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Par Naim Kamal
Visiblement, la chute du régime des al-Assad, à la surprise feinte ou réelle des uns et des autres, n’a fait presque que des heureux :
D’abord Israël et son Netanyahu, qui n’y ont pas été pour rien, parce que c’est la défaite d’un ennemi, certes impuissant, mais irréductible. Le premier ministre israélien saisissant d’ailleurs l’aubaine s’est empressé d’investir la « zone tampon » avec le Golan déjà occupé et illégalement annexé en attendant que lui ou un autre Premier ministre de sa souche, ne déclare cette zone comme territoire historiquement relevant du ‘’Grand Israël‘’ en allant quêter dans la fiction hébraïque les ‘’arguments’’ qui le prouveraient.
Ensuite, la Turquie et le Qatar, qui vont enfin pouvoir - du moins théoriquement - faire passer par le Syrie, entre autres intérêts, le fameux gazoduc devant réduire la dépendance de pays occidentaux, particulièrement européns, du gaz russe.
Ainsi donc, de Washington à Paris, de Berlin à Bruxelles capitale de l’Union Européenne, et du « Golfe à l’Atlantique », rarement la désertion d’un président, Bachar Al-Assad, a comblé autant de monde en même temps.
Au Maroc, on compte deux types d’heureux : Ceux qui voient dans le déboulonnement des Al-Assad la fin d’un ennemi actif, depuis toujours, de l’unité territoriale du Royaume, et ceux, plutôt ‘’fréristes’’, pour qui la chute de ce régime est un retour de manivelle prometteur en faveur de la mouvance islamiste.
Damas, carrefour d’histoire et de géographie
Le grand drame de la Syrie est qu’elle s’est toujours trouvée au carrefour de tant d’intérêts géostratégiques qu’il lui était impossible de survivre dans un environnement particulièrement mouvementé, sans un minimum de souplesse et d’intelligence géopolitique. Deux qualités dont ne peut se targuer le clan Al-Assad qui a exclusivement tablé sur la brutalité pour survivre. La violence qui a caractérisé sa politique extérieure en direction des pays du Golfe aux moments du panarabisme triomphant, est un exemple éloquent qui explique pour beaucoup l’hostilité des États du Conseil de la Coopération du Golfe à son égard.
Mais la chute du régime Al-Assad est aussi celle des deux derniers pays, avec l’Algérie, du Front du Refus formé au milieu des années 1970 par Baghdâd, Damas, Tripoli, Aden, Alger et l’OLP de Yasser Arafat pour s’opposer à une réconciliation historique arabo-israélienne quand elle était encore honorablement possible.
L’OLP est en lambeaux, l’Irak n’en finit pas de sombrer dans la tourmente, le Yémen en est toujours à ses guerres civiles quasi-ancestrales, la Libye est en état de déliquescence avancée, la Syrie vient de tomber comme un fruit blet tandis que l’Algérie qui a survécu à une longue et dramatique décennie noire est toujours dans la salle des expectantes avec l’espoir que ses dirigeants trouveront parmi eux un homme sage pour faire prendre au pays le pli nécessaire.
Bien sûr, la chute d’un dictateur, chaque fois qu’elle se produit quelque part, ne peut que réjouir, même si l’on est certain que dans son sillage ce ne sont pas forcément des roses qui poussent. À moins que le nouveau régime syrien déroge à la règle pour en être l’exception qui la confirme ; nul besoin d’être Cassandre de Troie pour présager que ce qui attend la Syrie ce ne sont pas des lendemains qui chantent.
Pour autant, il faut savoir raison garder. Il n’est dit nulle part que le funeste projet du Grand Moyen-Orient, a été définitivement remisé au placard. Appelé “Greater Middle East Initiative” (GMEI), il a été conçu par les États-Unis au début des années 2000, en vue de transformer politiquement, économiquement et socialement la région du Moyen-Orient élargi (incluant des pays d’Afrique du Nord, du Golfe, et d’Asie centrale) sous l’étendard fallacieux de la démocratie et des droits de l’homme. Dans ses objectifs, la reconfiguration des frontières des pays composant cette aire à la manière dont les accords de Sykes-Picot en 1916 entre le Royaume Uni et le France avaient dessiné ou redessiné la carte du monde arabe de l’après empire Ottoman.
L’ancienne secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, donne dans ses mémoires de précieuses informations, sans forcément le citer expressément, comment il a été essayé de déployer le ‘’Grand Moyen Orient’’, en s’appuyant principalement sur les fondamentalismes les plus rigoristes de la même espèce de ceux à l’œuvre en Syrie aujourd’hui, pour attiser les feux de ce l’on a appelé un peu vite « le printemps arabe ».
Les avatars de Lawrence d’Arabie
Actuellement, des agences américaines et israéliennes formées d’avatars en chair et en os de Lawrence d’Arabie travaillent dans la sphère des pays de culture arabo-musulmane. Sur leurs listes de recrutement, il n’y a pas que des islamistes, mais toutes les composantes de nos sociétés, notamment ses franges dites « minorités » marginalisées. Au Maroc, on en a quelques spécimens locaux actifs et Rabat ne s’est pas trompé de cible lorsque ce lundi (9/12/2024) il a souligné par la voix de son ministre des Affaires étrangères qu’il « appelle à préserver sa souveraineté (de la Syrie) et à tenir le pays à l’abri de toute ingérence dans ses affaires internes ».
Restent l’histoire et ses leçons : Lawrence d’Arabie, de son vrai nom Thomas Edward Lawrence, était un officier et agent des services de renseignement britanniques. Figure devenue légendaire, portée à l’écran par David Lean, avec Peter O’Toole dans le rôle de Lawrence, il fut envoyé comme agent de liaison pour collaborer avec les forces arabes menées par le chérif Hussein de La Mecque et ses fils, notamment Fayçal, en révolte contre l’Empire ottoman qui contrôlait une grande partie du Moyen-Orient. Il travailla ainsi à gagner la confiance des chefs arabes, partageant leur vie dans le désert et adoptant leur tenue traditionnelle.
Mais pendant que Lawrence vendait des mirages aux princes d’Arabie et consorts, le Royaume Uni et la France, les deux grandes puissances de l’époque, s’entendaient sur le partage de l’empire ottoman en décrépitude, pour se présenter en une entente scélérate reniant tous leurs engagements, trahissant ainsi les promesses faites aux Arabes à travers ce qui rentrera dans l’histoire comme les accords Sykes-Picot qui ont programmé la division du Moyen-Orient en zones d’influence française et britannique.
Peut-être que l'histoire ne se répète pas, peut-être pas de la même façon. Mais l'idée est que les événements historiques, tant que les mêmes causes demeurent, ce qui est le cas, ont tendance à se reproduire sous des formes ou des circonstances similaires au fil du temps, tellement les comportements des puissances sont constants et prévisibles. Ce qui reste toutefois sûr et certain dans la conjoncture actuelle, quelle que soit sa complexité, c’est que la perfidie n’est pas l’apanage d’Albion ni de son partenaire français dans les accords de Sykes-Picot.
Rédigé par Naim Kamal sur Quid
Débat - Podcast : les chroniqueurs de la Web Radio débattent des idées contenues dans cet article ci-dessus à travers ces questions :
Comment la règle du français uniquement impacte-t-elle la discussion ?
Quelle est la signification de l’article de Naim Kamal