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Par Rachid Boufous
Deux années auparavant, la campagne de boycott de lait, avait eu la fâcheuse conséquence de faire baisser l’élevage de bovins, principalement des vaches laitières, qui représentaient un grand contingent des bêtes abattues après la fin des périodes de lactation.
D’un autre côté, une spéculation effrénée s’est emparée du secteur, en l’absence de contrôles rigoureux des circuits de production et de distribution.
Très présents dans le processus de la commercialisation des produits agricoles, les intermédiaires constituent un maillon important de la chaine de valeur. Ils revêtent plusieurs formes telles que les ramasseurs, les collecteurs, les courtiers, les grossistes, les demi-grossistes, les organismes de stockage frigorifiques, les organismes coopératifs, les détaillants, les grandes surfaces, etc.
Les intermédiaires facilitent aux petits producteurs/agriculteurs, qui n’arrivent pas à accéder au marché, l’écoulement de leurs produits. Cependant, leur extrême diversité, souvent non-productive, en l’absence d’organisation et d’encadrement, pèse énormément sur le processus de commercialisation des produits agricoles.
Ces intermédiaires accentuent de manière significative la spéculation au niveau de l’aval de la filière agricole. Les conséquences sont palpables aussi bien au niveau du producteur que celui de consommateur, notamment pour les fruits et légumes.
Les effets sont encore plus dommageables lorsque le processus de commercialisation n’est pas accompagné par un contrôle continu, intensif et suffisant.
Il est à rappeler que la filière des viandes rouges a enregistré, en 2019 une production de 606.000 tonnes. Ce niveau de production a généré un taux de couverture des besoins en viandes rouges de l’ordre de 98 %, pour une consommation de 17,2 kg/habitant/an en 2019. Selon la FAO, la consommation de viande (tous types confondus) dans le monde était en moyenne de 42,4kg/habitant/an en 2020.
Les marocains continuent à ne pas manger assez de viande rouges, car elle demeurent trop chères et donc inaccessibles pour la majorité de la population…
Pour ce qui est des fruits est légumes, c’est pareil car la forte spéculation et la multitude des intermédiaires fait augmenter les prix, alors que les fruits et légumes sont en abondance et qu’on n’a pas besoin d’arrêter leur exportation pour agir sur les prix.
Il faut savoir que seul un tiers de la production agricole totale est exportée, le reste est consommé principalement par le marché local, contrairement à ce que l’on pensait, chiffres du ministère de l’agriculture à l’appui.
Mais c’est la spéculation qui cause le plus de dégâts au marché et non la production agricole en elle-même, qui a connu une très nette amélioration depuis une vingtaine d’années.
Aujourd’hui, des courtiers n’attendent pas que les fruits et légumes arrivent dans les marchés de gros pour augmenter les prix, mais harcèlent directement l’agriculteur, chez lui, pour vendre au plus offrant.
Une fois la cargaison arrivée dans les marchés de gros, qui sont au nombre de 38 à travers le royaume, les courtiers doivent impérativement vendre leur marchandise à des mandataires désignés par le ministère de l’intérieur sur la base du Dahir du 07 février 1962. Celui-ci indique dans un arrêté du 22 Mai 1962, les modalités de désignation des mandataires privés ou faisant partie des «résistants ».
A l’époque, l’état voulait se débarrasser des demandes incessantes, émanant des anciens résistants qui voulaient leur part du gâteau de l’indépendance; leur octroya un certain nombre de privilèges et d’agréments, dont celui d’avoir le droit de vendre sur les carrés des marchés de gros, à côtés de mandataires privés désignés aussi par le ministère de l’intérieur.
Pour les résistants ces agréments sont devenus « héritables » par leur descendance, ce qui complique toute tentative de régulation du secteur, en dehors de tout professionnalisme.
C’est normal après coup dans pareil système spéculatif, que les mandataires, privés ou résistants, pour augmenter leurs marges, soient obligés d’augmenter les prix des fruits et légumes, à leur guise, selon le principe spéculatif de l’offre et la demande.
Et c’est pour cela que in fine, vous payez vos fruits et légumes 5 à 10 fois plus cher que directement de chez l’agriculteur.
