Le malheur des uns…
Où étions-nous ? Il est de ces actualités qui nous conjuguent à un sombre constat. Nos travailleurs saisonniers marocains sont mobilisés pour aller en corse. Cinq avions sont affrétés pour ce faire, car la récolte de la clémentine n’attend pas. Nos malheureux travailleurs se frottent les mains, remuent ciel et terre pour décrocher ce travail sensé renflouer leur petite caisse où siffle un vent de misère.
Ils sont nombreux à s’impatienter aux aguets d’une période qui tarde à venir. Durs à la tâche, leur peine n’est monnayable, ici, que d’une misère de 2000 dirhams. Mais en corse, ils pourront toucher le sextuple. Soit 12000 DHS. Une occasion en or. Nos travailleurs en auront pour quatre mois avant le retour au Taroudant. Leur ville d’origine.
Si nos gaillards sont sollicités c’est que les français ne veulent pas de ce job. Harassant et mal rémunéré. A tel point qu’ils n’y pensent plus. Les centres français ont du mal à glaner des personnes à former. Ceux-ci préfèrent se tenir à leurs allocations chômage, en attendant un boulot moins contraignant.
Ici, le contraste est de taille. Comme quoi l’objet de mépris par les uns peut être celui de la bonne fortune pour d’autres. De plus les heures de récolte se voient raccourcies au contact de la terre française, passant de 45 à 39 heures. C’est dire qu’au Maroc, ces braves gens triment davantage pour le peu qu’ils touchent.
Entre ciel et terre
Nous ne pouvons qu’être annihilés pour peu que l’on soit doté d’un tant soit peu de bon sens par ce gap criard qui s’étend entre nos deux revenus minimums respectifs. Aussi ne pouvons-nous que rendre présent, en dépit de notre bonne foi, ce gap qui nous tient front, qui règne entre nos différentes strates sociales et qui va en se creusant.
Un gap béant, sujet de colère de nombre de nos concitoyens. De ces braves gens qui s’arrachent de tout côté pour boucler leur fin de mois. Une fin miséreuse, pour peu qu’ils aient un travail. Car le taux de chômage ne cesse de ronger le camp des diplômés, comme ceux qui ne cherchent qu’à survivre.
Peut-être aurions-nous eu moins de cœur pour ceux-là si la pauvreté fut l’apanage de tous et sans égards. Notons que le nombre des pauvres ou sur le seuil de pauvreté s’est accentué pour atteindre 19,87 % de la population. Mais malheur est que, de l’autre côté, nous faisons état de fortunes écrasantes qui tranche net avec le paysage général du pays. De ces salaires de chefs d’entreprises qui atteignent jusqu’à 200 fois et plus le SMIG.
F(r)acture sociale
Une cohésion sociale qui se relâche, que nous pouvons relever de visu, tellement avons-nous la maudite impression que nous ne pouvons appartenir au même Maroc. Et ce n’est pas en se frottant les yeux que ce paysage de malheur daigne se refaire de nouvelles couleurs. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé, car les mesures à prendre ne sont pas de l’ordre de la rêverie mais plutôt de ceux politique et économique.
Sans doute devrons-nous faire prévaloir l’essentiel sur les fausses devantures. En cela que nous aurions besoin aussi bien d’une bonne éducation que d’un TGV, davantage de routes pour désenclaver nos milieux ruraux que toute dépense farfelue faisant guise d’un faux éclat de la santé de notre pays.
Rajoutons à cela l’essentiel, qui n’est autre que la politique sanitaire, et celle afférant à la redistribution des richesses, à l’égalité des chances, au bazardage du népotisme, du clientélisme, de la prébende qui vicie notre économie. Urgence est de niveler nos classes sociales qui se repoussent à des vitesses visibles. Nous ne pouvons souffrir un Maroc bipolaire, une césure malsaine qui désidentifie les citoyens des uns des autres. Sa Majesté Le Roi Mohammed VI n’a-t-il pas dit, et on ne peut plus clairement, lors de son dernier discours que la réussite se devrait être générale ou ne pas être.
Retour à l’essentiel
Nous ne pouvons avoir bonne conscience en juxtaposant le faste où se perpétue notre gouvernement, avec la misère bon enfant qui fait son train parmi les plus démunis. Quand on énumère nos députés, nos partis politiques, nos ministres, nous restons perplexes par rapport à l’état de cette misère qui a la peau dure.
Peut-être faut-il les rappeler aux choses rudimentaires, à l’objet de leur élection, au principal, car ceux-ci semblent, et pour le clair de leur temps s’empêtrer dans des chamailleries personnelles à jeter le discrédit sur cette machine politique sensée d’abord être au service du citoyen. Un recadrage serait le bienvenu.
Notons que quelques 200 milliards de centimes seront mobilisés pour organiser les prochaines élections. Espérons que nos politiques mettent l’essentiel de leurs tripes à redresser le niveau de vies de nos concitoyens marocains plutôt que de s’user dans des manœuvres rhétoriques à écraser l’adversaire.
Le bonheur des autres…
Le temps est à l’action. Pour revenir à nos travailleurs saisonniers en plein dans la clémentine corse, ceux-ci auraient tout aussi bien accouru vers nos terres si on les rémunérait rondement. Car ne nous leurrons pas jusqu’à croire que nous avons un surplus de main d’œuvre. C’est tout ce qu’il y a de faux.
Notons que l’un des manquements du Plan Maroc Vert qui a pu doubler la production marocaine en dix ans est qu’il fut l’impasse sur la main d’œuvre à même de contenir ce surplus. Et que nos fruits pourrissent dans quelques-unes de nos régions faute de récolteurs. De ces récolteurs qui se jugent mal payés, qui préfèrent conserver leur énergie pour un ciel meilleur. Le ciel corse par exemple…
Hicham Aboumerrouane