Taisez-vous, M. Jouahri !




Par Aziz Boucetta

A lire ou à écouter en podcast :  (4.21 Mo)

Lui est connu pour son franc-parler et reconnu pour sa langue déliée, et eux sont réputés se taire, par prudence ou défaut de pertinence. Lui, c’est Abdellatif Jouahri, wali de la banque centrale et eux, ce sont les chefs du RNI, alliés objectifs de Najib Boulif pour intimer le silence de M. Jouahri. Et pourtant, ce dernier, à plus de 80 ans, n’est pas né de la dernière pluie, ni même de l’avant-dernière…
 

Les faits. Ce mardi 22 juin, Abdellatif Jouahri se livre à un de ses exercices favoris, en l’occurrence sa classique conférence de presse, particulièrement guettée par les médias et une partie de l’opinion publique. Pourquoi ? Parce que l’homme, immense commis de l’Etat, patron de Bank-al-Maghrib depuis 2004, ancien président de banque et ancien ministre des Finances de Hassan II, dit ce qu’il pense et pense même ce qu’il dit. Avec son expérience et sa gouaille, sa franchise fait mouche et mal. Ce 22 juin donc, il dit pis que pendre des partis, de leurs promesses débridées en tout et sur tout, de leur recours récurrent aux arbitrages royaux, et de bien d’autres choses. A un moment, il parle de « الباكور و الزعتر » en évoquant les partis, puis se reprend immédiatement, demande à ce qu’on n’enregistre pas ces mots, puis met fin à 2h20’ de conférence.
 

Il n’en fallait pas plus à Najib Boulif ancien ministre en érosion permanente, puisqu’il fut ministre, puis ministre délégué puis secrétaire d’Etat, pour attaquer... En gros, ce digne Monsieur demande à Abdellatif Jouahri, et accessoirement aux membres de la commission Benmoussa, de cesser leurs attaques contre les partis, ces « institutions constitutionnelles », surtout en période sensible car pré-électorale. Il menace même, éventuellement, de s’exprimer sur les tares et manquements des politiques monétaires et de développement. Et là, il en a trop dit, ou pas assez. Serait-il donc informé de défaillances qu’il tairait à l’opinion publique au nom d’une trêve sacrée ? A lui de répondre maintenant ou, comme disent les chrétiens, se taire à jamais… ce qui lui permettrait de nous faire grâce de ses habituelles inepties, comme sur le haram de l’intérêt bancaire.
 

Et quelques jours plus tard, le RNI, toujours prompt à dégainer, dégaine… et s’exprime comme à son habitude, par communiqué. Il se lance à l’assaut d’Abdellatif Jouahri en s’étonnant puis en condamnant ses déclarations, de même qu’en « dénonçant le dangereux et injustifié dérapage dans le comportement du président de cette vénérable institution » qu’est Bank-al-Maghrib. Rappelons que le wali a eu, lui, l’humilité de retirer ses mots abusifs de « الباكور و الزعتر », contrairement à la personne qui, pour ceux qui s’en souviennent, voulait « rééduquer les Marocains » sans jamais se repentir.
 

Le wali s’est-il départi de son devoir de réserve ? Il semblerait que non, en dépit de la virulence de son propos. Il est le gardien du temple monétaire et à ce titre, a besoin d’une classe politique cohérente, qui inspire la confiance, sans laquelle aucune monnaie ne saurait se tenir, et qui instille la bonne gouvernance, hors de laquelle aucune politique ne saurait aboutir.
 

Les personnels politiques, petits ou grands, ont coutume de dire qu’Abdellatif Jouahri outrepasse son rôle et murmurent même entre eux qu’il est temps pour lui, à plus de 80 ans, de regagner ses pénates pour un repos bien mérité. Mais, c’est prouvé, le Maroc est le Maroc et s’il dérapait vraiment, le wali de Bank al-Maghrib serait parti depuis longtemps. Pourquoi est-il donc toujours en poste ? Que ceux qui, hors Boulif dont l’avis intéresse si peu de gens, le critiquent aujourd’hui et n’avaient pas osé le faire avant réfléchissent… à moins que ce ne soit le contraire, et que M. Jouahri, comme M. Driss Guerraoui ou encore M. Driss Jettou, soit amené, lui, à réfléchir, si l’occasion lui en est encore donnée.
 

Ces mots du wali et ce communiqué venant de nulle part, et leurs conséquences, sont le reflet et la manifestation de la politique à la marocaine, faite de dits calibrés, de dédits contrits et de non-dits entendus pouvant être ravageurs, à coups de signes codés et de signaux à décoder.
 

La suite interviendra, sûrement, prochainement, en cette période où tout peut arriver et où tant de choses arrivent…
 

Rédigé par Aziz Boucetta sur https://panorapost.com



Lundi 28 Juin 2021

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