UN MARCHEUR NOUS RACONTE ...


Rédigé par Hicham Aboumerrouane le Vendredi 11 Décembre 2020



Il s’en est fallu de peu …

Notre marcheur répond au nom d’El Houssine. Un gaillard de 80 ans, aux aguets des remous du quartier,  cantonné à son seul poste de garde. A notre appel, il saute  sur ses deux pieds joints, se précipite sur  l’encadrure de sa maisonnette délabrée, dégarnie par endroits. Le dos en arc, de peur que sa tête n’aille chercher par mégarde ce bas plafond miséreux.

Notre bonhomme redouble d’attention, une attention de mise chez les curieux de son genre. À la fois  alerte et circonspect, jonglant avec mesure  entre deux attributs de choix, requis    chez un gardien au poste. Celui-ci n’eut d’égale à sa posture,  qu’une détermination debout,  à nul autre objet  que celui de s’enquérir, vaille que vaille,  de ce quidam venu marteler son nom au grand dam de ses oreilles. 

Une fois l’objet relevé, votre serviteur catalogué au rang des indiscrets,  à la trace de ce qui vit dans les recoins des recoins, notre bonhomme se détendit palier par palier, nous propose un escabeau et un sourire en guise  d’acquiescement d’une entrevue  à l’air libre, au soleil hésitant. 

Les jambes croisées, les joues creuses prenant en étau un sourire amène, l’œil flambant neuf, embué  à la seule évocation de ce qui tisse cette  rencontre fortuite  entre deux âges, et qui situe   la marche verte à mi-chemin de nos différences. 

C’est parti d’un « Oui, je fus à la marche verte » pour que s’ensuive  par le truchement d’un verbe mystique,  de ces péripéties qui s’articulent, une à une,   à la bouche loquace de notre  marcheur.

Celui-ci nous conte, un brin étourdi,  comment le « Moqadem » a failli louper sa demeure située à Yacoub El Mansour, à Rabat. Un logis pris en étau entre deux.  de ces voisins qui seraient nés sous une bonne étoile. Pourquoi ?   Ceux-ci   furent sollicités par l’agent d’autorité afin de fondre dans  la masse des marcheurs encensés par Feu Sa Majesté Le Roi Hassan II. 

Notre concitoyen ne put souffrir de louper  ce rendez-vous avec l’Histoire. « Je pleurais, entouré de ma femme et mes trois gosses » part-il d’un sourire à trancher avec l’amertume éprouvée face à l’insouciance de l’agent. 

Notre interlocuteur, comme pour nous  communiquer  une charge émotive qui s’évertue  à l’enquiquiner à travers les époques, pousse un soupir en notre direction, nous apprend, les yeux embués, le sourire renouvelé, que ce même agent, finit par frapper à sa porte, glisser son nom parmi ceux de la liste. 

D’une marche deux coups

El Houssine, jadis marchand de légumes,  nous révèle  sans ambages  le caractère de ce que fut sa seconde ambition.  Une fois le devoir national honoré, celui-ci tenait à donner un coup de neuf à  sa situation financière alors vacillante. Ne prêtons pas  le flanc à  ces jugements de valeur à l’emporte-pièce. Que  cette ambition de nature argentée ne puisse en rien entacher  le patriotisme d’un citoyen mal-en-point. 

Une semaine se serait évaporée  dans le sulfure  des préparatifs, avant que notre interlocuteur soit appelé et ses voisins, placés  sous l’autorité du Caïd, à s’acheminer  vers la gare ferroviaire  de Rabat Agdal. « J’étais prêt, je n’avais ni valise à faire, ni bagages à trimballer » nous annonce tout de go notre témoin trempé dans la vigueur d’une jeunesse passée.

Les marcheurs furent pourvus de pain et de sardines pour juguler une faim à peine ébauchée. Bercés par  la fièvre patriotique de leur wagon,  ceux-ci durent  marquer un arrêt à Berrechid, raison en fut  que d’autres  trains sifflant de chaleur humaine, partis d’autres régions puissent s’acheminer, avant d’autres, vers leur destination finale : Marrakech. 

Notre interlocuteur aspiré  par le rouleau d’une  nostalgie récalcitrante, brouillait galamment notre  échange de ce climat  bon enfant qui faisait ces wagons débordant d’espoir entrecoupé de crainte. «  Les gens chantonnaient, pivotaient sur eux même, s’arrachaient  des blagues de tous les goûts» nous rapporte  notre témoin. 

Une fois parvenus à la ville Ocre , nos marcheurs furent chargés à bord de camions prêts à  sillonner de ces routes sinueuses, qui mènent au Sahara Marocain . Debout, enserrés des uns des autres, nos voyageurs vaquèrent bavards à leurs rêveries solitaires, des fois, à leurs chamailleries sans rancune,   tout en communiquant ce brouhaha de choses inconnues,  à  leur destinée commune. 

De ces  souks dévalisés…

C’est avec dépit que notre homme énumère au mot fin de ces écarts de conduite, dégradant le tracé de cette marche héroïque. EL Houssine amorce, dans un débit pris de vitesse, de  ces tâches indélébiles.   il fut rappelé, malgré lui,  à un souk puis deux, dévalisés par ses compagnons de route. 

Ceux-ci sujets à un appétit vorace,  se virent  appliquer   le fameux adage « Un ventre affamé n’a point d’oreilles ». Pris de compassion pour ces ventres creux, notre interlocuteur s’accapare  des propos tempérés  : «  Il arrivait que le pain qui nous fut servi  soit  moisi…ce qui acculait les nôtres à dévaliser les vivres là où ils se trouvaient… ». 