Il existe 38 marchés de gros au niveau national, répartis sur 32 provinces et préfectures28. Les parties prenantes fréquentant les marchés de gros sont composées de 3.700 producteurs, de 4.600 grossistes et 374 mandataires ainsi que 20.000 employés (employés communaux, employés des mandataires, employés des grossistes, portefaix, etc.)
Le chiffre d’affaires des marchés de gros représente près de 7 Milliards de Dhs/an, correspondant à un tonnage commercialisé de 3,5 millions Tonnes /an. Ce tonnage ne représente que 33% environ de la production nationale des fruits et légumes qui dépasse 9 millions de tonnes. Les recettes communales issues de la taxe sur chiffre d’affaires, sont de l’ordre de 350 Millions de dirhams par an.
Le fait que les agriculteurs ou les courtiers ne font parvenir que le tiers de la production nationales des fruits et légumes dans les marchés de gros revient aux taxes dont le taux particulièrement élevé de la redevance fixée à 7% sur le montant brut des ventes en gros de fruits et légumes, dont 2% est destiné aux mandataires, sans véritable service rendu.
Pareil pour le poisson, où ce sont les mareyeurs qui ont le droit d’acheter et de vendre dans les Halles au poisson, le poisson, les sardines et autres daurades que vous trouvez si chères chez votre marchand de poisson.
Ce dérèglement spéculatif des circuits de commercialisation des fruits, légumes, viandes et poissons qu’il faut revoir entièrement.
D’ailleurs le conseil économique social et environnemental (CESE), dans son Avis d’Auto-saisine n° 56/2021 intitulé « Pour une approche novatrice et intégrée de la commercialisation des produits agricoles » pointé du doigt ces multiples dysfonctionnements et incitait le gouvernement à prendre les mesures adéquates pour y remédier.
Le CESE a préconisé, entre autres recommandations de :
- revoir des sources de revenus déconnectées des ventes (droits de 1ère occupation des magasins, loyers, péages à l’entrée et redevances, loyers versés par les opérateurs gestionnaires des services externalisés) ;
- supprimer la fonction de mandataires par la révision du Dahir du 7 février 1962 relatif aux charges de mandataires des marchés de gros (MDG) des communes urbaines, et de l’arrêté du ministre de l’Intérieur du 22 mai 1962 portant statut des mandataires et règlement des MDG et des halles aux poissons des communes urbaines
- réviser la loi N°30-89 relative à la fiscalité des collectivités locales ;
- assouplir l’obligation de passage par les marchés de gros à travers la possibilité donnée dans certains cas et sous des conditions spécifiques, d’installer des plateformes de distribution et de conditionnement, à l’initiative d’opérateurs privés.
Sans suite….
Tout cela, nous renseigne sur la portée de l’échec cuisant du programme « Maroc Vert » qui n’a pas pu et dû trouver les bons outils réglementaires et de contrôles pour mettre à niveau toute la filière agricole et hauturière. Le ministre devenu premier ministre s’est surtout concentré sur la production. Celle-ci a été au rendez-vous.
Mais il ne s’est pas du tout occupé de réformer les circuits de commercialisation et de distribution et c’est là où le bât blesse. Il faut dire que les marchés de gros et leurs mandataires dépendent directement des collectivités locales et donc du ministère de l’intérieur. Mais une fois devenu premier ministre, qui aurait pu empêcher Ssi Aziz Akhennouch de réformer le Dahir de 1962 sur l’organisation des marchés de gros ? Rien, ni personne, sauf peut-être le manque de volonté, car en ultra-libéral bon teint, l’actuel premier ministre a sans doute préféré laisser le marché s’auto-réguler.
Peine perdue et gros dégâts en perspectives, surtout quand le marché est à la base déréglé par une approche qui favorise la rente et la spéculation au professionnalisme et à la rigueur dans les diverses filières agricoles.
Le marché agricole est devenu fou, à force d’être laissé à lui-même, sans intervention vigoureuse et ferme du gouvernement et des diverses autorités de contrôle.
Sir…Sir…Sir…À la fin, on n’ira pas bien loin avec tout cela…
Rédigé par Rachid Boufous