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Spéculation, il est temps que la justice s'en préoccupe...




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Par Aziz Boucetta

Le Maroc est une démocratie. A cet énoncé, les uns rient, les autres sourient, d’autres encore soupirent, mais le fait est là que le Maroc a sa démocratie, comme chaque pays a la sienne, et il s’en accommode parfaitement. Mais même dans une démocratie, et à moins que tous les responsables politiques soient vertueux, compétents, désintéressés et volontaires, les erreurs existent. Or, dans une véritable démocratie, les erreurs et les errements, ça se paie, et au prix fort. Faut-il donc croire que tous nos responsables soient vertueux, compétents, désintéressés et volontaires ?

Assurément non, ils ne le sont pas. Nous avons ceux qui se trompent de bonne foi, et cela arrive ; et nous avons également ceux qui ne se trompent pas, qui trompent, savent parfaitement ce qu’ils font et le font sciemment, et cela arrive aussi, de plus en plus souvent. Sauf que c’est répréhensible. Au Maroc, aucun responsable gouvernemental n’a jamais été poursuivi en justice, pour manquements graves à sa mission, manquements qui, au choix, peuvent mener leur auteur au « bannissement » politique, à l’inéligibilité, ou au procès et à la privation de liberté. Hier 28 février, un haut responsable public dans le Nord a été limogé et remplacé dès qu’ « on » a découvert un conflit d’intérêt le concernant ; mais lui, il n’est pas responsable gouvernemental…

Nous sommes dans un pays où l’agriculture est en situation préoccupante. Les grands exploitants se portent bien, produisent beaucoup, exportent ce qu’ils produisent, gagnent de l’argent, dont une partie est même rapatriée au pays... Mais les petits agriculteurs se trouvent dans une situation critique due à la combinaison de la sécheresse qui dure depuis sept ans, de l’assèchement des nappes phréatiques et du renchérissement de tous les intrants. Ces petits agriculteurs enregistrent des cas de faillites ou saisies pour non-remboursement des dettes et emprunts, d’exode familial groupé ou d’appauvrissement irréversible ou très difficilement retournable, et on a même enregistré des cas de suicide.

Et personne n’est responsable ??!! N’aurait-il pas mieux valu, et même fallu, demander des explications aux planificateurs du secteur agricole ? Pourquoi tout le monde est-il surpris par cet assèchement des sous-sols ? Le Plan Maroc Vert y est-il pour quelque chose ? Pourquoi le plan stratégique de l’eau n’a-t-il pas été déployé ces 15 dernières années ? Le RNI dit que le PJD a tout bloqué, le PJD nie et s’appuie sur les rapports de la Cour des Comptes ; pourquoi n’y a-t-il pas de débat public autour de cette question ? Pourquoi les prix des denrées alimentaires essentielles grimpent-ils autant ? Le ministre de l’Industrie et du Commerce parle de très exactement 18 spéculateurs, le gouvernement les connaît donc ; qu’a-t-il enclenché comme mesures à leur encontre, ou pour les contrer ? Où en est le cheptel et pourquoi le gouvernement, et les ministres successifs à l’Agriculture, n’ont-ils pas anticipé, agi, au lieu de réagir ? Et dans leur réaction, forcément et par essence tardive, consistant à ouvrir les portes à l’importation, qui sont les heureux bénéficiaires en charge de ces importations ? Sont-ils les mêmes que les 18 susmentionnés ?

Fruits, légumes, viandes, poulets, poissons… des produits dont les prix ont flambé, flambent toujours. Et puis voilà qu’un jeune Marrakchi, Abdelilah de son prénom, un de ces jeunes qui font la fierté du pays, ou devraient la faire, montre la voie à un gouvernement où le ministre le moins diplômé a un bac+12 (sauf deux ou trois notables exceptions qui confirment la règle), en vendant du poisson à prix raisonnables, avec des profits raisonnables.

Qui est responsable de cette gabegie ? Qui est ce ou cette ministre, ce ou cette secrétaire d’Etat qui laisse faire ? S’il/elle est incompétent(e), qu’il/elle s’en aille, mais avant cela, une enquête s’impose, et si il/elle est responsable de fraude, de concussion, de bak-sahbisme ou d’autre travers du genre, qu’il/elle soit confié(e) à l’examen de la justice. Car…

… car une démocratie, ce sont des contre-pouvoirs, un contrôle de l’exécutif, a priori par le parlement, et a posteriori par la justice… car une démocratie, c’est la protection de tous par la loi et l’égalité de tous devant cette même loi. Que font donc nos parlementaires, députés et conseillers, en dehors de copiner avec les ministres et d’œuvrer à plaire et à complaire à leur chef, de voyager fréquemment et confortablement aux frais de l’Etat et une fois revenus au pays, de faire le show les jours de débat, et de travailler à leur réélection ? Pourquoi la justice ne s’intéresse-t-elle pas à la situation ? Se pourrait-il qu’un jour un magistrat intrépide, assis ou debout, se penche sur cette question ? Appauvrir une population au bénéfice de quelques-uns est certainement un acte pénalement répréhensible... du moins en démocratie !

Cette année, sur sage décision royale, les Marocains surseoiront à leur rituel sacrificiel annuel habituel. La décision est lourde, rarissime (4 fois en 70 ans), mais nécessaire. Et avant l’Aïd, c’est le mois de ramadan, et à cette occasion, le gouvernement, comme chaque année, se mobilise pour « assurer un approvisionnement des marchés, en qualité et volumes, et à prix raisonnables ». C’est pour ramadan et c’est bien, mais quid des autres mois de l’année ? Et bien, les autres mois de l’année, les gens sont laissés aux mains des spéculateurs (18, très précisément, comme nous l’apprend le ministre du Commerce).  Les Marocains désignent ces spéculateurs par le terme de « chennaqa », ou étrangleurs. Le mot est fort, sa portée est lourde, sa connotation est criminelle et ouvre sur la possibilité de la commission de crimes, d’où encore une fois la nécessité d’une implication de la justice.

Il est aujourd’hui temps de se préoccuper de l’éthique générale en politique. Quand un pays connaît une grève générale de 48 heures, quand il est menacé d’une rupture du Dialogue social, que sa majorité s’effrite et se délite, qu’un chef de la majorité comme Nizar Baraka interpelle avec force les spéculateurs, et que le sacrifice de l’Aïd est annulé, que parlement et gouvernement refusent de légiférer sur l’enrichissement illicite… quand tout cela se produit, c’est que la situation est grave. Il faudra, un jour prochain, penser aux responsabilités.

La démocratie au Maroc, ce ne sont pas seulement des élections régulières et des pouvoirs déclarés séparés, mais un parlement qui contrôle vraiment et une justice qui dit le droit réellement. Le reste, tout autre comportement, ne serait que verbiage ou littérature. Et donc, surtout, perte de temps…

Dans l'attente, bon Ramadan à toutes et tous.

Aziz Boucetta / panorapost.ma/



Samedi 1 Mars 2025


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