D’après lui, les autorités furent alertées au bout du deuxième éclat d’infortune, chose qui les  accula  à clôturer  les souks tout le long du trajet.  Notre curiosité, exacerbée par le cours déréglé  que prit notre vis-à-vis,   soudain s’enquiert  du  sort réservé aux  femmes. Celles-ci, selon ce dernier, furent choyées, du fait que des autocars pourvus de  tout le confort qui sied au genre leur furent alloués. 

El Houssine, à la langue déliée, au verbe taquin, au rire incendier,  et à portée des lèvres, semblait secoué  d’une espièglerie  bon genre «  C’est depuis ce jour que les femmes ont pris le devant de la scène »  dit-il en partant d’un rire cinglant. Notre interlocuteur, produit  d’une époque décomplexée, semble   braver de ces rigidités  étriquées, vecteurs  d’une vie piteusement orthodoxe . 

Les couteaux sont tirés

Notre blagueur,  rattrapé par la rudesse d’une situation malaisée, et qui se refuse à l’oubli, se remémore de ces points d’arrêts au large d’espaces forestiers, et d’autres déserts. 

Des espaces jalonnés de  tentes dressées  par le soin des  forces de l’ordre.  Des tentes abritant une trentaine de personnes pour les uns, une centaine pour d’autres.  

Les voilà arrivés à Tan-Tan où l’oisiveté est prégnante, nos marcheurs foulent le sable fin et brûlant du désert, gardant le cap sur l’objet de leur venue. Plus loin, nos promeneurs se fixent   à Tarfaya, pourvus de bouteille à gaz, de farine, d’huile, et de figues, nos  hommes pétrissent  leur pain, consomment leurs rêveries,  dans l’étreinte d’un imaginaire commun : Une  terre récupérée, un avenir lumineux.

Notre témoin, à présent familier, nous dépeint comment lui et les siens bravaient le décor  de   « la douane espagnole ». Une frontière fictive,  où des soldats furent postés et leurs chiens. Ils ne longeaient, pour ce faire,  que  six  malheureux kilomètres partant de leur tente désemplie jusqu’au coucher. 

Cela fait maintenant une quinzaine de jours, que    nos hommes  sont à Tarfaya. D’après notre témoin, des bagarres à couteaux tirés, de nature sectaire,   auraient éclaté  entre les nôtres. A qui mieux mieux, chacun renchérissait sur la qualité de son affiliation, provoquant un effet de meute fort dommageable. Dès lors chaque caïd fut  distancié et son clan  de quatre kilomètres et plus.

Ce ne fut pas le Roi !

De retour à  ce quinzième jour fatidique, où notre interlocuteur nous décrit  par à-coups cet  hélicoptère dont l’hélice semble fendre le ciel du Sahara, qui s’éprend du sable  comme pour  revigorer les cœurs. 

Ils furent  des centaines à forcer le pas  vers l’engin venu du ciel,  à gesticuler le long de leur rengaine sitôt mise en déroute: « C’est le Roi ! ». Et non, ce ne fut pas le Roi. Ce fut le premier ministre Ahmed Osman que notre interlocuteur soumet à l’acuité du détail. 

Celui-ci en tenue militaire, faite d’un short kaki et d’une veste assortie devisait  avec les Caïds attroupés  autour de lui. Ce n’est que vers 3 heures du matin, qu’une masse noiraude mais  humaine et  où fut enserré notre bonhomme enjambe  cette frontière imaginaire où pavanaient les soldats espagnols. 

Notre témoin nous fit part d’un jaillissement de peur, chevillé à ce pas de plus. Aussi  ne cache-t-il  pas son désarroi en relevant  de ces  bavures perpétrées par les siens.  De ceux qui s’adonnèrent au pillage d’objets saisis à la douane espagnole. 

Mais d’une marche, un coup…

Et comme notre marcheur est un  équilibriste retors, celui-ci ne tarit de nous surprendre.  Le voilà qui incruste  un rire dans ce malheur en bloc, et d’évoquer le périple qu’il entama et ses camarades. 

Ceux-ci, alléchés par l’idée de  se faire une situation,  ne démordent point,  veulent mordicus  dénicher  un travail grassement payé à Laâyoune. 

En marche vers ce qui fut sitôt arraché, ceux-ci donnèrent  dans le filet  des autorités espagnoles. Armés jusqu’au ciel, munis de chiens dociles, à l’affût d’un lapsus pour désosser les nôtres, les soldats étrangers  bafouillèrent  un langage jusque-là méconnaissable. « Il est vrai que  nous pigions que dalle , mais les menaces parlaient déjà beaucoup et en clair, leurs sommations concentrées en un geste furtif de la main, nous signifiait  de rebrousser chemin, et qu’opposer résistance ne pouvait que nous attirer des balles bien calibrées ».

Nos hommes prirent  leurs jambes à leurs cous, ceci  jusqu’à la déroute , preuve en est qu’ils  perdirent jusqu’à la visibilité des uns et des autres, chacun se frayait le chemin que lui indiquait sa peur propre . 

De retour à Rabat, El Houssine repoussa l’offre  de rejoindre les forces auxiliaires, chose qu’il regrette fort aujourd’hui. «  J’aurais pu au moins avoir une mutuelle » nous dit-il les yeux au ras du  sol. 

Notre compatriote, fidèle à sa façon,  clôt ce chapitre  sur une note remontante. Celui-ci      nous fit  part de la décoration reçue  une fois le devoir accompli. Un « Wissam »,  objet de fierté auquel notre interlocuteur voue un soin particulier. 

 

Hicham Aboumerrouane/Arrissala / L'ODJ





Vendredi 11 Décembre 2020
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