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Sebta, août et septembre 2024, ce n’est qu’un avertissement…


De signaux faibles en signaux faibles, on finit irrémédiablement par arriver à une tendance forte. La « bonne nouvelle » est que nous en sommes toujours aux signaux faibles, et la mauvaise est que la tendance forte devient probable et chacun l’appréciera et l’estimera à sa manière. Les signaux « faibles », ce sont ces vagues de migrations dans le Nord, vers le nord. La tendance forte, c’est la combinaison de l’effectif des jeunes désœuvrés, des conditions de vie de plus en plus difficiles et d’une démission du politique.



A lire ou à écouter en podcast :


Par Aziz Boucetta

Les faits. Ce week-end, après la diffusion les jours précédents de messages sur une opération collective et massive de migration à Sebta, plusieurs centaines de jeunes du Maroc et d’ailleurs, mais surtout du Maroc, ont tenté de franchir les barrières interdisant l’entrée dans l’enclave espagnole. Frontière fermée par intermittence puis totalement, forces de l’ordre marocaines sous pression, forces de l’ordre espagnoles renforcées et sur le qui-vive, images dures à regarder… et indignation générale dans le royaume.
 

En effet, c’était la douche froide pour tous ces Marocains qui entendent à longueur de journée parler de leur pays, par les dirigeants de leur pays, comme d’un émergent, une puissance régionale, un havre de paix et de stabilité, un futur dragon… ces Marocains qui, après avoir constaté l’hémorragie des médecins, des ingénieurs et autres managers et marketteurs, sont aujourd’hui consternés de voir ces jeunes désespérés tenter le grand saut, au péril de leur sécurité, que certains appellent la grande évasion ! Triste, désolant… « nous méritons mieux », en effet, Ssi Akhannouch !
 

La police ne peut tout faire, même si elle a plus que correctement fait ce qu’elle a eu à faire ; tenter d’empêcher le regroupement près de la frontière, et en réduire les effectifs, cerner ceux qui y sont arrivés, les ramener vers Fnideq ou leurs villes d’origine, et en même temps rechercher les auteurs des messages sur les réseaux sociaux... le tout dans un professionnalisme salué par tous, ici et ailleurs. Les forces de l’ordre ont donc fait le job, mais quand lesdites forces de l’ordre sont le dernier rempart, quand les institutions ne font rien, alors on peut raisonnablement s’inquiéter et même très légitimement angoisser.
 

Et lorsque l’on dit « institutions », nous parlons du gouvernement. Car, en effet, les autres institutions, constitutionnelles ou non, ont rempli leur rôle. Depuis 2021, la Commission sur le modèle de développement de Chakib Benmoussa, puis le HCP d’Ahmed Lahlimi, et ensuite le CESE d’Ahmed Reda Chami ont alerté sur les jeunes, les problèmes des jeunes, la nécessité d’inclusion des jeunes… Les médias et les structures de la société civile ont, quant à eux, avisé quant au risque de laisser ces plus de 4 millions de jeunes sans occupation en jachère et dans la galère.
 

Qu’a fait Aziz Akhannouch, chef de l’Exécutif qui doit en principe, comme son nom l’indique, exécuter des politiques fondées sur ces rapports et analyses ? Il a commencé par ignorer le rapport du Nouveau modèle de développement, puis s’en prendre par proxys interposés à M. Lahlimi et ensuite douter, au parlement, de la bonne foi du CESE et lui « accorder », seigneurialement, « le bénéfice du doute » concernant la concomitance de la parution du rapport sur les NEETs et de la présentation du bilan de mi-mandat ; accorder « le bénéfice du doute » puis laisser faire la meute…
 


Ce week-end donc, et alors qu’à Agadir les jeunes du RNI dansaient et se congratulaient de bienfaits gouvernementaux qu’ils sont seuls à voir, des centaines d’autres jeunes ont tenté de franchir la frontière de Sebta ; durant l’été, on se souvient de ces dizaines de post-ados qui ont tenté la même opération, à la nage. Régulièrement, des jeunes préfèrent affronter la mort que se confronter à l’atonie de l’économie nationale. Et de plus en plus de monde part, ou veut partir. Médecins, ingénieurs, professeurs, paramédicaux, sportifs, agriculteurs, techniciens… Le Maroc n’est-il donc pas, ou plus, « ce lieu de fête qu’aucun chat ne voudrait quitter », selon l’adage populaire ? L’a-t-il déjà été ? Le sera-t-il ?
 

Pour expliquer les tristes et affligeants événements de ce week-end dans le nord du royaume, la meute accuse les Algériens et « une bande de criminels ». Soit, mais si les Algériens ou cette bande de criminels avaient diffusé ces messages de migration collective à Genève, pour la France, ou à Vancouver, pour Seattle, ou même à Istanbul, pour l’Europe, il n’est pas certain qu’il y ait eu ces images de « grande évasion » !
 

Dans un pays qui se respecte, la société et ses dynamiques sont étudiées et analysées par les organes de bonne gouvernance, les forces de l’ordre sont là pour faire respecter l’ordre public et le gouvernement doit agir pour remédier aux dysfonctionnements. Et 4,5 millions de NEETs EST un dysfonctionnement, plutôt grave, certainement alarmant ! Les organes de bonne gouvernance ont fait leur travail, les forces de l’ordre aussi, mais quid du gouvernement et de ses partis ?
 

PAM et Istiqlal se démènent pour ramener, ou instaurer, l’ordre dans leurs appareils respectifs et, en attendant, observent passivement – et apparemment non sans déplaisir – Aziz Akhannouch confronté à cette crise, car il s’agit bien d’une crise, majeure. Et que fait Aziz Akhannouch ? Il alterne entre l’autruche et le coq, procrastine, appelle McKinsey à la rescousse… n’ayant qu’une pensée en tête, être reconduit dans deux ans.
 

Dans l’attente, les jeunes ont besoin d’espoir et d’espérance, de travail et d’une bonne gouvernance, de bien plus de convictions et moins, beaucoup moins de corruption (un domaine en large expansion depuis quelques années) ; ils ont besoin de croire, d’avoir des perspectives, d’avoir des raisons d’aimer leur pays et d’y rester, quel que soit leur degré de formation. Ils ont besoin d’avoir un chef de gouvernement compétent et compatissant, empathique et engagé, moins hautain… politiquement plus intelligent. Les jeunes, au Maroc, et les moins jeunes, les diplômés et les paumés, les enseignants et les soignants, les séniors et les juniors, et tous les autres… ont besoin d’un gouvernement, d’un vrai, et surtout d’un chef de gouvernement, d’un bon.
 

Autrement, le Maroc se trouvera dans une impasse institutionnelle, et seule l’activation de l’article 42 pourra l’en sortir, avec l'implication du Roi. Après tout, si les Français ont fait un mauvais choix en 2017, les Anglais et les Tunisiens en 2019, les Brésiliens en 2018, il est tout à fait possible que les Marocains aient aussi fait un mauvais choix en 2021.
 

Rédigé par Aziz Boucetta sur Panorapost

 




Mercredi 18 Septembre 2024

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