérieurs de la Nation. Intervient ici ce que l’on pourrait appeler la diplomatie «judiciaire», selon le principe ne bis in idem (selon lequel nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits). L’intelligence économique peut toutefois venir contrarier les meilleures intentions de coopération, et les conditions et les modalités de restitution des biens mal acquis doivent être améliorées, pour les rendre plus effectives...

Alors, pour quand un PNF dans le chantier de la réforme judiciaire?

Par Mustapha Sehimi / https://fr.le360.ma/

justice, corruption, parquet national financier, Maroc, économie, fraude, réforme judiciaire, coopération, criminalité, international




Samedi 30 Novembre 2024

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